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la desinvoltureL'avis d'Adrien :

Philippe Jaenada enquête, lit, écrit, boit beaucoup, du bon et du mauvais whisky, digresse énormément. Il fait tout de façon démesurée et c’est là qu’apparaît la littérature, la musique de Jaenada, passionnante, gargantuesque, exhaustive, drôle dans le drame.

L’auteur nous présente une cartographie de la jeune population du café Les Moineaux dans le Saint-Germain-des-Prés du début des années 1950, pas le Saint-Germain littéraire et chic mais le mal-famé, le crade, l’embrumé, le modianesque. Modiano revient d’ailleurs souvent dans ce livre, de même que Guy Debord, ce dernier ayant fréquenté tout ce petit monde. Jaenada emprunte une magnifique phrase du Premier Manifeste situationniste pour le titre de ce roman.

Nous avons affaire à des jeunes femmes et hommes qui avaient entre dix et quinze ans durant la Seconde Guerre mondiale, ils étaient trop jeunes pour être mobilisés mais assez âgés que pour percevoir et comprendre l’horreur de la guerre. Il s’agissait aussi bien d'enfants de collabos que d’enfants de déportés. Ils et elles ont eu des destins flamboyants et fracassés à l’image de Jacqueline Harispe, surnommée Kaki que l’on voit sur la couverture et qui est le point de départ de l’enquête de Jaenada. Comment cette jeune femme, un temps mannequin chez Dior, fiancée à un ancien soldat américain, qui avait l’avenir devant elle, a pu se défenestrer à l’âge de 20 ans ?

A travers un livre de photos de l’époque, du néerlandais Ed Van der Elsken “Love on the Left Bank”, Jaenada a retrouvé tous les jeunes présents dans le fameux café et, à sa manière, entière et par détours, tel un enquêteur obsessionnel, a pisté leur histoire, l’histoire de leurs ascendants, l’histoire de leurs descendants. Il nous revient de façon évidente mais assez étourdissante ici que “la vie est une gigantesque toile de coïncidence troublantes”.
Comme pour harmoniser la théorie par circonvolutions à la pratique, l’auteur donne respiration au récit en relatant le tour de la France par les bords, longeant les frontières, qu’il fait durant la rédaction de ce livre. Régulièrement, en vieux bougon, il grogne contre la disparition des bars qui pullulaient à l’époque de ses protagonistes.

Mialet-Barrault, 22 €btn commande

 

lisez vous le belge 24En ce mois de novembre, la campagne Lisez-vous le belge? est une jolie invitation à lire, relire et découvrir les mille et un visages de la littérature belge.

 

Patrimoine et écritures contemporaines, figures tutélaires et jeunes talents, regards proches ou embrassant le monde: et vous, quel est votre roman belge préféré?

 

Retrouvez notre sélection ici.

 

etreintes michaelsL'avis d'Anouk:

C'est un roman où tout est seuil, âme, lumière. Un roman unique, tels ces flocons de neige qui reviennent, insistants, au fil des pages, et tout aussi aérien, fascinant, mystérieux.

Étreintes ne se raconte pas, il s'éprouve, se dépose, suspend le temps. Et pourtant bien des histoires y déroulent leurs fils et tissent des motifs, se répercutant en échos et éclats de lumière. Le troisième roman de la poétesse canadienne Anne Michaels nous arrive dans la vibrante traduction de Dominique Fortier. Et c'est un émerveillement.

Étreintes s'ouvre en 1917 sur un champ de bataille de la Grande Guerre. John, un soldat anglais, gît dans la nuit et la lumière laiteuse de la neige. Ses souvenirs défilent, "la mémoire s'écoulait goutte à goutte". Images de l'enfance, de la campagne anglaise, d'Helena, l'aimée. "C'est l'absence qui prouve ce qui fut jadis présent".

Quelques années plus tard, John a retrouvé le Yorkshire, Helena, sa boutique de photographe. Mais ce que la guerre a laissé en lui fait empreinte sur le cours de sa vie. Rien n'est plus pareil, hors l'amour d'Helena. Dans ces années d'après-guerre, les gens tiennent à se faire photographier. Les portraits sont des "attestations de retrouvailles, arguments pour se convaincre que la vie de famille avait repris son cours, preuves de divers degrés et formes de retour, de survie". John travaille sans relâche mais a beaucoup de mal pour tenir le passé à distance. Puis un matin apparaît un fantôme sur le portrait qu'il développe. Comment faire place à l'invisible, au mystère? Comment les souvenirs des gens aimés s'inscrivent-ils en nous? Le trouble né de ce surgissement ne cessera plus de hanter John. Il va aussi imprégner les destins des siens sur plusieurs décennies.

Car Étreintes est un roman de transmission. Le temps chez Anna Michaels a une telle fluidité qu'elle nous fait traverser un siècle sans que l'on s'en aperçoive, une génération après l'autre, chacune en subtils échos et variations de la précédente. John et Helena, leur amour absolu, leur conversation ininterrompue par-delà l'absence et la mort, se déposent en d'autres couples, d'autres duos – un père et sa fille, deux frères, des amis précieuses.

L'intimité entre ces gens qui s'aiment est la trame d'Étreintes, sa lumière apaisante. Par-delà les guerres, les deuils, les chagrins inconsolables, il ya la beauté de l'amour, les chemins inattendus qu'il fait emprunter, et cette certitude: "Il n'ya qu'un langage pour chaque paire d'âmes. Les autres ont beau écouter, ils ne comprennent pas".

 

Éditions du Sous-Sol, traduit de l'anglais (Canada) par Dominique Fortier, 23 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

un poème de monsieur chienL'avis de Maryse:

Un peu de tendresse dans ce monde de brute !

Une histoire d’amour, une vraie, voilà qui est (trop !) peu courant dans les albums jeunesse. Nous sommes donc heureux d’en avoir une très jolie à vous présenter.

Dès le réveil, rien ne va pour Monsieur Chien : le voisin Coq chante trop fort et trop tôt, il n’y a plus rien à manger dans son placard, la radio n’annonce que des nouvelles tristes, il pleut des cordes et surtout… l’écrivain à succès qu’il était a perdu toute son inspiration.

Lors de sa promenade quotidienne et déprimée, il percute une jeune chienne aux yeux de saphir. Ils échangent quelques mots : elle est libraire et elle finit par lui conseiller un roman qu’elle adore (vous avez deviné qui en est l’auteur ?).

À dater de cet instant, tout est différent pour Monsieur Chien. Le matin est doux, la vitalité réapparait, même les vocalises de Coq semblent harmonieuses. Il ne cesse de pleuvoir dehors et pourtant, un soleil immense inonde de ses rayons la vie de l’écrivain. Il veut revoir la jeune libraire, car grâce à elle, il a repris la plume. Et le premier poème du nouveau chapitre de sa vie explique comment la couleur du saphir l’a fait se retrouver…

Un album de toute beauté, pas du tout fleur bleue, qui raconte l’énorme pouvoir qu’a l’amour de changer les perspectives.

Actes Sud jeunesse, 15,90 euros.btn commande

ilaria zalapiL'avis d'Anouk:

Ilaria a huit ans et aime par-dessous tout faire le cochon pendu. Le vide et le vertige l’électrisent et elle se sent alors comme son idole, la gymnaste Nadia Comăneci.

C’est ce vertige qui est au cœur d’Ilaria ou la conquête de la désobéissance. Un divorce qui tourne mal, une enfance sur le fil, une cavale sans fin sur les routes italiennes: le roman est sous tension, imprévisible, sans cesse sur le point de basculer. On retient son souffle, un rien pourrait mener à la catastrophe.

Genève, 1980. Le couple que formaient les parents d’Ilaria se disloque. Un jour de printemps, le père d’Ilaria vient la chercher à l’école. Ce n’était pas prévu, mais la petite fille n’a pas de raison de ne pas suivre son papa. Elle ne sait pas encore qu’il va faire d’elle une monnaie d’échange dans ce divorce dont il ne veut pas, le moyen de faire pression sur la femme qu’il dit toujours aimer.

Ce jour-là commence une cavale qui va durer près de deux ans. Le père emmène sa fille sur les routes de l’Italie, son pays. Il y a la monotonie des paysages d’autoroute, des arrêts dans les stations-services le temps d’une limonade et d’une telefonata à la mère inflexible, des nuits dans des hôtels tristes. Il y a la joie aussi, celle qui naît d’une vie en apparence sans contrainte, joueuse, dans une Italie où les chansons de l’autoradio parlent d’amour et se reprennent à tue-tête.

Ilaria observe. Rien n’échappe à la sagacité de l’enfance. Elle apprend à lire dans les attitudes de son père ses moindres émotions – la nervosité, la peur, la colère. De cette vie dans l’habitacle d’une voiture, elle dit: "nous vivons de profil". Tout se devine du coin de l’œil, rien n’est franc, direct. La vie a une opacité dont Ilaria semble d’abord se contenter mais qu’elle va petit à petit tenter d’érafler. Il y a un mot pour cela: "désobéir. Ce mot tombe en moi comme un caillou. Il me traverse tout entière. Quelque chose s’effondre, me vivifie".

Dans sa conquête de la désobéissance, Ilaria a quelques précieux alliés : sa passion pour le dessin, un singe en peluche devenu son unique confident, quelques femmes qui prennent soin d’elle au gré de son parcours. Alors que son père s’avère toujours moins fiable, ces points de repère permettent à la petite fille de tenir bon.

Ilaria tisse avec les deux précédents livres de Gabriella Zalapi une toile aux résonances très autobiographiques. L’écriture vive, rapide, sans affect, colle aux ressentis d’une narratrice contrainte de grandir avec ses propres règles puisque les adultes sont défaillants. La puissance du texte est telle qu’Ilaria semble là, toute proche, enfant soldat d’une guerre qui n’est pas la sienne et dont elle se protège comme elle peut.

 

Éditions Zoé, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici