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On aime tout chez Catharina Valckx: le trait vif et la fantaisie, le sens de l’humour et celui de l’amitié, l’attention aux plus petits et cette façon bien à elle de raconter des histoires écrites juste à la bonne hauteur, celle des enfants.
Quel plaisir aujourd’hui de mettre nos pas dans ceux d’Edith, la petite fille qui avait cent ans ! C’est qu’Edith ouvre de nouveaux chemins dans l’œuvre de Catharina Valckx. C’est un livre audacieux par son format – une histoire au long cours, un vrai roman porté par l’écriture riche et subtile de l’autrice; audacieux surtout par les questions qu’il aborde et qu’on ne lit pas si souvent dans les livres pour enfants: la perte, la vieillesse et la mort, ce temps dont on aimerait s’affranchir mais qui est le cœur de nos vies. Catharina Valckx fait confiance aux enfants, à leurs émotions et à leurs intuitions. Elle a bien raison.
Voici donc l’histoire d’Edith, une petite fille qui a cent ans. Cent ans ? Pas possible ! Mais si: c’est une fée qui a offert à Edith l’enfance éternelle, il y a un siècle de cela, au temps où les fées existaient encore même si elles commençaient à se faire rares. Les parents d’Edith sont follement heureux: pour leur fille, il n’y aura que les jeux et les rires de l’enfance, toute une vie d’insouciance. Et pourtant…
À sept ans, Edith cesse de grandir. Ses amis se détournent bientôt d’elle. Ils ont leur vie à vivre, eux, et ne peuvent pas rester éternellement dans le monde de leurs sept ans. Et voilà la solitude qui s’empare du cœur d’Edith. Une solitude si profonde et si triste que rien ne peut la combler, pas même la présence de ses parents aimants. « L’éternelle enfance, c’est juste l’éternel ennui ».
Et puis un jour Edith a cent ans. C’est un anniversaire en or, il porte en lui un peu de magie. Ce jour-là, Edith décide d’utiliser cet autre don offert par une très jeune fée, la première à s’être penchée sur son berceau : elle va animer un objet. Et pas n’importe lequel. Edith choisit un joli citron. Une formule magique plus tard, il devient Ikki, un super compagnon pour Edith et son chien Polochon. La petite fille de cent ans ne le sait pas encore, mais Ikki va transformer sa vie.
Ikki comprend vite la tristesse d’Edith et… il a un plan. Un plan en apparence très simple: il suffit de trouver une fée capable d’annuler le don de l’éternelle enfance. Il faudra de l’obstination et du courage à nos amis pour arriver à leurs fins. Un peu de chance aussi, sous la forme d’un vieux lutin rencontré par hasard. Il faudra surtout, pour Edith, accepter que le temps la reprenne dans sa course, avec tout ce que cela implique, se plier à ses lois implacables, vieillir et mourir un jour. Mais Edith est prête, accompagnée par de nouveaux amis. L’aventure est belle: c’est celle de la vie !
Edith est un album qui deviendra un classique. On s’y fait des amis chers, ceux qui devinent avant même qu’on l’ait formulé tout ce dont nous avons besoin. On y réfléchit à ce que c’est que l’enfance. Et puis il y a le dessin au trait si épuré de Catharina Valckx, les clins d’œil aux lignes Art Déco (Edith naît aux alentours de 1920), l’attention aux tissus et aux textures, et cette palette douce où éclate le jaune pétillant d’Ikki.
Pour tout cela et tant d’autres choses encore, on vous le prédit: Edith est un album que vous connaîtrez bientôt par cœur et relirez au moins autant de fois qu’Edith a d’années.
Mercredi 17 avril 2024, c’est l’anniversaire d’Hervé Snout, 45 ans, et sa femme Odile remue une dernière fois dans la casserole de bœuf bourguignon qui mijote depuis la veille. Tout est prêt, les enfants sont rentrés du collège et sont disposés à passer à table, la grande villa est tranquille, et on n’attend plus qu’Hervé Snout. Il est en retard. Les minutes filent, les ados affamés commencent à manger. Il n’est pas arrivé. Les heures passent, la soirée se termine. Hervé Snout ne rentre pas. Ni le lendemain, ni les jours qui suivent, on ne reverra Hervé Snout. Le matin même, il s’était pourtant muni de sa verste, de ses clés, de son ordinateur et de son portefeuille, avait enfourché son vélo, comme d’habitude, pour se rendre à l’abattoir du bourg de province, une entreprise qu’il a reprise à bout de bras et qu’il dirige désormais de main de maître.
Où est passé Hervé Snout ?
La police s’empare indolemment de l’affaire, l’épouse est sidérée, le fils est désemparé, la fille est détachée. Les ouvriers de l’abattoir ne cessent pas leur ouvrage, les bestiaux continuent d’affluer en nombre, de beugler, de pleurer, de tomber, de se vider, d’être débités, emballés et livrés.
Qui est vraiment Hervé Snout ?
Dans ce roman haletant dont l’action est datée d’aujourd’hui, Olivier Bordaçarre élabore de manière impeccable une analyse glaçante du monde du travail, de la famille bourgeoise et du couple. Subtilement, chacun des protagonistes tient un rôle prééminent dans l’intrigue et le lecteur avance à tâtons dans l’ombre qui les submerge. Le style est incisif, parfois grinçant, et l’intensité du récit va crescendo, tout comme le pouls du lecteur qui dévore les pages jusqu’au bouquet final. La disparition d’Hervé Snout, par Olivier Bordaçarre, est un roman intelligent, efficace, et fort pertinemment classé dans la collection « Sueurs froides » chez Denoël.
Il s’appelle Paul, vit à Toulouse où il est né un 20 février, il aime les chiens et le cinéma: Paul Sorensen partage tout cela avec les héros des autres romans de Jean-Paul Dubois. Ces petits détails égrenés de livre en livre, ainsi qu’un entêtant sentiment d’étrangeté, sont la signature du romancier et font que l’on se sent d’emblée en intimité lorsque l’on ouvre un de ses livres.
L’origine des larmes pour autant est un roman qui trace de nouveaux sillons dans l’œuvre si riche de Jean-Paul Dubois. Il s’ouvre en 2032, dans un futur très proche mais intrigant. Depuis des mois et des années, il pleut sur la France comme il pleure en Paul Sorensen. L’eau qui ruisselle, fait déborder les rivières, estompe les paysages, c’est la même que celle des larmes retenues par Paul.
Homme solitaire et blessé, Paul va nous dérouler le fil de son histoire, et elle est poignante. Tout commence par une tragédie, une béance originelle impossible à combler : la mort de sa mère et de son frère jumeau pendant l’accouchement. Voici Paul lancé dans le monde avec le poids de cette double absence. Il grandit auprès d’un père violent et manipulateur, et la haine qu’il lui voue devient une obsession – presque l’unique raison de vivre de ce garçon qui a dû, d’emblée, renoncer à tout. Son père, Paul finira par le tuer. Mais il attend pour cela qu’il soit déjà mort. C’est à la morgue que le fils loge deux balles dans le crâne du père. Un geste fou et désespéré, qui désarçonne la justice. Pour toute condamnation, Paul devra pendant un an rencontrer un psychiatre et explorer avec celui-ci « les friches de [son] âme ».
Les chapitres brefs et tendus de L’origine des larmes égrènent les sessions chez un psy qui, lui aussi, en sait long sur les larmes. Au fil de leurs entretiens, Paul et Guzman vont éplucher « les minutes du dégât des hommes ». Un travail éprouvant pour Paul, contraint de « solliciter sa mémoire en permanence, la maintenir sur les rails de l’exactitude, absorber les répliques des instants les plus émouvants », mais qui va aussi être une forme d’échappatoire à la haine et l’occasion de se réapproprier ses souvenirs, sa vie, son destin.
La pluie incessante reflète le dérèglement et l’incertitude qui pèsent sur notre monde, mais selon Paul « chaque averse, prise individuellement, m’offre une pause, un peu de paix, allégeant le poids des jours et celui d’être ». De même les rencontres avec Guzman, qui sont comme « une expédition incertaine, périlleuse et lointaine », portent aussi, fragile, délicat, décisif, la possibilité d’un recommencement.
C’est dans cette tension-là que se tient L’origine des larmes, roman teinté de noirceur et de désespérance mais qui sait aussi, avec l’ironie et l’acuité que l’on aime infiniment chez Jean-Paul Dubois, faire poindre la lumière derrière le rideau des larmes.
Éditions de l'Olivier, 21 euros
Disponible en format numérique ici
Avec Philippe Marczewski nous nous étions promené·e·s dans un Liège prolétaire et jazz avec le recueil déambulatoire Blues pour trois tombes et un fantôme (Inculte, 2019); dans Un corps tropical – prix Rossel 2021 –, nous étions baladé·e·s d’Europe du Nord en Amérique du Sud en compagnie d’un anti-héros malgré-lui et voilà que cette fois, l’auteur nous entraîne, avec un tout autre ton et chez un autre éditeur, dans les méandres du temps et de la mémoire sur les traces de Cécile, tragiquement disparue en août 2021, à 27 ans, dans un accident d’avion.
Notre narrateur a eu avec la jeune femme une brève histoire d’amour, ils se sont séparés, se sont éloignés mais la mort brutale est un choc pour celui qui reste. Après sa disparition, les réminiscences affluent tout en restant vagues et celles-ci tendent inexorablement à s’effacer jusqu’à l’apparition d’une femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, serait-ce elle?, ravivant et rendant plus réels encore les souvenirs.
Dès avant les veillées funéraires, le narrateur se rappelait la jeunesse, la blondeur, le vent dans les cheveux, sur la peau, un temps où tout avenir leur tendait les bras. Il se demande ce qu’il en reste, ce qui a été et ce qui est vraiment. Il essaye de s’accrocher à des bribes de pensées, extraites de la “mélasse obscure de sa mémoire”.
Récit introspectif sur la perte, l’étiolement, l'oubli, les fantômes, Quand Cécile joue sa partition sur un fil ténu, des émotions palpables sur des faits insaisissables. Composition d’une seule et même phrase d’un peu plus de 100 pages, monologue intime qu’on suit comme une enquête, que reste-t-il de nos morts? Il faudrait pouvoir "dépasser le souvenir (...), grimper sur les fragments comme sur un marchepied pour voir plus loin" car Quand Cécile c’est ça: bien plus qu’un récit de deuil, c’est un livre de sensations ineffables comme le synthétise de façon si belle et juste l’épigraphe de Maurice Blanchot, "Qui veut se souvenir doit se confier à l’oubli, à ce risque qu’est l’oubli absolu et à ce beau hasard que devient alors le souvenir".
Editions du Seuil, 17.50 €
Disponible en format numérique ici
À Immensità, la vie se noue autour d’un Jardin vaste et généreux. On y fait ses premiers pas et on y est enterré: le Jardin balise toute l’expérience humaine.
Jusqu’à ce matin où la terre tremble à Immensità. L’haleine glaciale d’une vague noire et subite dévaste cette ville heureuse et disperse les survivants, accueillis dans de lointains dispensaires. C’est là que Mauve, adolescente vaillante, fait la rencontre de Pons. Il faudra du temps et de l’attention pour réparer leurs corps blessés et leurs cœurs inquiets, du temps aussi pour qu’ils regagnent leur ville où le Jardin a repris ses droits. Mais ce temps-là, Mauve, Pons et les autres vont le mettre à profit pour inventer de nouvelles façons d’habiter ensemble.
Récit d’une utopie en marche, Immensità est une fable fervente, portée par la langue aérienne de Victoire de Changy.