Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30
Le carré des indigents est un roman policier résolument old school, et pas seulement parce qu’il nous plonge dans la France de 1973. Claude Schneider, inspecteur solitaire à la Philip Marlowe, n’en finit pas de panser les blessures de ses années algériennes. S’il lui reste des illusions après ce qu’il a vu et vécu là-bas, elles vont s’envoler définitivement lorsque meurt Betty Hoffmann, une adolescente de 15 ans violée et sauvagement assassinée. Dans une ambiance de fin de règne (Pompidou est mourant, les années Giscard se profilent) où toutes les ambitions s’étalent de façon parfois nauséabonde, la rigueur et l’honnêteté de Schneider détonnent, et émeuvent.
L’écriture d’Hugues Pagan est précise, virevoltante; elle prend le temps de la description et capte les lumières, les humeurs, les rapports de force. Loin des thrillers haletants et formatés, aux phrases courtes et à l’efficacité fabriquée, Le carré des indigents est un somptueux roman d’atmosphère, un noir mélancolique et corsé comme on les aime.
Ho, quelle bonne idée qu’ont eue les éditions Denoël de rééditer ce roman rédigé en 1969 par Gordon Williams, dans leur collection « Sueurs froides » ! Car oui, ce texte est destiné aux amateurs de frissons, et je ne parle pas de ceux procurés par la brise de décembre. Quoique…
Un couple anglo-américain d’universitaires, se targuant d’être des intellectuels de gauche et dont les relations battent furieusement de l’aile, quittent le Nouveau Monde pour s’installer dans une bourgade anglaise des plus reculées. C’est que la vie champêtre de l’Angleterre permettra certainement à monsieur d’insuffler à la rédaction de son ouvrage consacré à un écrivain anglais méconnu, toute l’authenticité que ce dernier mérite. Ici, vivent en vase clos depuis des générations, une poignée de gars et leur famille, dont l’isolement et la marginalité ont nourri les frustrations et fermé les esprits déjà peu enclins à la tolérance de l’étranger. Puis, un soir de décembre, une tempête de neige barre tous les accès au village, enfermant nos nouveaux arrivants dans un huis-clos épouvantablement glaçant !
La plume subtilement aiguisée de l’Écossais Gordon Williams mêle à la fois ironie distante et drôle dans le portrait des personnages, et réflexion sur la marginalité sociale et l’incontrôlable folie qui peut s’emparer d’un groupe d’individus. Un récit qui, débutant dans le registre de la comédie familiale, va crescendo et laisse le lecteur pétrifié. Un conseil, toutefois, avant la lecture : vérifiez que les verrous de votre maison soient bien fermés.
Denoël, traduit de l'anglais (Écosse) par Frédéric Brument, 21 €
Début 2019, la colère sociale gronde sous des camisoles jaune fluo aux quatre coins de France. Hervé Le Corre plonge son lecteur dans les tréfonds d’une Bordeaux – sa ville – grise et détrempée.
Plusieurs trajectoires s’y entremêlent.
Le commandant Jourdan, de la crim’, est un flic à la dérive. Continuellement confronté à une violence macabre, il est embourbé, mutique, il s’éteint et s’éloigne inexorablement de sa femme et de sa fille. Branché depuis trop longtemps sur une enquête de féminicides, il erre jour et nuit dans les bas-fonds de cette métropole poisseuse, tantôt chasseur de macs, tantôt prédateur de trafiquants et de criminels sordides. Puis un jour, il croise Louise…
Louise est une mère célibataire trentenaire. Fille d’enseignants décédés accidentellement, ancienne toxicomane, elle parvient à joindre les deux bouts en travaillant comme aide-soignante à domicile auprès de personnes âgées dévorées de solitude. Elle élève seule son petit garçon, unique être capable d’enchanter un quotidien rongé par l’angoisse permanente. Louise est harcelée et violentée par son ex. C’est ainsi qu’elle croise Jourdan.
Christian est un être inepte et banal. Élevé dans la fange par une mère abjecte, une rage destructrice et une soif de domination l’habitent.
Chacun d’entre eux traverse sa nuit, glaciale et infinie.
L’écrivain, loin d’être à son coup d’essai, aborde avec beaucoup d’intelligence des sujets graves et brûlants: sexisme, domination masculine, violences conjugales... Son écriture est ciselée, poétique même – comme des faisceaux de beauté au cœur des ténèbres. Mais surtout, la structure psychologique des personnages est d’une telle justesse que leur désarroi retentit en dehors de la lecture ce qui, selon moi, reste l’un des ingrédients premiers d’un grand roman. Voici un polar déroutant, terriblement intense. Pour les amateurs du genre et tous les autres, de l’excellent Le Corre, donc.
Disponible en format numérique ici