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peau dure - guerinLes librairies indépendantes accompagnent la création, mais connaissent aussi l’histoire littéraire. Parce qu'une librairie, c’est avant tout un fonds, les librairies Initiales ont créé en 2008 un prix qui salue la réédition d’un auteur malheureusement oublié, ou la traduction d’un auteur étranger méconnu. Les Prix Mémorables, ce sont des livres qui sortent des sentiers battus de l'histoire littéraire: une jolie sélection de chefs d'œuvre!

Cette année, les 45 librairies Initiales ont décerné leur Prix Mémorable à "La peau dure" de Raymond Guérin, un roman de 1948 que les éditions Finitude viennent de republier.

"La peau dure" suit le parcours de trois soeurs écrasées par la violence d'un monde qui n'est pas fait pour elles. C'est un roman social, féministe, pleinement en écho avec les questions d'aujourd'hui. Un plaidoyer âpre et beau qui donne une voix à celles qui n'en avaient pas.

 

pavelL'année dernière, le Prix Mémorable est allé au merveilleux "Comment j'ai rencontré les poissons" de Ota Pavel (éditions Do). Adrien avait tôt repéré ce livre singulier et attachant:

"Savoureuses chroniques d’enfance d’Ota Pavel – nom tchèque adopté par sa famille après la guerre remplaçant le nom juif de Popper – dans la belle Bohème tchécoslovaque, ce livre produit, comme le dit le grand auteur italien Erri de Luca cité en quatrième de couverture, des bulles de joie sous la peau.

Tout n’y est pas rose, les temps s’assombrissent, son père juif et ses deux frères seront déportés au camp de concentration de Terezin en reviendront vivants, et consécutivement, le régime communiste ne rendra pas leur existence plus enviable. Toutefois, la poésie, l’humour, l’originalité de l’écriture de Pavel adoucit ces faits tragiques, nous fait rire et sourire.

On y découvre surtout son papa, grandiloquent représentant – détenteur du record international de ventes d’aspirateurs pour Electrolux, il ira jusqu’à en vendre dans un village non relié à l’électricité –, mari fidèle mais fieffé dragueur et surtout pêcheur passionné. A travers les yeux d’enfant de Pavel, c’est la figure tutélaire du père qu’on voit ici, nébuleux géant, ogre bienfaisant, fragile colosse, entrepreneur à l’ambition bancale (après les aspirateurs, il se lancera dans le commerce de tue-mouches révolutionnaires mais foireux pour passer ensuite à l’élevage de porcs puis de lapins). Le fils et romancier ne lui tient pas rigueur de parfois abandonner sa famille pour suivre ses élans hasardeux, tant il représente pour lui la gaieté, le courage et aussi une sorte de bon sens tordu.

On peine à croire que Pavel écrivit ces tendres vignettes interné et touché par une grave dépression. Prenons-les pour une exhortation à la vie et à ses bons moments, des méditations sur la survie, sur le devoir salutaire de mémoire. C’est extrêmement touchant et teinté d’une mélancolie compensée par une jubilation folle et des descriptions de la nature enchanteresses.

Nous remercions chaleureusement Do, cette jeune maison d’édition bordelaise, de nous faire découvrir pour la première fois en français ce classique de la littérature tchèque. Nous allons nous plonger dans le reste de leur catalogue assurément prometteur"

 

 

mes amis - boveLe Prix Mémorable 2016 a été décerné à "Mes amis" de Emmanuel Bove, réédité par les éditions L'arbre vengeur:

Les Namurois ont la chance d'en avoir entendu la lecture, mémorable elle aussi, par François Morel lors de l'Intime Festival 2015. Et pour ceux qui ne connaissent pas ce grand petit livre, voici ce qu'en écrit Mathieu, libraire chez nos amis de Quai des Brumes à Strasbourg:
 
Lumière !
 
Oui, lumière sur un de nos grands oubliés du vingtième siècle : Emmanuel Bove. Ecrivain de l’ombre, préférant la rumeur du pavé à celle des salons, il se fit le chantre des petites gens au destin fragile, des hommes et des femmes sans qualité qui élevèrent leur solitude comme unique étendard.

Lire Bove, c’est assurément ne jamais l’oublier, lire Bove, c’est trouver un ami sur qui poser la tête quand le monde ne tourne pas rond.

Lisez Emmanuel Bove, on vous garantit beaucoup de plaisir et d'émotions!

 

bombe - harrisEn 2015, nous avons sélectionné "La bombe" de Frank Harris (traduit de l'anglais par Anne Sylvie Homassel, La Dernière Goutte, 20 €):

On ne connait pas très bien l’Amérique de la fin du XIXème siècle. Quelques images de paquebots pleins et d’immigrés italiens ou irlandais suffisent souvent à remplir nos tableaux. « La Bombe » retrace les remous politiques qui accompagnaient les conditions de travail désastreuses des ouvriers, en s’arrêtant sur un épisode marquant de la lutte des mouvements ouvriers, la répression policière et la bombe de Haymarket Square.

On y suit les premiers pas sur le continent américain de Rudolph Schnaubelt, et à travers lui les efforts des travailleurs immigrés pour faire valoir leurs droits, dans une Amérique où les natifs, pourtant pas si vieux sur leur sol, sont considérés comme les vrais citoyens.

À Chicago, Rudolph se rapproche des cercles socialistes, dans une époque de meetings et de grèves, et rencontre Louis Lingg. Celui-ci, anarchiste convaincu, le subjugue immédiatement et va l’emmener de plus en plus loin dans ses convictions politiques.

Le livre, écrit en 1908 par Frank Harris, un journaliste ayant lui-même émigré aux États-Unis, n’avait jusqu’à présent jamais été publié en français. Il s’agit d’un récit réaliste de première main qui emmène le lecteur dans l’histoire des luttes sociales et politiques à l’origine du premier mai, en transmettant fidèlement et précisément l’ambiance des cercles engagés de l’époque. L'avis d'Edith

 

scenes de ma vie - felderEn 2014, c'est "Scènes de ma vie" de Franz Michael Felder (traduit de l'allemand par Olivier Le Lay, Verdier, 22 €):

Scènes de ma vie "est le récit autobiographique de la formation d’un jeune vacher à la destinée extraordinaire.

« Je suis venu au monde le treize mai de l’an 1839, entre six et sept heures du matin, à Schoppernau, village le plus reculé des profondeurs du Bregenzerwald. Sous quels signes célestes, dans quel quartier de lune, mon père ne l’a pas noté. Mais en tous cas il devait faire beau, car on pressait nos journaliers de commencer enfin les premiers travaux des champs et d’épandre le fumier dans nos prés. »

 

 Tout est présent dans ce premier paragraphe. Franz Michael Felder naît dans une région et à une époque où il est possible d’avoir à la fois les pieds ancrés dans la terre et la tête dans les étoiles. La nature parle encore aux paysans et dit au père de Franz Michael que son fils ne suivra probablement pas le même chemin que les autres enfants du village. La prophétie se réalise bien vite quand le tout jeune Franz Michaël perd son œil gauche, alors que tous les espoirs (et les économies) de la famille avaient été placés dans le talent d’un médecin, charlatan et alcoolique, qui devait lui soigner l’œil droit… S’ensuit pour Franz Michael, à la fois incroyablement casse-cou et aux pensées extrêmement profondes, une enfance entre normalité et bizarrerie. La lecture forme sa sensibilité tout autant que la compagnie des bêtes. Il pense un temps devenir vétérinaire, mais c’est finalement dans l’écriture qu’il trouvera sa vocation. 

 

« L’homme intègre et de bonne volonté qui écrit au sein du peuple, et pour le peuple, non pour l’argent, celui-là accomplira bien plus de choses qu’un curé », lui apprit le vétérinaire.

 

 C’est ce que réussira ce grand homme que fut, malgré sa courte vie, Franz Michael Felder. Il parvient à donner à ces « vies minuscules » toute la dignité qu’elles méritent. Par ailleurs, comme le souligne Peter Handke dans sa préface, il nous « explique notre propre enfance ». En lisant ces histoires du passé, notre présent s’éclaire. La langue de Felder est riche de toutes les strates de ses lectures : parfois sentencieuse comme les almanachs qu’il aimait lire en famille, parfois très formelle, comme les journaux qu’il adore lire et raconter autour de lui. On sent aussi l’influence de ses lectures religieuses. En effet, jusqu’à son adolescence, Franz Michael aura pour prescripteur et bibliothécaire le curé du village.

 

 
La cerise sur la sachertorte, c’est la traduction d’Olivier Le Lay, déjà responsable d’avoir rendu la voix à Franz Biberkopf dans sa nouvelle traduction de Berlin Alexanderplatz, et qui nous permet de ressentir si justement ce texte qui met une langue sublime au service d’une écriture dépouillée. L'avis de Claire Nanty, Livre aux Trésors

 

 

scierieEn 2013, le Prix Mémorable est décerné à un texte anonyme, "La scierie" (Héros Limite, 16 €)

 

"J’écris parce que je crois que j’ai quelque chose à dire". C’est ainsi que commence ce récit anonyme et espérons que le message passe auprès de directeurs éditoriaux trop avides d’encombrer les tables des librairies !

 

Un jeune homme issu de la bourgeoisie française ayant raté le bac en seconde session et attendant le papier de son engagement dans la Marine, désire, pour subvenir à ses besoins et muscler son corps d’adolescent chétif, se faire employer dans un métier manuel. Ce sera les scieries. Deux ans durant, à toute saison, il sera debout à six heures du matin, fera les kilomètres qui le séparent de son lieu de travail à vélo et ne reviendra que le soir déjà bien tombé. Entre son lever et son coucher, un travail à la chaîne cassant, harassant, abrutissant et plus que risqué l’occupera. D’une écriture brute et limpide, il ne s’agit pas ici de rendre compte d’une quelconque expérience anthropologique d’un jeune homme de bonne famille s’immergeant dans le rude quotidien des petites gens, mais bien de rendre compte de ce qu’est le travail et comment il forme et déforme. Travailler toujours plus fort, toujours plus vite, toujours plus lourd, toujours plus près de la lame d’une scie circulaire au bruit assourdissant et hypnotisant jusqu’à l’accident.
 
Un récit fort et qui résonne bien longtemps après avoir tourné la dernière page. L'avis d'Adrien