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la montagneL'avis d'Adrien :

La montagne, ça déborde. Il suffit d’emblée de voir les crédits d’édition écrits au pinceau par Valfret, ils ne tiennent pas en place, écument à la marge.
La montagne est un refuge ouvert sur l’extérieur, immense et terrifiant mais également apaisant, rassurant.
La montagne contient la sagesse et la révolte, nous élève physiquement, nous fait grandir mais nous fait aussi nous sentir tout petits. Un obstacle à surmonter et un lieu de réflexion.
Cette bande-dessinée est brute et douce à la fois et la montagne y est plus qu’un décor, c’est aussi une métaphore.
Trêve d’oxymores, il fallait bien un aussi beau et grand format pour la présenter cette montagne, et ses vaches, ses nuages, sa terre, les habitants minus et médiocres qui l’entourent, des silhouettes, à travers l’impressionnisme, l’abstraction parfois, des peintures de Valfret.

Par la voix d’un jeune garçon qui allie poésie, humour potache, lucide, grinçant, et phrases coup de poing, on y suit, dans un plan élargi, un village qui a déjà basculé dans la fin du monde, d’un monde, et dans un plan resserré, une histoire d’amour, un moment de vie de cet ado. Par le paysage, on explore les méandres des pensées de ce dernier, ses aspirations, ses tourments, sa libre oisiveté.
C'est rudement beau, magnifique même, c’est l'adolescence, ses corps maladroits en fusion et pleine confusion, ses espoirs aussi et ses désillusions, ça parle en sus de notre monde qui ne va pas très bien, comme on le sait, du monde paysan qui disparaît depuis tant d’années, sans qu’on se bouge vraiment, de la révolte qui gronde, prête à réellement sourdir. Qu’attend-elle donc !?

La nature et les hommes sont fragiles, la relation entre les deux trop peu réfléchie, cela donne un équilibre précaire parfaitement mis en lumière par les peintures de Valfret et le texte de Valfret accompagné par Comme le vent.

En bout de chemin, une conclusion implacable, à la Barry Lyndon, comme posée sur les cendres d’un champ de bataille : "Et les choses dressées, humaines et non humaines, n'auront pas d'autre choix que de s'enfoncer avec humilité dans le sol" suivi de “l’espoir était un poing serré dans une poche de pantalon” en quatrième de couverture.

Editions Frémok, 29 €btn commande

corneliusL'avis d'Adrien :

En 2020, Marc Torices avait illustré la biographie en bande dessinée de l'écrivain argentin culte Julio Cortázar aux éditions Presque Lune et c’était grandiose, un vrai choc visuel.
Torices nous revient cette fois dans un projet solo, scénario/illustration, dont le résultat est à nouveau bluffant.

On y suit les mésaventures du chien Cornelius, très peu respecté par son entourage et dont la seule vraie amie, Alspacka, se fait enlever sous ses yeux. Cet événement va évidemment profondément le troubler mais il va décider de ne pas l’affronter et balayer sous le tapis tout ce qui se rapportera à ce ravissement. A la fois naïf, dépressif, lâche et ambitieux - il a des vélléités de devenir un grand auteur -, le triste Cornelius va prendre toutes les mauvaises décisions pour tenter de se disculper complétement dans cette affaire.

On passe du rire et de l’absurde, à l’effroi, au malaise. Une bd-concept superbement éditée, composée comme une anthologie (d’une série qui aurait traversé les décennies) mariant mille styles, pastichant différents genres ou auteurs de bd. Les multiples ruptures de style traduisent l’état d’esprit des personnages, tous affreux, bêtes et méchants, avec une grande profondeur.

Un peu moins de 400 pages de mise en abyme des pouvoirs de la fiction, un plongeon dans la noirceur de l’âme d’un être qui passe à côté de sa vie.

Actes Sud, traduit de l’espagnol par Fernanda RIVERA, Karine LOUESDON, José RUIZ-FUNES, 34 €. btn commande

 

le cas davidL'avis d'Adrien :

Du suspens fantastique vertigineux !

David Zimmerman, jeune photographe peu sociable, taciturne, se voit entraîner dans une énorme fête de réveillon par son unique ami, le fanfaron Harry. David va tomber en pâmoison devant une intrigante convive qu’il va suivre dans un endroit plus intime. Le lendemain de leurs ébats, David se réveille chez lui, dans le corps de cette fille dont il ne sait rien. S’ensuivent des recherches acharnées, de son propre corps, des raisons, du pourquoi, du comment. Quelle est cette effrayante transsubstantiation ? Comment inverser le phénomène ? Comment vivre cette folie seul (ou presque, nous ne vous en disons pas davantage), car impossible à partager avec quiconque ?le cas david1

Le “bodyswap” (échange de corps) est un thème régulièrement traité dans le genre fantastique mais les frères Harari le traite d’une façon si réaliste que c’en est étourdissant. Les questions soulevées ne sont pas forcément celles évidentes du genre ou de la transidentité (non voulue ici) bien qu’elles soient inhérentes au projet. Sont plutôt abordés l’identité en tant que telle, la judéité aussi, ainsi que l’épigénétique, le passé jamais révolu - notre héros est photographe ne l’oublions pas, archiviste de la mémoire donc.

De Lucas Harari, nous avions déjà beaucoup aimé “L’aimant”, thriller architectural, eh oui !, se déroulant aux Thermes de Vals en Suisse, ainsi que “La dernière Rose de l’été”, polar ligne claire estival. Arthur Harari, le frère, nous avions pu l’admirer au cinéma en tant qu’acteur, scénariste ou encore réalisateur (dans le désordre : “Diamant noir”, “Anatomie d’une chute”, “Sibyl”, “Le procès Goldman”...). Les deux brillants frères s’associent et investiguent le fantastique qui fait frissonner et réfléchir. On retrouve aussi avec joie (et tressaillements) les ambiances, l’atmosphère créées par l’illustrateur tout en quadrichromie et ce genre de héros, artiste loser qui ne s’en laisse pas conter, l'architecture aussi, la ville très présente, un Paris comme on le voit peu. Les éditions Sarbacane ont une nouvelle fois soigné l’objet bd, dos toilé, très grand format, couverture frappante. Tout y est donc parfait et déstabilisant !

Sarbacane, 35 €btn commande