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balladesL'avis d'Adrien ;

Attention, première bande dessinée, c’est virtuose et la virtuosité dans l’humour, c’est quelque chose.
Fendons-nous donc la poire en cotte de maille ! 👑🐸
Une bande dessinée ultra chamarrée, un trait à la rondeur affolante, un langage outrageusement médiéval, un défilé de grenouilles coassant à qui mieux mieux, on peut se demander où vont nous mener les premières pages de cette bande dessinée.
Et puis très vite, le charme opère. On se sent pris dans l’action avec le roi déchu, Gourignot de Faouët transformé en amphibien après un coup d’état fomenté par ses proches, avec la preuse chevaleresse Gounelle délivrant de sa tour, évidemment gardée par un dragon, la princesse à la peau d’albâtre, Patine, promise au roi.
Et on rit du langage qui se trouve être finement ciselé, des couleurs vives et pop qui vont à l’encontre de l’idée générale qu’on se fait du Moyen-Âge, des incursions décalées de nombreuses références pop (Yakalélo Yakalélo, "Estre grenouille libérée, sais-tu ce n'est point chose aiséééé"...).
C’est extrêmement bien fait, très inventif, plein de rebondissements, c’est une épopée enlevée, féministe, hilarante et sa lecture fait du bien ! Longue vie (et beaucoup de publications) à Camille Potte !
Et si d’aventure, vous souhaitiez approfondir l’époque médiévale en mode absurde, il se fait qu'un autre auteur de bd a été inspiré par le temps des Seigneurs cette année. Nous ne saurions trop vous recommander les "Chroniques du château faible" de Jean-Christophe Mazurie, album paru en février chez Fluide Glacial.

 

Atrabile, 22 euros.btn commande

quand souffleL'avis d'Adrien :

Nous avons à faire là à une bande dessinée immense !
Raymond Briggs, jusque-là connu pour ses albums jeunesse (“Le bonhomme de neige” en tête), publie en 1982, en pleine Seconde Guerre Froide, ce réquisitoire contre l’arme nucléaire qu’est “Quand souffle le vent”.

Nous sommes placés comme observateurs d’un couple de retraités profitant d’une petite vie paisible et monotone à la campagne jusqu’à ce que les journaux diffusent des informations préoccupantes sur l’éventualité d’un conflit nucléaire. Dès lors, le couple suit scrupuleusement les prescriptions invraisemblables du Gouvernement dans le “Guide de survie de l’habitant” pour faire face à une telle attaque : se faire un abri contre un mur à l’aide des portes dégondées de la maison, dormir en s’enveloppant de papier-journal, ne plus boire l’eau du robinet, et d’autres bonnes recommandations.

Le mésusage de la langue, le couple utilisant, dans une ignorance totale, un mot technique pour un autre mot technique, le parler populaire - terrib’, ‘pristi !, le fait que le couple, en dépit de tout, continue à parler des petites choses du quotidien (acheter du pain, choisir le dessert,...), et les quiproquos en pagaille (les ennemis sont-ils les “russkoffs" ou les allemands cette fois ?) ajoutent un comique de répétition qui ne fait qu’accroître l’effroi et la tristesse de la situation.
Le décalage donc entre la drôlerie des petites habitudes du couple si loin de la guerre et le tragique de l’événement, les planches surchargées dans un gaufrier [agencement des cases d’une bande dessinée] étouffant - on ira littéralement jusqu’à l’étouffement - est stupéfiant. Les couleurs pastel sont de moins en moins présentes, tout s’éteint petit à petit derrière une brume blanche, l’étouffement à petit feu.

La postface éclairante nous situe parfaitement l'œuvre qui a eu un grand retentissement à l’époque en Angleterre et qui résonne particulièrement aujourd’hui.

 Traduit de l'anglais par Patrick Marcel | Postface de Paul Gravett, Éditions Tanibis, 17 €.btn commande

 

vivreL'avis d'Adrien :

En 1933, les jeunes juifs de Pologne, de 16 à 21 ans, se voient proposer un concours d’écriture en yiddish. Organisé par des sociologues du YIVO, l’institut pour la recherche juive, son but est en réalité plus ethnographique que littéraire. Libre à tous les participants anonymes de livrer ce qu’ils souhaitent, évoquer leurs amis, leur famille, leurs loisirs, leurs projets d’avenir, …

Le premier prix d’une des éditions du concours devait être remis le 1er septembre 1939 qui, funestement, sera le jour de l’attaque de la Pologne par les troupes allemandes. Ce prix ne sera jamais remis et les écrits, cachés, échappant au pillage nazi et aux destructions staliniennes, seront seulement retrouvés en 2017 dans les tuyaux d’orgue d’une église polonaise. Ken Krimstein, illustrateur pour The New Yorker et auteur de la bande dessinée « Les trois vies de Hannah Arendt » (Calmann-Lévy, 2018), a pu consulter ces cahiers et en ressort « Vivre ». Les faits sont vertigineux en tant que tels mais ça l’est encore plus de suivre ces six jeunes présentés ici par l’auteur américain et davantage encore car on sait ce qui a pu leur arriver.

Tout comme Krimstein, on ne peut qu’être ému·e en découvrant toutes les aspirations d’une génération martyre nous dévoilant ses secrets avec passion, spontanéité, liberté. Le trait est relâché, parfois doux, parfois rugueux, il virevolte et parfois explose, le tout dans un noir et blanc relié à l’époque délétère de ces années trente. Toutefois, il est surligné finement ou quelques fois saturé de couleur orange, qui donne vie, chaleur, dynamisme qui sied à cette jeunesse débordante.

Nous voyons à travers ces récits l’essor d’une société - le Yiddishland, région d’Europe de l’Est où était parlé le yiddish par dix millions de juifs jusqu’à sa destruction durant la Seconde Guerre mondiale - voulant plus que jamais allier la modernité à la tradition. On en apprend beaucoup sur l’éducation, les groupes de pensée, les syndicats, … qui cimentent, parfois divisent mais souvent élèvent la population.

« Vivre » nous crie la jeunesse !btn commande

Bourgois, traduit de l’anglas (États-Unis) par Gaïa Maniquant-Rogozyk, 25 €