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J'emporterai le feu vient clore avec maestria la trilogie que Leïla Slimani consacre à l'histoire d'une famille marocaine. Cinq ans après La guerre, la guerre, la guerre, trois ans après Regardez-nous danser, ce troisième volet nous plonge dans les dernières décennies du 20e siècle et lance des ponts jusqu'à aujourd'hui.
Amine Belhaj, soldat de l'Armée coloniale, rencontre Mathilde en Alsace à la fin de la seconde Guerre Mondiale. Coup de foudre, mariage et installation au Maroc. L'amour qui unit le jeune couple va être mis à l'épreuve du pays des autres. Mathilde devra faire sa place au sein d'une famille, d'une langue et d'une culture dont les codes sont bien différents de ceux où elle a grandi. Amine a beau vivre dans sa ville natale, lui aussi demeure au pays des autres, il a hérité de son père un terrain qu'il rêve de transformer en domaine agricole prospère. Lui qui a donné sa jeunesse à la France, il connaît les humiliations que les Français réservent à ceux qu'on appelle "les indigènes"; il ne pourra compter que sur son travail acharné et son tempérament visionnaire pour avancer.
Aïcha et Selim sont leurs enfants. Grandis auprès de ce couple mixte, ils doivent eux aussi lutter pour se forger une vie qui ressemble à leurs aspirations. La sage Aïcha entreprend les études de médecine que sa mère n'a pas pu faire. Elle rencontre Mehdi, étudiant flamboyant, marxiste, aspirant écrivain: un jeune homme ambitieux. Le Maroc de l'après-indépendance s'ouvre à grande vitesse à la modernité: regardez-les danser! Quant à Selim, les hippies du monde entier qui affluent dans les années '70 lui offrent un horizon qu'il ne trouvait pas aurpsè des siens. Bientôt ce sera pour lui l'exil américain, la découverte de la photographie, et une nouvelle quête au pays des autres.
Et puis nous voici aujourd'hui à tourner avidement les pages de J'emporterai le feu. Nous retrouvons avec bonheur la famille Belhaj-Daoud et faisons la connaissance des filles d'Aïcha et Mehdi. Mia et Inès, petites filles sauvages mais confinées dans l'espace domestique, déterminées et intelligentes, sont le cœur vibrant de ce troisième volume. Des héroïnes tout aussi inoubliables que les autres personnages croisés au fil de la trilogie.
En racontant au plus près les trajectoires intimes de chacun·e, Leïla Slimani déploie sur le temps long une fresque qui frappe par son universalité et déplie des questions éminemment contemporaines. Car ce qui se joue dans les vies de Mathilde et d'Amine, d'Aîcha et Mehdi, de Mia et Inès, ce sont les rapports de domination, le poids des héritages, la place des femmes, les questions liées à l'identité. D'une génération à l'autre, chaque personnage se débat pour trouver sa place dans un territoire, un corps ou un imaginaire accaparé par d'autres.
Sensuelle, éclatante, la fresque tisse ensemble mille et un moments de vie et déploie les points de vue, les émotions, les aspirations des un·es et des autres. Chacun de ces moments a sa tonalité propre, sa couleur, son épaisseur, comme les traits d'un tableau pointilliste. Un pas de recul et l'on est subjugué par l'ampleur de la fresque, son rythme soutenu et la façon dont elle entraîne dans sa cavale tout un monde débordant de vie.
Le Maroc a trouvé avec Le pays des autres son grand roman, capable d'embrasser sa beauté et sa complexité et d'embraser les cœurs.
Disponible en format numérique ici.
Le pays des autres: la guerre, la guerre, la guerre est disponible en grand format, en poche et en format numérique.
Regardez-nous danser est disponible en grand format, en poche et en format numérique
Les romans de Florence Seyvos creusent des sillons singuliers. Ils interrogent l'enfance et glanent des bribes, des éclats, où se concentrent son opacité, sa poésie, sa force de subversion.
Un perdant magnifique poursuit ce chemin. Au centre du récit, deux soeurs adolescentes, Anna la narratrice et Irène son aînée. Leur mère a épousé, pour des raisons que les soeurs ne s'expliquent guère, un homme étrange et insaisissable. Tout à la fois flamboyant et pitoyable, Jacques vit en Afrique. Il y gère de mystérieuses affaires. Les filles et leur mère l'y rejoignent, puis rentrent au Havre quand la vie sur le fil que leur fait mener Jacques devient trop hasardeuse.
La vie s'installe alors entre deux continents, entre des départs et des retours, "dans un temps découpé". Anna observe avec acuité cette vie étrange, le ballet mis en scène par ce beau-père fantasque, tour à tour aimant et tyrannique. Ce sont les années 80, on écoute leur bande-son, on lit L'insoutenable légèreté de l'être et on boit du gin. Jacques impose son rythme: "cette vie était la seule qu'il aimait vraiment, celle où le présent n'avait aucune importance. Seul comptait le futur, l'utopie sans cesse réinventée, sans cesse perfectible". Et pourtant les désillusions s'accumulent, la folie guette et la faillite de Jacques devient inéluctable. Sa santé ne résiste pas à un long emprisonnement pour dettes à Abidjan. Le roman, tout entier suspendu aux humeurs de ce "perdant magnifique", se lit en apnée, comme au bord d'un précipice. Le réel qu'invente Jacques est une fiction, il est poreux et se laisse contaminer par ses mensonges, sa verve, sa fantaisie.
Et pendant ce temps Anna grandit. Elle apprend toutes les pertes auxquelles il faut consentir, fait le deuil de son innocence. Et c'est là sans doute le tour de force de ce livre: capter au plus près, au plus juste, la mue qui s'opère à l'adolescence et le moment où il faut quitter la chrysalide de l'enfance. Anna s'avance alors, fragile et résolue, forte des blessures et des éclats de joie qu'elle a accumulés auprès de ce perdant magnifique et inoubliable.
"L'absence est terrifiante et nous avons parfois besoin de la combler en racontant des histoires".
Le livre ouvre des questions passionnantes mais séduit surtout par sa poésie, la beauté de ses images, le vertige qu'il suscite.
Il est magnifiquement édité par TheEriskayConnection (édition bilingue français/anglais, 42 euros).