librairie
point virgule

Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30

la desinvoltureL'avis d'Adrien :

Philippe Jaenada enquête, lit, écrit, boit beaucoup, du bon et du mauvais whisky, digresse énormément. Il fait tout de façon démesurée et c’est là qu’apparaît la littérature, la musique de Jaenada, passionnante, gargantuesque, exhaustive, drôle dans le drame.

L’auteur nous présente une cartographie de la jeune population du café Les Moineaux dans le Saint-Germain-des-Prés du début des années 1950, pas le Saint-Germain littéraire et chic mais le mal-famé, le crade, l’embrumé, le modianesque. Modiano revient d’ailleurs souvent dans ce livre, de même que Guy Debord, ce dernier ayant fréquenté tout ce petit monde. Jaenada emprunte une magnifique phrase du Premier Manifeste situationniste pour le titre de ce roman.

Nous avons affaire à des jeunes femmes et hommes qui avaient entre dix et quinze ans durant la Seconde Guerre mondiale, ils étaient trop jeunes pour être mobilisés mais assez âgés que pour percevoir et comprendre l’horreur de la guerre. Il s’agissait aussi bien d'enfants de collabos que d’enfants de déportés. Ils et elles ont eu des destins flamboyants et fracassés à l’image de Jacqueline Harispe, surnommée Kaki que l’on voit sur la couverture et qui est le point de départ de l’enquête de Jaenada. Comment cette jeune femme, un temps mannequin chez Dior, fiancée à un ancien soldat américain, qui avait l’avenir devant elle, a pu se défenestrer à l’âge de 20 ans ?

A travers un livre de photos de l’époque, du néerlandais Ed Van der Elsken “Love on the Left Bank”, Jaenada a retrouvé tous les jeunes présents dans le fameux café et, à sa manière, entière et par détours, tel un enquêteur obsessionnel, a pisté leur histoire, l’histoire de leurs ascendants, l’histoire de leurs descendants. Il nous revient de façon évidente mais assez étourdissante ici que “la vie est une gigantesque toile de coïncidence troublantes”.
Comme pour harmoniser la théorie par circonvolutions à la pratique, l’auteur donne respiration au récit en relatant le tour de la France par les bords, longeant les frontières, qu’il fait durant la rédaction de ce livre. Régulièrement, en vieux bougon, il grogne contre la disparition des bars qui pullulaient à l’époque de ses protagonistes.

Mialet-Barrault, 22 €btn commande

 

ilaria zalapiL'avis d'Anouk:

Ilaria a huit ans et aime par-dessous tout faire le cochon pendu. Le vide et le vertige l’électrisent et elle se sent alors comme son idole, la gymnaste Nadia Comăneci.

C’est ce vertige qui est au cœur d’Ilaria ou la conquête de la désobéissance. Un divorce qui tourne mal, une enfance sur le fil, une cavale sans fin sur les routes italiennes: le roman est sous tension, imprévisible, sans cesse sur le point de basculer. On retient son souffle, un rien pourrait mener à la catastrophe.

Genève, 1980. Le couple que formaient les parents d’Ilaria se disloque. Un jour de printemps, le père d’Ilaria vient la chercher à l’école. Ce n’était pas prévu, mais la petite fille n’a pas de raison de ne pas suivre son papa. Elle ne sait pas encore qu’il va faire d’elle une monnaie d’échange dans ce divorce dont il ne veut pas, le moyen de faire pression sur la femme qu’il dit toujours aimer.

Ce jour-là commence une cavale qui va durer près de deux ans. Le père emmène sa fille sur les routes de l’Italie, son pays. Il y a la monotonie des paysages d’autoroute, des arrêts dans les stations-services le temps d’une limonade et d’une telefonata à la mère inflexible, des nuits dans des hôtels tristes. Il y a la joie aussi, celle qui naît d’une vie en apparence sans contrainte, joueuse, dans une Italie où les chansons de l’autoradio parlent d’amour et se reprennent à tue-tête.

Ilaria observe. Rien n’échappe à la sagacité de l’enfance. Elle apprend à lire dans les attitudes de son père ses moindres émotions – la nervosité, la peur, la colère. De cette vie dans l’habitacle d’une voiture, elle dit: "nous vivons de profil". Tout se devine du coin de l’œil, rien n’est franc, direct. La vie a une opacité dont Ilaria semble d’abord se contenter mais qu’elle va petit à petit tenter d’érafler. Il y a un mot pour cela: "désobéir. Ce mot tombe en moi comme un caillou. Il me traverse tout entière. Quelque chose s’effondre, me vivifie".

Dans sa conquête de la désobéissance, Ilaria a quelques précieux alliés : sa passion pour le dessin, un singe en peluche devenu son unique confident, quelques femmes qui prennent soin d’elle au gré de son parcours. Alors que son père s’avère toujours moins fiable, ces points de repère permettent à la petite fille de tenir bon.

Ilaria tisse avec les deux précédents livres de Gabriella Zalapi une toile aux résonances très autobiographiques. L’écriture vive, rapide, sans affect, colle aux ressentis d’une narratrice contrainte de grandir avec ses propres règles puisque les adultes sont défaillants. La puissance du texte est telle qu’Ilaria semble là, toute proche, enfant soldat d’une guerre qui n’est pas la sienne et dont elle se protège comme elle peut.

 

Éditions Zoé, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

 

La petite bonne Bérénice PichatL'avis de Maryse:

Voici une pépite de la rentrée littéraire de cet automne.

Entre-Deux-Guerres, dans une bourgade quelque part en France. Une jeune domestique est embauchée dans une maison bourgeoise. Outre le ménage, la lessive, la cuisine et la bonne tenue de la demeure, sa charge sera de s’occuper du mari de la maîtresse de maison durant l’absence de cette dernière, un ancien combattant de la Grande Guerre, gueule cassée, lourdement handicapé et dépourvu de toute autonomie. Pianiste dans une autre vie, il est un homme démoli, misanthrope, accablé d’amertume et gavé de morphine. La petite bonne, elle, est jeune, elle ne connait de cette guerre de 14 que ce que sa mère lui en a raconté, à savoir pas grand-chose, et son milieu, qui était celui de ses parents et de tout ceux avant eux, détermine chaque jour de sa vie.

Ce récit en huis clos raconte la rencontre de ces deux êtres, et la relation singulière qui, avec une subtilité absolue, va se construire et faire dévier leurs chemins respectifs.

La Petite Bonne, dont l’écriture surprend dès les premières pages – la prose poétique y alterne avec une narration plus classique, au gré du point de vue des personnages – et, tout au fil du texte, reste d’une élégance brillante, est à la fois subjuguant et empreint d’une grande force de vie. C’est pourtant la simplicité et le ressenti d’une profonde humanité qui resteront durablement dans la tête et le cœur du lecteur de ce très beau récit.

Les Avrils, 21,10 euros.btn commande