Le 22 mars 2016, jour funeste des attentats de Bruxelles, la seconde fille de Sophie Pirson est grièvement blessée dans le métro de Maelbeek. Sidération.
Depuis ce séisme qui a ébranlé la vie de sa fille et de leur famille, Sophie Pirson a décidé de rejoindre un groupe de paroles créé à Bruxelles, où se retrouvent des survivants et des proches ainsi que des parents de jeunes gens radicalisés.
De cette expérience naîtra un livre, Couvrez-les bien, il fait froid dehors, dans lequel Sophie Pirson mêle sa voix à celle de Fatima Ezzarhouni, mère d’un jeune homme aujourd’hui décédé en Syrie. Toutes deux jeunes grand-mères, elles décident de réfléchir à la transmission. Que souhaitent-elles transmettre à leurs petits-enfants de notre monde déchiré?
Sophie Pirson entame alors un travail d’écriture pour dire au plus près leur amitié, leurs échanges, leurs doutes. La terreur qui les habite, autant que la joie qui peut surgir d’un échange, d’un repas partagé.
Ce livre émouvant et lumineux sera suivi de très nombreuses interventions des deux amies dans des écoles, des institutions ou d’autres groupes de paroles. Sophie Pirson se confronte alors à un questionnement philosophique incessant: qu’y a-t-il entre la haine (qu’elle ne ressent jamais) et le pardon (qui lui semble très éloigné)? Que mettre dans cet espace caché dans les plis de la langue?
Quelques mois plus tard s’ouvre le procès historique des attentats. Sophie Pirson décide de s’y rendre chaque jeudi, avec l’idée d’approcher une forme de réponse à son questionnement, prendre à bras le corps le sujet du pardon à travers ce projet d’écriture. Car c’est un carnet et un crayon à la main que Sophie Pirson franchit les portes de "Justitia", ce méga-palais de Justice, dont le nom sonne comme [celui] d’une île gagnée par des pirates.
Débute alors un passionnant journal de bord, à la fois très intime et qui invite au recul, à la réflexion. Sophie Pirson observe les moindres détails des rouages de cette grande machine judiciaire, incarnée par les magistrats, les jurés, les accusés, la police, les avocats et journalistes.
Elle noue des liens forts avec celles et ceux qui, pendant des mois, assistent à ce procès hors-normes. Des survivantes et survivants, des proches, des plus lointains, des observateurs. Des femmes et des hommes qui, de mois en mois, devront faire la rude expérience de cette traversée au long cours, faite de doutes, de colères, de jours sombres et d’espoir. Dans les couloirs, le réfectoire, tous les "à-côtés", elle traque sans relâche les regards, les larmes, les mains noueuses. Elle accueille la parole sur le vif, celle qui surgit au sortir d’une journée d’audience, celle qui se fraye un chemin au milieu de toutes les émotions contradictoires.
Jour après jours, mois après mois, il me faudra être attentive aux bruissements de paroles urgentes, aux mots échangés à bas bruit, mais aussi tendre l’oreille au silence pour écouter ce qui ne se dit pas.
Sophie Pirson trouve une place dans ce grand tout et va entrevoir, ici et là, des éléments qui viendront se glisser dans cet espace entre la haine et le pardon. Son écriture du réel nous embarque à ses côtés, de ses périples en bus pour rejoindre cette "île" à la chaise qu’elle occupe dans un couloir ou la salle d’audience. Elle partage avec nous le chemin sinueux de celles et ceux qui doivent continuer à vivre après leur traversée des ténèbres.