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Les livres de Maggie Nelson hybrident les genres. Chez elle la théorie critique embrasse le récit intime, la philosophie se fait lyrique, l’érudition raffinée rencontre la rudesse des corps. Et toujours cette grâce qui fait de chaque texte un talisman précieux, une réserve où glaner sens, douceur et beauté.
C’est dire le plaisir de découvrir enfin en français, dans la très belle traduction de Céline Leroy, ce recueil de poèmes où la liberté et la singularité de Maggie Nelson éclairent les questions éternelles de l’amour et de la perte.
Quelque chose de brillant avec des trous, c’est la façon dont une jeune fille aveugle décrit sa propre main qu’elle n’a jamais vue. Tout le livre se tient là, entre présence et absence, dans l’intensité du regard porté autant à l’intérieur de soi que vers le monde qui nous entoure.
Éditions du Sous-Sol, traduit de l'anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 17 euros
Les éditions du Sous-Sol viennent de republier dans leur collection de poche "Souterrains" les magnifiques Bleuets de Maggie Nelson.
Il y a des livres qui s’impriment en nous aussi puissamment que des amis ou des amours. Des livres dont on se rappelle précisément quand on les a lus, quelle soif ils ont étanchée, quelle lumière ils ont fait briller. Ces livres-là, comme les amis, comme les amours, ce sont des rencontres décisives, et il n’y en a pas tant dans le cours d’une vie.
Les détails s’ouvre ainsi, sur le pouvoir que possèdent certains livres de nous faire voyager vers la personne que nous étions quand nous les avons lus la première fois. Par la grâce d’un roman, la narratrice remonte le fil du temps et redevient une jeune femme de 25 ans, fiévreuse, amoureuse, tragiquement blessée lorsque s’en va celle qu’elle aime.
Les quatre chapitres qui s’égrènent ensuite portent pour titre les prénoms de personnes dont la rencontre a transformé la narratrice. Relations amicales ou amoureuses, en pointillés ou au long cours, toutes créent la forme dans laquelle se coule l’existence de cette femme. Son prénom à elle, nous ne l’apprendrons qu’à la toute fin du livre, comme si le détour par les autres était nécessaire pour réussir à se dire soi-même: « le moi n’est rien d’autre que cela, le soi-disant "moi": les vestiges laissés par les personnes contre lesquelles nous nous frottons (...). C’est sans doute cela le cœur de nos relations, et c’est sans doute la raison pour laquelle, en un sens, elles ne sont jamais terminées ».
Le charme magnétique des Détails tient à ses portraits subtils, au tissage narratif épatant de maîtrise, à la façon dont le livre collectionne les états de grâce, « juste des instants et ce qui y advient ». Il vient aussi d’une nostalgie sauvage et lumineuse pour une époque pas si lointaine (les dernières années du 20e siècle) dont le tournant numérique a ringardisé les affects, les espoirs, l’innocence.
C’est un livre profondément singulier que nous offre Ia Genberg: tout à la fois méditatif et enlevé, poignant et drôle, d’une inventive liberté. Un livre qui touche à l’essentiel et fait empreinte dans nos vies de lecteurs.
Le Bruit du Monde, traduit du suédois par Anna Postel, 21 euros
Disponible en format numérique ici
Les romans de Gary Shteyngart se tiennent sur le seuil de la catastrophe – c'est le secret de leur incroyable drôlerie.
Très chers amis ne déroge pas à la règle, puisqu’en nous parlant d’un pays à bout de souffle – entre les centaines de milliers de morts dus à la pandémie de covid et l’étouffement de George Floyd, on respire mal dans les États-Unis de 2020 – et en totale perte de repères, il nous fait sourire et rire. Les ingrédients de cette comédie piquante ? Une formidable galerie de personnages, des dialogues virevoltants, une mélancolie tchekhovienne mêlée à des airs de K-Pop, des allers-retours joyeux vers le New York underground et insouciant des années 90.
Ces Très chers amis, ce sont les proches de Sacha Senderovski, un écrivain américain né en URSS (c’est le cas aussi de Gary Shteyngart). Senderovski a connu une éphémère heure de gloire quelques années plus tôt et s’est acheté une coquette résidence secondaire sur les rives de l’Hudson. L’endroit s’avère idéal pour fuir New York assiégée par le virus. Autour de Senderovski, de son épouse Macha et de leur fille Natacha, quelques amis viennent partager cette retraite privilégiée et apprennent à conjuguer les notions nouvelles de « distanciation sociale » ou de « quarantaine » avec les questions éternelles du désir, de la trahison, des illusions perdues ou retrouvées.
Le huis-clos ne va pas sans tourments, ni sans surprises. D’autant que, pour corser le tout, un intrus se joint à la bande : l’Acteur, un comédien célèbre venu travailler à un projet de série avec Senderovski. Sa notoriété et son irrésistible attrait vont faire dérailler un peu plus la vie de la petite communauté.
Par son dispositif habile et ses références assumées au théâtre de Tchekhov comme à la télé-réalité – pour tromper l’ennui, tous ces intellectuels passent des heures devant un soap opera japonais particulièrement niais – Très chers amis pousse l’art du roman dans ses retranchements. Comédie de mœurs réjouissante, le livre est aussi un portrait sans concession d’une Amérique gangrénée par le racisme, la peur de l’autre et les fake news.
Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Stéphane Roques, 24 euros