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voix de la riviere rae thonL'avis d'Anouk:

Un rayon de lumière trouve son chemin à travers les branches hautes – or scintillant, éclat mouvant, grâce.

Voilà l'effet que produit la lecture de La voix de la rivière, un livre qui vous éclabousse de lumière et de beauté.

L'histoire pourtant est tragique mais elle est racontée depuis la vie, la vie têtue, invincible et toujours réinventée. Melanie Rae Thon est une écrivaine rare et trop méconnue. Elle écrit comme chantent les oiseaux, depuis la frontière entre les mondes. La pureté de sa langue, le lyrisme qui y pulse, la limpidité de la construction font de ce roman un instant suspendu.

Comme dans Iona Moon, Melanie Rae Thon raconte des vies âpres et poignantes, marquées de deuils, d'arrachements, de violence sociale. Et pourtant "ceux qui espèrent survivent", et même les destinées les plus tragiques ont leurs épiphanies d'amour et de perfection. Dans ce coin perdu des États-Unis, il y a des enfants sans-abri, des corps meurtris par la guerre, des âmes écrasées de souvenirs douloureux. Il y a aussi deux cousins, Kai et Tulanie, nés à neuf jours l'un de l'autre et qui s'aimaient déjà dans le ventre de leurs mères. Autour de ces deux garçons, 17 ans seulement mais ayant déjà éprouvé de l'expérience humaine tant de joies et de peines, le récit se tisse. Il alterne plans serrés et séquences vastes comme des mondes: "plus rien n'est séparé à présent, plus rien en dehors du mystère – pierre, nuage, arbre, rivière".

Le roman s'ouvre dans le froid glacial d'un matin de février. Kai est sorti avec son chien. Emporté à la poursuite d'un écureuil, le chien passe la rivière gelée mais la glace cède sous son poids et la rivière l'engloutit. Le garçon accourt, tombe à son tour dans l'eau glacée, se laisse arracher par le courant. Pourra-t-on enlever Kai à l'emprise de l'eau et du froid? La communauté se mobilise pour sauver le garçon, chacun avec son histoire, ses failles, ses convictions. Chacun avec son chant, au gré des heures de la journée et des chapires du roman.

"Tant que l'eau parle, il faut que j'écoute", disait la grand-mère de Kai. La voix de la rivière est la pulsation de cette épopée collective. En elle fusionnent les paroles et les silences des hommes, les cris des animaux, le reflet du ciel, l'entrelacs des racines. Melanie Rae Thon n'a pas son pareil pour dérouler la toile du vivant. Son roman-monde tient sur un petit bout de terre et en une seule journée mais réussit à capter la vie dans ses infinis miroitements. "Combien de temps dure un jour dans une vie d'enfant?" À n'en pas douter: une éternité.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Mathilde Bach, 22.50 eurosbtn commande

le ducL'avis de Maryse:

Les premières lignes de ce gros roman rapportent une scène curieuse : celle d’une escarmouche entre une corneille et une buse dans un ciel dégagé, un contact bref mais à la violence sauvage, animale et fulgurante…

Le dernier héritier d’une ancienne et illustre lignée aristocratique décide de revendre ses hôtels particuliers en ville et de réintégrer le manoir historique de sa famille. L’imposante propriété est juchée à flanc de montagne, perdue en pleine forêt et bâtie en surplomb d’un petit village de quelques âmes oubliées du monde. Certes, celui que les habitants du coin surnomment ironiquement le « Duc » ne bénéficie plus vraiment du prestige qui était dans le passé conféré par son rang, mais il a des biens et, richesse ultime, du temps qu’il use calmement à éplucher des vieilles archives, tandis que la gestion de ses vastes parcelles est confiée à un bûcheron du cru. Pourtant, lorsque ce dernier avertit le Duc que Fastréda, un fermier puissant et craintivement respecté par la communauté, vole sans vergogne le bois de son domaine, l’oisif aristocrate se sent souffleté. Ce qui aurait pu se régler sans trop d’encombre se transforme alors en duel terrible entre deux maîtres qui veulent faire valoir leur loi. Un pugilat qui, pour le « Duc », se mutera en quête de ses origines profondes.

Voici un roman épique sur la fureur du pouvoir, la férocité des hommes, l’intransigeance de la montagne titanesque, l’envahissement de la forêt sauvage et le gouffre de l’oubli.

Matteo Melchiorre, archiviste médiéviste et spécialiste de l’histoire des montagnes et des forêts, fait montre, par une écriture élégante et léchée, d’un épatant sens de l’intrigue. Il brouille les pistes par rapport au lieu et au temps de la narration – le lecteur se laisse toutefois guider dans ce passé du présent, qui se déroule ailleurs, là où la nature arbitre d’une main de fer les relations humaines. Le Duc est un roman surprenant. Tantôt âpre, tantôt empreint de drôlerie, il est d’une subtilité folle. Matteo Melchiorre y joue parfaitement le jeu littéraire des échos – rien dans ce roman ne semble hasardeux – et, selon moi, s’inscrit pleinement dans la tradition des grands écrivains italiens.

Métailié, 23.50 euros.


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ciel tombe mazzettiL'avis d'Anouk:

La Villa domine le village. Il faut un cheval pour faire le tour du domaine tant il est vaste. Entre les murs, on parle l’italien et l’allemand, l’anglais et le français. Les invités se succèdent – artistes, excentriques, intellectuels. Le piano résonne, les livres sont partout, on joue aux échecs. Et le dimanche, seuls les domestiques se rendent à la messe du village.

La Villa est un îlot résolument à part dans la Toscane des années 30. La propagande fasciste n’y entre pas. On lui tient tête en parlant philosophie, culture, laïcité.

C’est dans cette villa, propriété de son oncle et de sa tante, que grandit la petite Penny. Elle et sa sœur Baby y ont été recueillies suite à la mort de leurs parents. L’oncle – Robert Einstein, un cousin d’Albert – est admiré et craint. Penny sait par le curé du village qu’il ira en Enfer, puisqu’il est Juif. Alors elle tente de lui acheter une place au purgatoire en inventant, pour elle, sa sœur et leurs amis, les fils et les filles des paysans du village, des séances de pénitence oscillant entre burlesque et tragique.

Penny est tiraillée entre deux mondes. À l’atmosphère feutrée de la Villa, elle préfère les jeux du dehors, la vie dans les arbres, les courses sans fin avec les enfants de métayers. Quand elle arrive à l’école dans l’unique voiture du village, conduite par un chauffeur en livrée, elle est la seule à porter un prénom étranger, la seule à ne pas sentir « le foin et le mouton ». Penny vénère sa maîtresse et plus encore le Duce et Jésus. Ces deux-là, elle les confond un peu, à force d’entendre parler de leurs hauts faits respectifs. Et puis il y a la Vierge, le Diable qui parfois prend la forme d’un coq et essaie de faire dégringoler le ciel aux enfers. Heureusement, les enfants sont là : « Il fallait qu’on lève les mains en l’air pour soutenir le ciel. Lea a entonné un chant, nous on avait toujours les mains en l’air, les visages rouges à cause de l’effort. Le ciel est sur le point de tomber, le ciel tombe, et nous on est là, avec les bras en l’air pour soutenir le ciel. (...) Qui nous aidera ? ». Entre la Villa et le village, comment trouver une place ?

Le ciel tombe raconte au plus près l’enfance de Penny. Tour à tour effrontée, candide, cruelle, tourmentée, la petite fille détaille son quotidien, ses jeux et ses rêves dans une succession de chapitres vifs. Et puis la guerre arrive, enserre la villa dans un étau chaque jour plus étroit. La tragédie approche, elle prend son temps puis finit par s’abattre, implacable, sur Penny et les siens. L’enfance est révolue et l’innocence avec elle, mais dans le cœur de Penny et de sa sœur demeurent, irréductibles, des éclats de beauté et de poésie. L’héritage de la Villa et de ses habitants, ce « Souvenez-vous » qui est la dernière parole de l’oncle au seuil de la mort.

Lorsqu’elle publie Le ciel tombe en 1961, Lorenza Mazzetti ne dévoile pas que c’est sa propre enfance que l’on y lit. Elle attendra trente ans pour le révéler. Raconter cette histoire lui permet d’apaiser les fantômes qui la hantent : « tous les survivants portent en eux le poids de ce « privilège » et le besoin de témoigner ». Le ciel tombe est un chef d’œuvre sauvage, d’une rare intensité.

 

La Baconnière, traduit de l'italien par Lise Chapuis, 19 eurosbtn commande