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LapvonaL'avis d'Adrien :

"Lapvona" aurait pu s’appeler ‘Le livre de la foi’ car il y est question de foi en un Dieu, en des dieux, en la nature, en la magie. Il y est aussi évidemment question de foi en les autres, de foi en soi-même.
"Lapvona" aurait pu s’appeler ‘Le livre des fluides’ car on y rencontre du sang, du sperme, des larmes, de la morve, de la bave, des menstrues, du lait maternel, des excréments, de la boue, de la pluie, du vin, de la bière, de l’eau tout simplement... On en passe.
Sans détour, "Lapvona" s’appelle "Lapvona" car tout se passe dans le village de Lapvona, dans un temps qu’on pourrait dire médiéval dans un espace qu’on pourrait penser nordique. ‘Lapvona’ est un conte poisseux qui mêle effroi et causticité, on y plonge comme on entre dans une forêt maléfique dont on ne saurait s’extirper mais qu’on n’a pas envie de quitter. Suivez sans attendre les fortunes et infortunes du jeune Marek, fils d'un berger paria qui devint fils du Seigneur de Lapvona.

D’Otessa Moshfegh, nous avions adoré “Mon année de repos et de détente”, un récit très urbain et contemporain avec une héroïne plutôt autocentrée. On est dans tout autre chose ici mais c'est à nouveau tout aussi bluffant de maîtrise.
Cette grande autrice a également écrit deux autres romans et un recueil de nouvelles qui n’attendent que nous, qui n'attendent que vous. Foncez !

Fayard - traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 22 € btn commande

trust diazL'avis d'Anouk:

Trust est un livre-matriochka: une collection de quatre romans si habilement emboîtés les uns dans les autres qu'elle en donne le vertige. Labyrinthique et brillant, le second roman d'Hernan Diaz nous parvient auréolé du Prix Pulitzer dans une épatante traduction de Nicolas Richard.

Au départ, il y a un texte on ne peut plus classique, un roman intitulé Obligations et signé Harold Vanner. On y suit la fulgurante ascension d'un homme d'affaire new-yorkais, Benjamin Rask, qui par son génie mathématique et son audace démultiplie la déjà confortable fortune familale. À New York, en ce début de 20e siècle, tout semble possible et l'optimisme est tapageur. D'un coup d'éclat à l'autre, Rask devient un magnat incontournable, l'un des rares à prospérer même sur les décombres de la Grande Dépression. Tandis que Rask poursuit la construction de son empire, son épouse Helen s'étiole et sombre peu à peu dans la folie. Elle meurt dans le luxueux sanatorium suisse où son époux l'a envoyée, victime d'une séance particulièrement violente d'électrochocs.

Le roman d'Harold Vanner est un best-seller, et ce n'est pas pour plaire à Andrew Bevel. C'est que c'est sa propre vie qu'il reconnaît dans les pages d'Obligations – sa vie et celle de son épouse Mildred, récemment décédée d'un cancer soigné en Suisse. Bevel veut rétablir la vérité et laver, surtout, l'honneur de Mildred qui n'a jamais côtoyé la maladie mentale. C'est la seconde partie de Trust, et elle vient invalider la première – nous, les lecteurs, nous nous sommes laissés berner par une fiction, un roman malveillant, d'autant plus scandaleux qu'Harold Vanner était un proche de Mildred et avait profité de ses largesses.

L'autobiographie partielle et fragmentaire que livre Andrew Bevel va elle-même être emportée par le souffle de la troisième partie du livre. Arrivée au soir de sa vie, Ida Partenza visite le musée qu'est devenu le manoir des Bevel. Elle se rappelle sa jeunesse et comment, à vingt ans à peine, elle s'est fait engager par Andrew pour faire de ses bribes autobiographiques un vrai livre de Mémores, quitte à enjoliver le passé, à mentir s'il le faut, à lisser l'image de son couple au point de rendre bien fade la figure de Mildred. Ida était jeune, elle n'a pas saisi les enjeux du tour de passe-passe que l'on attendait d'elle. Et même si le livre voulu par le magnat n'a pas vu le jour, Ida reste rongée par le sentiment d'avoir participé à une manipulation retorse: Bevel voulait par-dessus tout dissimuler l'intelligence de sa femme, dont il s'est sans scrupule approprié les plus belles intuitions.

Cinquante ans durant, Ida n'a cessé de penser à Mildred. Son obstination amènera l'ultime coup de théâtre de Trust: la découverte du journal de Mildred, où se lit à découvert tout ce qui a été caché, trahi, tronqué par son époux. La boucle se referme, et l'on en vient à se demander si Mildred n'est pas la véritable autrice du roman d'Harold Vanner...

De rebondissement en rebondissement, Hernan Diaz nous fait douter de tout, sauf du pouvoir infini de la littérature. En s'emparant des mythes fondateurs américains (l'individu tout-puissant, la fascination pour la fortune), il les subvertit avec une inventivité peu commune. Comme Ida qui a conservé précieusement un buvard de Mildred où s'inscrivait, à l'envers, les secrets qu'elle n'a pas réussi à percer, comme le père d'Ida, typographe anarchiste à qui son métier a appris à lire le monde à l'envers, Hernan Diaz nous partage un savoir de révolutionnaires: "ils savaient que la matrice du monde était inversée, et même si la réalité était à l'énvers, ils pouvaient la comprendre au premier coup d'oeil."

Brillant et subjuguant!

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, 23.50 euros

btn commandeDisponible en format numérique ici

 

inventaire de choses perdues schalanskyL'avis d'Anouk:

Inventaire de choses perdues est l'une des lectures les plus résonantes de la rentrée littéraire.

Écrivaine et artiste allemande, née dans cette RDA engloutie par l’histoire, Judith Schalansky ramasse dans ce livre les éclats de choses perdues, oubliées, lacunaires – comme autant de cailloux précieux. D'une île qui a sombré dans le Pacifique à un poème de Sappho, d'un film fantôme aux ruines d'une villa, d’une peinture brûlée au Tigre de la Caspienne, toutes ces parts manquantes de l'histoire humaine nous donnent des nouvelles de nos vies, tissées de béances, d'oublis, de pertes.

Dans chacun des douze textes qui composent cet Inventaire, Judith Schalansky se tient sur un fil ténu entre poésie et érudition. Vie rêvée ou biographie imaginaire, chaque texte ouvre des espaces de méditation et de sensation : « Rien ne peut être ramené par l’écriture, mais tout peut être rendu à l’expérience ». Le livre nous parle de la beauté de l'éphémère et réfléchit, dans une démarche qui fait penser à celle de W.G. Sebald, au mouvement de balancier entre mémoire et oubli. Car « Il est certes grave de tout oublier. Mais il est encore plus grave de ne rien oublier, car toute connaissance est d'abord engendrée par l'oubli. Si tout s'enregistre indifféremment comme sur un support de stockage électrique, la signification se perd au profit d'un amoncellement désordonné d'informations inutilisables ».

L’objet-livre lui-même est pensé pour accompagner la démarche de l’autrice. Sa mise en page soignée, ponctuée d’images évanescentes, participe à la force de la réflexion. C’est que le livre a lui aussi un rapport intime avec le temps et la mémoire – c’est « un espace proche de la ruine, utopique, dans lequel les morts sont bavards, le passé vivant, l’écriture vraie et le temps maintenu ».

Inventaire de choses perdues est une ode inspirée à la curiosité doublée d’une invitation à déambuler dans les couloirs du temps. L’expérience est magique.

Éditions Ypsilon, traduit de l'allemand par Lucie Lamy, 24 €btn commande