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hors la loi northL'avis de Maryse:

Far-West, années 1890. Ada a 17 ans et se destine à une carrière de sage-femme – un métier certes essentiel mais qui se rapproche, dans les esprits étriqués et superstitieux de cette bourgade du Texas, d’une magie certaine. De surcroît, en ces temps reculés de chasse aux sorcières où l’unique rôle d’une femme est d’enfanter, son ventre ne s’arrondit toujours pas.

Pour échapper à la pendaison, Ada s’exile et pénètre dans un gang de « bandites » de grands chemins, de femmes qui ont subi le même sort qu’elle, et qui, éprises de rage et de liberté, sont devenues des hors-la-loi par nécessité. Anna North réussit le défi de nous plonger dans un véritable western, bourré d’aventure, d’action et borné des topoï propres au roman de genre. En revanche, elle le fait à la sauce féministe, en se focalisant sur les violentes disparités de cette époque, qui fascine encore, ainsi que sur les infaillibles pouvoirs que peut porter la sororité.

Éditions Stock, La Cosmopolite, traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch, 23 €

Disponible en format numérique ici

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016bisL'avis d'Adrien :

Durant l’étouffant été 1984, Autopsy Bliss (autrement dit Autopsie Félicité, tout un programme !), le procureur de Breathed (en version française, Respiré), petite ville de l’Ohio, fait paraître dans le canard local une invitation au diable à se présenter à lui. Car c’est bien là le travail d’un procureur de juger sur pièce ce qui est bien et ce qui est mal. Peu après cette annonce, la bourgade voit débouler Sal, un jeune garçon noir, de loques vêtu, crasseux et fatigué, prétendant être le Malin.
La gentillesse et la franchise de ce bon petit diable font qu’il s’intègre bien vite dans la famille Bliss qui l’adopte aussitôt. La petite communauté de Breathed ne va pas l’entendre de cette oreille, va jouer de putride xénophobie et lancer l’engrenage du désastre. De petites perturbations en grands renversements, c’est toute la famille Bliss et en fin de compte toute la ville qui vont s’embraser, pointer du doigt l’ange déchu et être plongées dans une tragédie prophétique.


Après le mémorablissime Betty, on retrouve avec plaisir la force et la délicatesse de l’écriture de Tiffany McDaniel, à chaque page ses tournures de phrases aériennes et poétiques, à chaque chapitre un conte éclairant, tout au long du livre un narrateur marquant, Fielding, le plus jeune fils d’Autopsy, vivant là dans son enfance un moment clé de sa vie.
Moins sombre, quoique, et peut-être un poil moins remuant que Betty, on s’aperçoit vite qu’on fait face à une grande romancière. Elle épouse l’intime et charrie l’histoire d’un pays de contrastes forts, né de l’exil et de la violence. Qu’il s’agisse de moments plus légers, voire carrément drôles ou d’épisodes sordides, c’est une réelle soif de lire qui nous saisit, comme le font les romans de John Irving ou plus proche de nous et moins connu mais à (re)découvrir de ce pas, Brady Udall. En deux romans généreux, à la fois exigeants et accessibles, Tiffany McDaniel marque de la plus belle des empreintes la littérature américaine.btn commande
Que sa sortie ait eu lieu « l’été où tout a fondu » n’est probablement pas un hasard, prophétique on vous dit !

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par François Happe, 25.60 €

crossroads franzenL'avis d'Anouk:

New Prospect est une ville prospère de la banlieue de Chicago. En cette veille de Noël 1971 pourtant, il semble que le monde solide et bien étayé dans lequel évoluent les habitants de New Prospect commence à vaciller. La guerre du Vietnam, la libération sexuelle, les drogues et le rock sont autant de coups portés à l’édifice d’une Amérique sûre d’elle, nantie, immuable.

Prenez la famille Hildebrandt. Le père, Russ, est pasteur dans une église progressiste. Il défend une religion ancrée dans le social et est fier des passerelles qu’il tend entre ses paroissiens respectables et les habitants de quartiers noirs de Chicago. Il est aussi l’initiateur d’un programme d’aide aux Indiens Navajos auquel il sensibilise les jeunes de sa paroisse au cours d’un voyage annuel. Et pourtant: derrière la façade, rien ne va plus pour Russ Hildebrandt. Son couple est moribond, son autorité ébranlée par un pasteur plus jeune et plus charismatique, ses propres enfants s’écartent ostensiblement de lui. Le doute ronge sa foi, et son attirance malsaine pour une très jeune paroissienne, puis pour une mère de famille séduisante, n’en finit pas de le torturer.

L’étiolement de la vie de Russ est le pivot autour duquel Jonathan Franzen articule Crossroads, un sixième roman étourdissant de maestria et de puissance romanesque. Dans une construction à la fois limpide et sophistiquée, parfaitement « franzenienne », Crossroads fait tenir ensemble l’infiniment petit (le couple Hildebrandt et ses quatre enfants, scrutés dans les moindres frémissements de leurs pensées et de leurs actes) et l’infiniment grand (un pays qui bascule, traversé par des courants antagonistes et pris dans le tourbillon de la grande histoire).

La famille et ses drames sont le poste d’observation privilégié par Franzen pour parler de la politique, de la (contre-)culture, du difficile métier d’homme. Comme les Lambert dans Les corrections, les Hildebrandt peinent à vivre ensemble. L’incompréhension guette, le choc entre les générations est virulent et il faut sans cesse rééquilibrer les flux qui circulent entre ces personnes pourtant censées s’aimer et prendre soin les unes des autres. Jonathan Franzen est un portraitiste hors-pair, maniant ensemble ironie mordante et empathie. Il sonde avec acuité la psyché de personnages complexes, torturés, perdus. De ce magma d’émotions mal contrôlées, d’intentions dévoyées, de douleurs lancinantes, il tisse une fresque généreuse, aussi souvent drôle que poignante, marquée par une énergie qui ne faiblit pas au long des 700 pages du livre.

En marchant dans les pas de la famille Hildebrandt, c’est aussi la chronique d’une époque que l’on parcourt. Une époque pas si lointaine et pourtant tellement révolue. Le roman met au jour ce qui « avait brisé le monde autrefois continu en fragments tranchants ». Les gouffres au-dessus desquels on avançait en 1971 ne sont pas moins périlleux que ceux de notre époque.

Et l’on se réjouit que Crossroads ne soit que la première pierre d’une œuvre plus vaste – deux autres romans devraient suivre. On ne doute pas qu’ils seront aussi captivants et épatants que celui-ci.

 

 

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Olivier Deparis, L'Olivier, 26 €btn commande

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