librairie
point virgule

Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30

tres chers amis shteyngartL'avis d'Anouk:

Les romans de Gary Shteyngart se tiennent sur le seuil de la catastrophe – c'est le secret de leur incroyable drôlerie.

Très chers amis ne déroge pas à la règle, puisqu’en nous parlant d’un pays à bout de souffle – entre les centaines de milliers de morts dus à la pandémie de covid et l’étouffement de George Floyd, on respire mal dans les États-Unis de 2020 – et en totale perte de repères, il nous fait sourire et rire. Les ingrédients de cette comédie piquante ? Une formidable galerie de personnages, des dialogues virevoltants, une mélancolie tchekhovienne mêlée à des airs de K-Pop, des allers-retours joyeux vers le New York underground et insouciant des années 90.

Ces Très chers amis, ce sont les proches de Sacha Senderovski, un écrivain américain né en URSS (c’est le cas aussi de Gary Shteyngart). Senderovski a connu une éphémère heure de gloire quelques années plus tôt et s’est acheté une coquette résidence secondaire sur les rives de l’Hudson. L’endroit s’avère idéal pour fuir New York assiégée par le virus. Autour de Senderovski, de son épouse Macha et de leur fille Natacha, quelques amis viennent partager cette retraite privilégiée et apprennent à conjuguer les notions nouvelles de « distanciation sociale » ou de « quarantaine » avec les questions éternelles du désir, de la trahison, des illusions perdues ou retrouvées.

Le huis-clos ne va pas sans tourments, ni sans surprises. D’autant que, pour corser le tout, un intrus se joint à la bande : l’Acteur, un comédien célèbre venu travailler à un projet de série avec Senderovski. Sa notoriété et son irrésistible attrait vont faire dérailler un peu plus la vie de la petite communauté.

Par son dispositif habile et ses références assumées au théâtre de Tchekhov comme à la télé-réalité – pour tromper l’ennui, tous ces intellectuels passent des heures devant un soap opera japonais particulièrement niais – Très chers amis pousse l’art du roman dans ses retranchements. Comédie de mœurs réjouissante, le livre est aussi un portrait sans concession d’une Amérique gangrénée par le racisme, la peur de l’autre et les fake news.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Stéphane Roques, 24 eurosbtn commande

Ghost townL'avis de Maryse:

Septième enfant – et deuxième garçon – d’une grande fratrie, Chen Thienhong revient après une très longue absence sur les terres de son enfance, un patelin du cœur reculé de Taïwan, alors même que la Fête des fantômes y bat son plein. Par sa présence, il va bousculer les esprits de sa famille, jusqu’à en réveiller les fantômes, et révéler leurs secrets les plus profondément enfouis.

Le texte, une ample et sinueuse tapisserie, se tisse de fil en aiguille, au rythme des prises de paroles de chacun des membres de la famille que Chen Thienhong se doit d’affronter. On entendra ainsi le passé des cinq sœurs, que leur sexe faible et réprimé dans cette culture ô combien patriarcale a respectivement soumises à une violence inexorable, mais aussi celui – pathétique – du premier frère, de la mère, et même la voix du père, mort depuis plusieurs années et dont le point de vue presque omniscient éclairera la toile à plusieurs reprises.

Ghost Town : il y est fait référence à une ville fantôme du centre de l’île, dans une région délabrée, à la fois embourbée dans son conservatisme et envieuse de la modernité clinquante des villes côtières. Un endroit frappé de plein fouet par l’exode de sa jeunesse instruite et la décrépitude de ses activités, mais qui fête annuellement ses fantômes en grande pompe.

Ghost Town : c’est un roman choral virtuose – le premier fort bien traduit en français de cet écrivain à la renommée importante dans ses contrées – dont la charpente est construite solidement, d’une plume qui sait y faire. C’est un texte éminemment littéraire qui se déplie, morceau par morceau, invite le lecteur à explorer ses méandres et s’élabore sous ses yeux jusqu’à la dernière page.

Le Seuil, traduit du chinois (Taïwan) par Emmanuelle Péchenart, 23 €.btn commande

LapvonaL'avis d'Adrien :

"Lapvona" aurait pu s’appeler ‘Le livre de la foi’ car il y est question de foi en un Dieu, en des dieux, en la nature, en la magie. Il y est aussi évidemment question de foi en les autres, de foi en soi-même.
"Lapvona" aurait pu s’appeler ‘Le livre des fluides’ car on y rencontre du sang, du sperme, des larmes, de la morve, de la bave, des menstrues, du lait maternel, des excréments, de la boue, de la pluie, du vin, de la bière, de l’eau tout simplement... On en passe.
Sans détour, "Lapvona" s’appelle "Lapvona" car tout se passe dans le village de Lapvona, dans un temps qu’on pourrait dire médiéval dans un espace qu’on pourrait penser nordique. ‘Lapvona’ est un conte poisseux qui mêle effroi et causticité, on y plonge comme on entre dans une forêt maléfique dont on ne saurait s’extirper mais qu’on n’a pas envie de quitter. Suivez sans attendre les fortunes et infortunes du jeune Marek, fils d'un berger paria qui devint fils du Seigneur de Lapvona.

D’Otessa Moshfegh, nous avions adoré “Mon année de repos et de détente”, un récit très urbain et contemporain avec une héroïne plutôt autocentrée. On est dans tout autre chose ici mais c'est à nouveau tout aussi bluffant de maîtrise.
Cette grande autrice a également écrit deux autres romans et un recueil de nouvelles qui n’attendent que nous, qui n'attendent que vous. Foncez !

Fayard - traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 22 € btn commande