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Inventaire de choses perdues est l'une des lectures les plus résonantes de la rentrée littéraire.
Écrivaine et artiste allemande, née dans cette RDA engloutie par l’histoire, Judith Schalansky ramasse dans ce livre les éclats de choses perdues, oubliées, lacunaires – comme autant de cailloux précieux. D'une île qui a sombré dans le Pacifique à un poème de Sappho, d'un film fantôme aux ruines d'une villa, d’une peinture brûlée au Tigre de la Caspienne, toutes ces parts manquantes de l'histoire humaine nous donnent des nouvelles de nos vies, tissées de béances, d'oublis, de pertes.
Dans chacun des douze textes qui composent cet Inventaire, Judith Schalansky se tient sur un fil ténu entre poésie et érudition. Vie rêvée ou biographie imaginaire, chaque texte ouvre des espaces de méditation et de sensation : « Rien ne peut être ramené par l’écriture, mais tout peut être rendu à l’expérience ». Le livre nous parle de la beauté de l'éphémère et réfléchit, dans une démarche qui fait penser à celle de W.G. Sebald, au mouvement de balancier entre mémoire et oubli. Car « Il est certes grave de tout oublier. Mais il est encore plus grave de ne rien oublier, car toute connaissance est d'abord engendrée par l'oubli. Si tout s'enregistre indifféremment comme sur un support de stockage électrique, la signification se perd au profit d'un amoncellement désordonné d'informations inutilisables ».
L’objet-livre lui-même est pensé pour accompagner la démarche de l’autrice. Sa mise en page soignée, ponctuée d’images évanescentes, participe à la force de la réflexion. C’est que le livre a lui aussi un rapport intime avec le temps et la mémoire – c’est « un espace proche de la ruine, utopique, dans lequel les morts sont bavards, le passé vivant, l’écriture vraie et le temps maintenu ».
Inventaire de choses perdues est une ode inspirée à la curiosité doublée d’une invitation à déambuler dans les couloirs du temps. L’expérience est magique.
Le roman se déroule à Marzahn, un grand quartier de buildings en préfabriqué de l’ancienne Berlin-Est. Une écrivaine au succès révolu se reconvertit en pédicure et dans le salon qui l’emploie, elle reçoit des gens du quartier – la plupart du temps des personnes âgées mais pas seulement. Alors qu’elle rafistole leurs pieds cabossés, ses clients lui racontent leur histoire, celle de leurs vies anonymes, faites de déboires et de splendeurs, de rires ou de larmes, peu ou prou marquées par les bouleversements des époques… Des tranches de vie aussi uniques qu’universelles.
Voici une savoureuse galerie de personnages constituée de dialogues pleins de tendresse et de drôlerie ; une réflexion sensible sur la vie qui passe et les liens souvent fortuits qui la trament. Une jolie lettre d’amour à un quartier resté populaire, et à ses habitants, rédigée d’une écriture dont la feinte légèreté dépeint une profonde humanité.
Un petit bijou !
Zulma, traduit de l'allemand par Valentine René-Jean, 19,50 euros.
Un soir au théâtre, un homme ébahi par le jeu de la comédienne dit: "Assis dans le noir, on se sentait vu, percé à jour".
Et c'est exactement l'effet que nous font les romans de Jens Christian Grøndahl: ils nous percent à jour. Ils cartographient nos âmes, nos élans, nos tourments, ce magma si intime sur lequel l'immense romancier danois met des mots, des récits, des émotions, comme s'il trouvait le chemin du coeur de chacun de ses lecteurs.
C'est dire le bonheur qui nous prend aujourd'hui à la lecture des six longues nouvelles qui tissent Les jours sont comme l'herbe (dans une superbe traduction d'Alain Gnaedig). On retrouve à chaque page, à chaque ligne, l'exquise délicatesse de Jens Christian Grøndahl. Les vertiges et les chagrins de l'âme, les tournants de vie, les choix déchirants, le temps qui s'échappe: toute l'insaisissable épaisseur de nos vies s'incarne. "J’ai compris ce dont il est question quand nous parlons de la vie. Nous parlons de choses banales, de gestes répétés du quotidien. Oui, c’est bien cela, banales, sans aucun sens particulier, sans poids particulier. Mais si on les regarde avec une distance que l’on n’aurait jamais pu imaginer, alors ces petites choses deviennent symboliques".
Gallimard, traduit du danois par Alain Gnaedig, 24 €
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