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Cette Complainte océanique, c’est un chant épique avec ce qu’il faut de souffle, de colère, de tragédie et de poignante beauté pour tenir les lecteurs captifs d’un bout à l’autre de la traversée.
Yolanda González déplie dans ce roman une histoire longue de cinq siècles mais dont les origines plongent dans la nuit des temps: celle de la fascination des hommes pour les baleines. Une fascination née dans la terreur inspirée par le Léviathan biblique, qui se mue ensuite en obsession belliqueuse lorsque la chasse à la baleine permet l’essor de l’économie capitalistique moderne puis bascule dans la nostalgie à mesure que nous prenons conscience des ravages irréversibles infligés à la vie des océans par des siècles de prédation.
Yolanda González raconte cette histoire depuis sa terre d’adoption, le Pays Basque, qui a longtemps été l’avant-poste de la chasse à la baleine. Au XVIe siècle, toute l’économie locale tourne autour des baleines harponnées. Mais règne alors une forme d’éthique – les baleiniers ont leurs secrets, leurs rituels, et le sang de l’animal se paie cher en sang humain versé. Bientôt, la chasse à la baleine va susciter de telles convoitises que l’équilibre se rompt. Au nom du progrès et de la civilisation, la chasse devient extermination. L’hubris des hommes ne connaît pas de limite: "être tout, tout posséder, tout habiter, tout voir, tout dévorer."
Sur cette trame historique, Yolanda González tisse un second récit, ancré pour sa part dans notre aujourd’hui. Alors qu’un G7 se prépare à Biarritz et que la ville est assiégée par les forces de l’ordre, une baleine vient s’échouer sur la plage. Son agonie sème le désordre. A-t-elle été orchestrée par les associations écologistes qui tentent de tenir un contre-sommet ? Que dit de notre monde la présence du cétacé, mort des blessures infligées par des cargos, de la faim suscitée par la surpêche, de l’empoisonnement lent à cause du plastique ingéré, de l’absence de protection jusque dans des eaux normalement sanctuarisées ?
Complainte océanique fait se croiser autour de la baleine échouée les destins de personnages complexes, militants, scientifiques, journalistes, pêcheurs. Tous voient leurs certitudes vaciller, leur quotidien comme sorti de ses gonds, dans cette brutale confrontation avec la mort. Car une question hante le livre, celle d’un destin lié de l’homme et de l’animal.
« Vous. / Nous ».
Yolanda González ne donne pas de leçon, ne tient pas de grands discours. Elle nous fait simplement éprouver, par l'intensité et la force incantatoire de sa langue, où les outrances humaines mènent la planète et ceux qui y vivent.
ActesSud, traduit de l'espagnol par Alexandra Carrasco, 23 euros
C’est un livre hénaurme mais il ne faut pas en avoir peur : un peu plus de 700 pages pour 52 chapitres, sa lecture vous prendra un peu moins de deux mois à raison de moins de 15 pages par jour et la satisfaction et certitude d’avoir lu un beau et grand livre, pas mal, non ?
On y parcourt le 19ème siècle croate avec l’histoire de la sorcière Gila qui à travers sa fuite en avant avec l’impératrice d’Autriche qu’elle doit faire avorter, vit bien des aventures, bien des tourments.
Želimir Periš nous embarque dans cette fresque haute en couleur – roman picaresque post-moderne et féministe comme le décrit justement l’éditeur – et joue avec nous, lecteur.ice.s, et parfois se joue de nous, par des changements de rythme, d’atmosphère, d’espace-temps. Chaque chapitre est introduit par un incipit sous la forme d’un poème ou d’une comptine nous annonçant la morale de ce que nous allons lire ainsi que d’un bref résumé des actions à venir.
C’est un roman pétillant, ludique, malin qui, avec des historiettes cocasses, rocambolesques, burlesques, assemblées comme un puzzle, par fragments, développe un discours moderne et fin sur la place des femmes dans la société, sur la couardise et l’autorité intempestive des hommes, sur les croyances aussi et les superstitions mais aussi et surtout sur la liberté, l’insoumission. 
Un grand livre, dans tous les sens du terme !
Les éditions du Sonneur, traduit du croate par Chloé Billon, 27.50 €
Des loupés, des ratés, des « amours manquées », il en existe certainement dans toutes les relations filiales… C’est le thème épineux que Susie Boyt scrute ici, et avec une délicatesse inouïe.
Ruth, professeure à Londres, a élevé seule sa fille Eleanor. À l’adolescence, cette dernière est partie en vrille, a glissé dans la toxicomanie et acté la rupture avec sa mère et, en quelque sorte, le reste du monde. Lorsqu’Eleanor a un bébé, dont le père s’évanouit lui aussi dans la nature, Ruth n’écoute que son instinct : elle s’efforce de renouer avec sa fille, retissant doucement le lien fragile, et garde l’enfant avec elle pour la protéger – elle finira par l’élever.
À travers les yeux de Ruth se déploie peu à peu, au fil des ans, le rapport bouleversant entre la grand-mère et sa petite-fille, une relation d’intense affection, nimbée de tendresse et aussi de non-dits.
La finesse psychologique avec laquelle l’écrivaine britannique – fille de Lucian Freud et arrière-petite-fille de Sigmund Freud – révèle les sentiments de ses personnages et transmet des émotions puissantes, en toute fulgurance, m’ont laissée médusée. Elle fouille profondément le lien maternel ainsi que le sentiment de culpabilité, réelle ou fantomatique, et s’interroge sur la possibilité de la seconde chance qu’offre parfois l’existence. Le sens du récit de Susie Boyt, qui manie l’ellipse et le portrait de l’instantané, est précis, cinématographique. Ses personnages – tous ! – sont éperdument attachants, et le lecteur s’approprie leurs ressentis. À vrai dire, ce roman est d’une beauté étourdissante. Un gros coup de cœur !
Il sera présenté en grande lecture le 31 août prochain, en clôture de l’Intime Festival, et interprété par le remarquable comédien Nicolas Maury qui, sans nul doute, saura incarner toute l’intensité et la tension qui lui sont inhérentes.
La Croisée, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Stéphane Vanderhaeghe, 22 euros.
Existe en format numérique ici.