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ilaria zalapiL'avis d'Anouk:

Ilaria a huit ans et aime par-dessous tout faire le cochon pendu. Le vide et le vertige l’électrisent et elle se sent alors comme son idole, la gymnaste Nadia Comăneci.

C’est ce vertige qui est au cœur d’Ilaria ou la conquête de la désobéissance. Un divorce qui tourne mal, une enfance sur le fil, une cavale sans fin sur les routes italiennes: le roman est sous tension, imprévisible, sans cesse sur le point de basculer. On retient son souffle, un rien pourrait mener à la catastrophe.

Genève, 1980. Le couple que formaient les parents d’Ilaria se disloque. Un jour de printemps, le père d’Ilaria vient la chercher à l’école. Ce n’était pas prévu, mais la petite fille n’a pas de raison de ne pas suivre son papa. Elle ne sait pas encore qu’il va faire d’elle une monnaie d’échange dans ce divorce dont il ne veut pas, le moyen de faire pression sur la femme qu’il dit toujours aimer.

Ce jour-là commence une cavale qui va durer près de deux ans. Le père emmène sa fille sur les routes de l’Italie, son pays. Il y a la monotonie des paysages d’autoroute, des arrêts dans les stations-services le temps d’une limonade et d’une telefonata à la mère inflexible, des nuits dans des hôtels tristes. Il y a la joie aussi, celle qui naît d’une vie en apparence sans contrainte, joueuse, dans une Italie où les chansons de l’autoradio parlent d’amour et se reprennent à tue-tête.

Ilaria observe. Rien n’échappe à la sagacité de l’enfance. Elle apprend à lire dans les attitudes de son père ses moindres émotions – la nervosité, la peur, la colère. De cette vie dans l’habitacle d’une voiture, elle dit: "nous vivons de profil". Tout se devine du coin de l’œil, rien n’est franc, direct. La vie a une opacité dont Ilaria semble d’abord se contenter mais qu’elle va petit à petit tenter d’érafler. Il y a un mot pour cela: "désobéir. Ce mot tombe en moi comme un caillou. Il me traverse tout entière. Quelque chose s’effondre, me vivifie".

Dans sa conquête de la désobéissance, Ilaria a quelques précieux alliés : sa passion pour le dessin, un singe en peluche devenu son unique confident, quelques femmes qui prennent soin d’elle au gré de son parcours. Alors que son père s’avère toujours moins fiable, ces points de repère permettent à la petite fille de tenir bon.

Ilaria tisse avec les deux précédents livres de Gabriella Zalapi une toile aux résonances très autobiographiques. L’écriture vive, rapide, sans affect, colle aux ressentis d’une narratrice contrainte de grandir avec ses propres règles puisque les adultes sont défaillants. La puissance du texte est telle qu’Ilaria semble là, toute proche, enfant soldat d’une guerre qui n’est pas la sienne et dont elle se protège comme elle peut.

 

Éditions Zoé, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

 

La petite bonne Bérénice PichatL'avis de Maryse:

Voici une pépite de la rentrée littéraire de cet automne.

Entre-Deux-Guerres, dans une bourgade quelque part en France. Une jeune domestique est embauchée dans une maison bourgeoise. Outre le ménage, la lessive, la cuisine et la bonne tenue de la demeure, sa charge sera de s’occuper du mari de la maîtresse de maison durant l’absence de cette dernière, un ancien combattant de la Grande Guerre, gueule cassée, lourdement handicapé et dépourvu de toute autonomie. Pianiste dans une autre vie, il est un homme démoli, misanthrope, accablé d’amertume et gavé de morphine. La petite bonne, elle, est jeune, elle ne connait de cette guerre de 14 que ce que sa mère lui en a raconté, à savoir pas grand-chose, et son milieu, qui était celui de ses parents et de tout ceux avant eux, détermine chaque jour de sa vie.

Ce récit en huis clos raconte la rencontre de ces deux êtres, et la relation singulière qui, avec une subtilité absolue, va se construire et faire dévier leurs chemins respectifs.

La Petite Bonne, dont l’écriture surprend dès les premières pages – la prose poétique y alterne avec une narration plus classique, au gré du point de vue des personnages – et, tout au fil du texte, reste d’une élégance brillante, est à la fois subjuguant et empreint d’une grande force de vie. C’est pourtant la simplicité et le ressenti d’une profonde humanité qui resteront durablement dans la tête et le cœur du lecteur de ce très beau récit.

Les Avrils, 21,10 euros.btn commande

archipels gaudyL'avis d'Anouk:

Hélène Gaudy est la romancière des paysages mouvants. Elle en capte comme personne les lumières changeantes, les métamorphoses et le trouble qu’elles éveillent. Chacun de ses livres pourrait porter le titre du dernier, Archipels : un mot qui invite au dialogue, au mouvement, au multiple. S’il s’inscrit en archipel avec ses précédents romans, ce nouveau livre ouvre aussi de nouveaux horizons, fragiles, intimes, passionnants.

"Il y aurait là-bas, à l’autre bout du monde, une île". Archipels naît de ces mots de Georges Perec, et aussi du hasard d’une flânerie sur le net qui fait découvrir à Hélène Gaudy l’existence de l’Isle de Jean-Charles. Petit morceau de terre des confins de la Louisiane, l’île est en train de disparaître, submergée par la montée des eaux. Bientôt il n’en restera rien, et rien non plus de la communauté qui y vivait, derniers Amérindiens francophones dont les légendes, les racines, les gestes seront mêmement engloutis. Le père d’Hélène Gaudy s’appelle Jean-Charles lui aussi. En s’intéressant à l’île, la fille sait qu’elle part en quête de son père, cet homme qui dit ne pas avoir de souvenir d’enfance et dont elle est si proche tout en le connaissant si peu.

Une vie, comme un paysage: mouvante, étonnante, impossible à embrasser d’un seul regard.

Une vie, comme un paysage: on apprend patiemment à en déchiffrer les strates, les lignes de fuite, la mémoire.

Comme pour marquer son accord au projet qu’a sa fille d’approcher son histoire, le père d’Hélène Gaudy lui donne les clés de son atelier. Artiste plasticien, il y a accumulé une vie durant des livres, des objets, des outils, des œuvres d’art... Pour lui, ces trouvailles amassées étaient comme les brouillons d’œuvres à venir. Pour sa fille, l’accumulation serait plutôt une manière de se constituer une mémoire, "celle de tout le monde et de personne, la moins sélective possible, une vie patiemment noyée dans celle de ses semblables [...]. Faire soi ce rapiècement, ces mille fragments des autres, faire peau cette carapace dans laquelle disparaître".

Comme une archéologue, Hélène Gaudy exhume dans l’atelier, dans les carnets et les archives de son père les bribes de ce qu’est une vie, sa vie. Elle les passe au tamis, les ramène à la lumière, les fait dialoguer. Apparaît peu à peu le portrait du petit garçon que fut Jean-Charles, grandi dans une France en guerre. Ses parents résistants lui avaient appris à répondre, si on l’interrogeait sur son lieu de résidence: À Muzainville. Un nom qui ne figure sur aucune carte: "Enfant, mon père habitait un lieu qui n’existe pas". De cette enfance cachée, de l’adolescence vagabonde qui la suit puis des années algériennes de son père, Hélène Gaudy tire un fil après l’autre, effleure les vérités, renonce à tout comprendre: "on n’attrape pas les pères comme des papillons".

Puis il y a la rencontre avec sa mère, un amour au long cours dans la lumière duquel Hélène Gaudy a grandi et qui irrigue son livre. Des lettres qu’ils se sont échangés, elle ne lit que le début, l’étincelle, renonçant "à tenir entre mes mains l’intimité de mes parents". Autant qu’un livre sur la figure de son père, Archipels est un livre sur le couple de ses parents, heureux, attentif, en équilibre. "Les parents sont des mégalithes dans notre champ de vision. On passe sa jeunesse à tenter de voir le paysage qu’ils nous cachent, et puis, un jour, ils sont devenus de toutes petites pierres, des cailloux. Là seulement on peut les prendre dans la main, toucher leur texture et leurs failles. Regretter de ne pas l’avoir fait plus tôt, quand ils étaient immenses, quand tout était encore devant eux".

Avec pudeur et une immense douceur, Hélène Gaudy questionne le passé pour éclairer le présent et renouer les fils de la transmission. Son écriture aérienne et légère nimbe le livre d’un voile de tendresse – mots d’amour et d’affection pour ce père-archipel, devenu insubmersible grâce au livre de sa fille.

 

Éditions de l'Olivier, 21 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici