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Un livre comme une trajectoire: précis, vif, poétique.
Avec Sophia, Éléonore de Duve tisse un destin de femme dans ce qu’il a d’essentiel. En 47 tableaux, elle donne à voir et à sentir l’épaisseur d’une vie : gestes, sensations, désirs, blessures, tendresses. Les mots dansent, comme Sophia quand s’ouvre le livre. Ils sont libres et ivres de cette liberté : la langue d’Éléonore de Duve voltige, transgresse, résonne. La phrase polit les mots comme les galets caressés par l’eau d’un ruisseau. La richesse d’écriture qui avait ébloui dans son premier roman, Donato, donne un relief singulier à Sophia – sa beauté et sa grâce.
L’histoire de Sophia s’écrit à rebours. Elle s’ouvre "dans la toundra dans le noir, au sein des fusils", alors que Sophia danse sous les balles. Quand les premiers mots de Donato parlaient de Genèse, c’est de fin dont il est question ici, de mort et d’une guerre imprécise mais dont l’ombre s’étend partout. Ce premier tableau en appelle d’autres, "chaque unité reliée à l’autre forme un ensemble, mouvant". Nous remontons de tableau en tableau vers l’origine, la naissance et même la vie d’avant la vie. Les tableaux se cousent mot à mot. Souvent s’y énonce et s’y annonce le titre du tableau suivant. La broderie avance point à point mais garde sa part floue: "elle picote le canevas, elle n’en suit pas les lignes, poinçonne à sa guise".
Dans les tableaux la vie palpite. Il y a des fleurs, beaucoup de fleurs, « une botanique concrète » qui nous rappelle que la vie est transformation. Elle patiente, bourgeonne, éclate de splendeur, puis s’éteint ; "les fleurs mettront un temps à revenir", mais elles reviennent, insistantes. La guerre n’éteint pas la vie, les visages demeurent comme les noms des morts, ils sont fragiles mais leur ténacité émeut.
Et puis il y a l’amour qui circule entre chacun des tableaux et se décline à l’infini: amour d’un paysage même meurtri, amour maternel, souffle des amants, amour contenu dans les gestes les plus simples, amour souple et fluide qui s’affirme: "au bord de je t’aime, qu’on se le tienne pour dit, il y aura toujours je t’aime".
Sophia poursuit le beau chemin d’écriture d’Éléonore de Duve. C’est un livre audacieux, libre et luxuriant, qui nous fait toucher avec beaucoup de finesse et d’humanité ce qu’est la guerre, comment elle s’inscrit dans les corps et les cœurs. Un livre aussi sur la vie qui insiste, "qui sait où le passereau s’en va".
Les Trente Glorieuses : période faste et dite « de progrès » durant laquelle, selon Pierre Lemaître (né en 1951), a doucement mais sûrement germé notre infortune contemporaine… Dans ce tant attendu troisième volet des Années glorieuses, le lecteur poursuit les tribulations des membres de la famille Pelletier entre Paris et Prague, cette fois, en plein boom économique et au cœur de la tourmente de la Guerre froide.
Nous sommes en 1959. L’un des fils Pelletier, chef d’une chaîne de magasins implantée dans toute la France, est invité à se rendre à Prague pour une visite officielle censée sceller un pacte commercial entre l’Hexagone et la Tchécoslovaquie. Jean Pelletier ignore alors que c’est en réalité son frère François, journaliste de profession, qui va se retrouver pris au piège de cette capitale communiste infestée de délateurs et de miliciens tortionnaires. Cela tandis qu’à l’Ouest, en dépit de l’absence glaçante d’un des leurs, la jeune Colette, sa perfide mère Geneviève, ainsi que ses tantes Hélène et Nine composent tant bien que mal leurs parcours sinueux, dans ces temps de croissance prometteurs d’un avenir radieux pour tous, mais où les inégalités embrasent bel et bien chacune des strates de la société.
À travers le dernier pan de sa saga historique et familiale, aux teintes de roman d’aventure et d’espionnage, Pierre Lemaître renoue formidablement avec la tradition des feuilletonnistes du XIXe siècle. Et c’est bien là son projet romanesque : concevoir de la littérature populaire de belle facture, dans laquelle chaque lecteur se verra d’emblée emporté. De fait, les caractères des personnages sont hauts en couleurs, les rebondissements de l’intrigue multiples et, comme de coutume chez l’écrivain, le ton narratif savoureusement relevé.
Voilà une fresque de 585 pages (seulement…) à dévorer goulument !
Calmann Levy, 23,90 euros.
J'emporterai le feu vient clore avec maestria la trilogie que Leïla Slimani consacre à l'histoire d'une famille marocaine. Cinq ans après La guerre, la guerre, la guerre, trois ans après Regardez-nous danser, ce troisième volet nous plonge dans les dernières décennies du 20e siècle et lance des ponts jusqu'à aujourd'hui.
Amine Belhaj, soldat de l'Armée coloniale, rencontre Mathilde en Alsace à la fin de la seconde Guerre Mondiale. Coup de foudre, mariage et installation au Maroc. L'amour qui unit le jeune couple va être mis à l'épreuve du pays des autres. Mathilde devra faire sa place au sein d'une famille, d'une langue et d'une culture dont les codes sont bien différents de ceux où elle a grandi. Amine a beau vivre dans sa ville natale, lui aussi demeure au pays des autres, il a hérité de son père un terrain qu'il rêve de transformer en domaine agricole prospère. Lui qui a donné sa jeunesse à la France, il connaît les humiliations que les Français réservent à ceux qu'on appelle "les indigènes"; il ne pourra compter que sur son travail acharné et son tempérament visionnaire pour avancer.
Aïcha et Selim sont leurs enfants. Grandis auprès de ce couple mixte, ils doivent eux aussi lutter pour se forger une vie qui ressemble à leurs aspirations. La sage Aïcha entreprend les études de médecine que sa mère n'a pas pu faire. Elle rencontre Mehdi, étudiant flamboyant, marxiste, aspirant écrivain: un jeune homme ambitieux. Le Maroc de l'après-indépendance s'ouvre à grande vitesse à la modernité: regardez-les danser! Quant à Selim, les hippies du monde entier qui affluent dans les années '70 lui offrent un horizon qu'il ne trouvait pas aurpsè des siens. Bientôt ce sera pour lui l'exil américain, la découverte de la photographie, et une nouvelle quête au pays des autres.
Et puis nous voici aujourd'hui à tourner avidement les pages de J'emporterai le feu. Nous retrouvons avec bonheur la famille Belhaj-Daoud et faisons la connaissance des filles d'Aïcha et Mehdi. Mia et Inès, petites filles sauvages mais confinées dans l'espace domestique, déterminées et intelligentes, sont le cœur vibrant de ce troisième volume. Des héroïnes tout aussi inoubliables que les autres personnages croisés au fil de la trilogie.
En racontant au plus près les trajectoires intimes de chacun·e, Leïla Slimani déploie sur le temps long une fresque qui frappe par son universalité et déplie des questions éminemment contemporaines. Car ce qui se joue dans les vies de Mathilde et d'Amine, d'Aîcha et Mehdi, de Mia et Inès, ce sont les rapports de domination, le poids des héritages, la place des femmes, les questions liées à l'identité. D'une génération à l'autre, chaque personnage se débat pour trouver sa place dans un territoire, un corps ou un imaginaire accaparé par d'autres.
Sensuelle, éclatante, la fresque tisse ensemble mille et un moments de vie et déploie les points de vue, les émotions, les aspirations des un·es et des autres. Chacun de ces moments a sa tonalité propre, sa couleur, son épaisseur, comme les traits d'un tableau pointilliste. Un pas de recul et l'on est subjugué par l'ampleur de la fresque, son rythme soutenu et la façon dont elle entraîne dans sa cavale tout un monde débordant de vie.
Le Maroc a trouvé avec Le pays des autres son grand roman, capable d'embrasser sa beauté et sa complexité et d'embraser les cœurs.
Disponible en format numérique ici.
Le pays des autres: la guerre, la guerre, la guerre est disponible en grand format, en poche et en format numérique.
Regardez-nous danser est disponible en grand format, en poche et en format numérique