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L'avis d'Adrien :
Tout a déjà été dit sur cette bande dessinée encensée par les plus grands auteurs, Art Spiegelman en tête. Emil Ferris a déjà reçu énormément de prix. La question s’est même posée en cette rentrée littéraire 2018 : "Et si le roman de cette rentrée était graphique ?". Avec une telle avalanche de louanges, ça devient suspect, l'esprit de contradiction pointe le bout de son nez et voudrait chercher la petite bête, mais non...
Tout est vrai. C'est splendide, une fois la bande dessinée terminée, on a qu'une seule envie, la recommencer et profiter du fourmillement des détails, aussi bien dans le texte, la narration que dans les dessins, tout au bic, magnifiques. Et puis, vivement le Livre Deuxième !
Fin des années 1960, Karen Reyes, toute jeune ado, vit avec sa mère et son playboy de frère dans un quartier populaire de Chicago. Karen adore les monstres et se prend elle-même pour l’un d’eux. Quand une voisine se suicide, Karen n’y croit pas trop et mène l’enquête. Comment imaginer que cette énigmatique beauté fatale a pu se donner la mort ? A travers des enregistrements de psy, on remonte le passé misérable et sulfureux d’Anka Silverberg dans l’Allemagne nazie. Face au mari-veuf éploré, à un mafieux proxénète de bas-étage contrôlant le secteur, aux frasques du frère, coureur invétéré, l’enquête piétine et se complique. Entre le passé, le piteux quartier chicagoan, et l’enrageant traitement fait aux minorités et aux femmes à la fin de ces années 1960, Karen est un être à part, qui a soif de vérité et de liberté là où tout est cadenassé. Elle affiche une pugnacité hors-norme devant l’adversité. Karen est une héroïne qu’on n’oublie pas de sitôt. Ne passez pas à côté de ce chef d’œuvre, et ce gros mot est ici loin d’être galvaudé, du neuvième art.
Monsieur Toussaint Louverture, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Charles Khalifa, 34.90 €
On ne voudrait pas d'autre narrateur à ce reportage que Zerocalcare. Nous en proposerait-on un plus courageux, moins chauviniste de son quartier romain ou plus digne dans l'adversité que nous choisirions quand même ce dessinateur italien engagé pour nous raconter le voyage de quelques italiens à Kobané et leur rencontre avec les combattantes et combattants kurdes contre Daesh.
Pourquoi ? Parce que Zerocalcare réussit à transmettre les rares rayons d'utopie d'un terrible contexte, celui de la guerre en Syrie. Parce qu'il ne nous vend pas un rêve mais nous transmet un combat, le courage d'hommes et de femmes qui luttent pour préserver leur utopie. Parce qu'il réussit à être drôle aussi, vraiment drôle, à coups d'auto-dérision et de traits géniaux. Parce que chaque pas là-bas le touche et chaque page nous émeut. Parce qu'il ne prétend pas être un expert, mais parvient à nous expliquer de manière pédagogique (et avec une vulgarisation totalement assumée) le contexte sacrément compliqué des kurdes de Syrie, de Turquie et d'Irak.
Une petite bombe d'humanité.
Sur les première et quatrième de couverture, est annoncée "une bande dessinée avec : Arsène, de l'aventure, de l'amour, de l'architecture, de la liberté, de la peur, de la luxure, l'inconnu, rien, un fantasme, de l'espérance, de nouvelles rencontres, des conneries artistiques, un piège".
Et tout cela est vrai.
Si vous avez peur de passer à côté d’une des meilleures bandes dessinées de ces dernières années, foncez sur Arsène Shrauwen. Son auteur, Olivier Shrauwen, jeune bédéaste flamand à suivre absolument, nous en met plein les yeux à chaque page. Il nous conte l’histoire de son grand-père, Arsène, débarquant dans une colonie jamais nommée, en réalité le Congo belge, pour rejoindre son cousin Roger, architecte, et travailler pour lui. Le cousin a pour dessein de faire sortir du sol, d'ériger en pleine brousse, une cité utopique, baptisée Freedom Town. Rapidement dépassé par ses plans, ses inventions, ses créations gigantesques, le cousin Roger sombre dans la folie. Arsène se retrouve désigné par le bras-droit de l'architecte, Louis, pour reprendre les rênes du projet. Ne comprenant pas tous les tenants et aboutissants et, à son tour dépassé par les événements, Arsène se laisse guider par Louis. Ajouté à la folie que peut comporter une telle aventure, les méandres de l'amour, et vous obtiendrez une histoire passionnante de bout en bout.
La superbe bichromie rouge-bleu soufflant le chaud et le froid, les métaphores prenant forme, la chaleur, la touffeur, la jungle, la grandiloquence des projets du Nord pour le Sud, le grand nombre de trappistes bues par Arsène nous font nous plonger ivres et fiévreux à corps perdu dans cette folle aventure humaine. Olivier Schrauwen nous tient comme dans un piège magnifique et terrifiant que nous n’avons pas envie de quitter. Quand, après le premier chapitre, il nous demande, dans un interlude graphique sublime, d’attendre une semaine avant de reprendre la lecture, on lui obéit (au moins une heure), impatient de retrouver la suite. Les 35 € que coûte cet album ne doivent pas être un frein à son achat, vous ne le regretterez pas. Gageons qu’Angoulême en janvier prime de belle façon Arsène Shrauwen, Olivier Schrauwen le mérite amplement !
Traduit de l'anglais par Charlotte Miquel, L'Association, 35 €.