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Des réécritures du Petit Chaperon Rouge, il y en a tant et plus.Et pourtant Delphine Bournay réussit à revisiter le conte avec peps et fantaisie. Jugez plutôt...
Il était une fois un petit chaperon rouge du genre coriace, qui se plaint auprès de la dessinatrice d'être trop petit, là, au milieu de la page. Heureusement, la dessinatrice est sympa: elle zoome et transforme la fillette en chaperon géant. Mais cela ne plait guère au loup: il est jaloux. C'est vrai enfin, de quoi il a l'air, ce tout petit loup, à côté du grand chaperon? De page en page, on suit les plaintes et les indignations des deux protagonistes, aussi râleurs et revendicatifs l'une que l'autre.
La dessinatrice fait de son mieux mais finit à son tour par s'énerver. Et puis, comme "de toute façon, on la connaît par cœur cette histoire", elle décide de se passer des personnages et de finir l'album en mode peinture abstraite. "Du rouge pour le chaperon, du jaune pour la galette et du marron pour le loup", hop, le tour est joué. Et en plus, ce sera moins traumatisant quand le conte tourne mal et que les grandes dents du loup... ben oui, vous connaissez la suite, et elle est atroce, forcément.
Avec son humour loufoque et son sens imparable de la narration, Delphine Bournay signe un album qui est une merveille de drôlerie. Elle joue la complicité avec ses lectrices et ses lecteurs, quel que soit leur âge. Son trait vif a une allure enfantine; il est rehaussé d'aquarelles efficaces. Le texte, qui mêle aux interpellations de l'autrice par ses personnages des apartés avec le lecteur, nous mène de rebondissement en rebondissement jusqu'au réjouissant final: "Et miam miam galette!".
On adore Delphine Bournay. Ses iconiques Grignotin et Mentalo, l'hilarant Adieu odieux dîner, les aventures de Taupinette et sa bande sont autant de chefs-d'oeuvre qui plaisent tant aux enfants qu'aux parents. La preuve: ce sont des albums que l'on lit, et relit, et relit encore.
L'École des Loisirs, 14.50 euros
Rien n’est sûr en ce monde, et rien n’est stable, et le mur le plus épais s’écroule, et la vitre la plus solide redevient le sable qu’elle a été, et tout en ce monde peut nous être enlevé d’un souffle, disparaître en une nuit, tout, les corps aimés, les plus grandes bibliothèques, tout ce que l’on croit solide, durable, n’est que vapeur, oui, tout cela n’est qu’une larme qui quitte l’œil et s’évapore avant d’avoir atteint la commissure des lèvres. On peut tout nous prendre mais la dernière chose à céder, la plus difficile à faire ployer, à extirper, c’est ce qu’on a dans la tête et dans le cœur.
L'avis d'Anouk:
"Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée".
Ainsi s’ouvre Au grand jamais, l’histoire d’une fille qui s’évertue à trouver sa mère et à faire tenir ensemble des images de celle-ci, même si elles sont éparpillées, diffractées, incertaines.
"Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée", et d’emblée on sait que la mère n’en aura jamais fini de s’échapper et de déjouer la quête de sa fille. La mère manque, s’évapore, est là et ailleurs à la fois: "même présente, elle semble floue, floutée, évanescente".
Pour s’approcher d’elle, la narratrice ne mène pas une enquête ordinaire, qui accumulerait des archives, des preuves, des dates, des faits concrets. Non: elle fait confiance à quelque chose de plus impalpable, une matière souple et fluide qui circule entre sa mère et elle et qui se reconfigure sans cesse. Une matière tissée de rêves, de comptines enfantines, de bribes de souvenirs. Là est la singularité de ce roman envoûtant, sa force fragile et belle.
L’histoire de la mère, c’est celle d’un déracinement. Lorsqu’à 24 ans elle quitte son pays avec en poche la clé d’un appartement parisien, il lui faut inventer une suite, parmi toutes les vies possibles. Et elle le fait avec talent. Elle a le charisme, l’élégance, la détermination. Elle n’a pas de moyens, mais une conviction: si l’on y croit, la vie qu’on projette – cette fiction – peut devenir réalité. En modelant son histoire, puis celle de sa petite fille, elle fait œuvre. Comme quand, dans son pays, elle écrivait de la poésie.
Puis viendra le temps de trop de deuils – un frère, une ville, un pays, et même la langue de son enfance. Toutes ces pertes attiseront le don de la mère pour la disparition – "dans cette famille, il y a un don", aime-t-elle à répéter, énigmatique. C'est aussi le moment de son renoncement à l'écriture et de l'entrée dans le silence. Mais ce silence, comme tout ce qui tient à cette femme, possède sa texture propre. "Ce n'est pas ainsi que ma mère se tait. Son silence a une autre qualité. Il est spacieux. Il est presque un espace-temps, un univers parallèle. Il est puissant. Son silence réussit là où tant de paroles et tant de livres, même, échouent".
Jakuta Alikavazovic, quand elle n'écrit pas ses romans denses et envoûtants, est une traductrice épatante (on lui doit par exemple la découverte en français de Milkman d'Anna Burns, ou une toute récente traduction de Beloved de Toni Morisson). Au grand jamais cherche précisément à traduire le parcours d'une femme d'une langue à une autre, d'un pays à une autre, d'une disparition à une autre. L'écriture vive et sensible de Jakuta Alikavazovic, souvent virtuose mais jamais affectée, ouvre un champ où se déplient toute la complexité d'une vie, tous ses mystères, tous ses non-dits. L'émotion se tient tapie à chaque page de ce roman labyrinthique et vibrant, plein d'élans, d'utopies, de clairs-obscurs.
Et il faut dire aussi combien ce livre est joueur: sans cesse il relance les dés du destin. Des motifs reviennent, se superposent, se contredisent. Ils nous entraînent dans un tourbillon d'incertitudes, d'hésitations, de mensonges tellement vrais et de vérités inventées. Au grand jamais est une valse menée prestissimo, un roman comme une lumière scintillante et réconfortante.
Éditions Gallimard, 20.50 euros
Dans un village reculé, à une époque oubliée, c’est dans la chair des femmes qu’on puise la subsistance des foyers. Sylvaine, jeune mère dont l’enfant vient d’être sevré, suit le chemin de nombreuses autres : elle vend son lait à une famille aisée de la ville, qui lui confie sa petite fille à nourrir.
Une nuit baignée de lune, à la lisière de la forêt où elle habite, Sylvaine découvre un nourrisson abandonné, accompagné d’un carnet racontant son histoire — chose rare dans une région où peu savent lire. Quand le bébé qu’elle allaite meurt soudainement dans son sommeil, elle échange les enfants. Ce geste n’est pas tant motivé par le besoin d’un revenu que par un attachement instinctif, comme si la lune avait scellé un lien d’amour entre la nourrice et l’orpheline. Mais dans ce monde âpre, où les hommes règnent sans partage sur les corps et les âmes des femmes, il n’est de salut pour ces dernières que dans la sororité — seul rempart contre la chute, la violence et l’effacement.
Ce premier roman à la fois singulier, envoûtant et chargé de sensualité, oscille entre fable et récit social. Séverine Cressan y dévoile les rouages d’une industrie méconnue du passé et en explore les implications collectives. En outre, elle parvient, par traits fins et poétiques, à donner corps à des femmes restées dans l’ombre de l’histoire, mais dont la profession, aussi taboue qu’elle fût, revêtait un caractère éminemment humain.
C’est l’hiver. Dans la campagne normande pailletée de givre, le temps semble suspendu. Regardez: les rosiers portent encore des fleurs, et là perce le rouge d’une framboise. Écoutez: de la salle des fêtes monte la musique de l’harmonie municipale. Respirez: il y a de la magie tout autour, un enchantement, une grâce. Tout cela, c’est L’Oreille absolue, le délicieux nouveau roman d’Agnès Desarthe.
Dans les livres d’Agnès Desarthe, la musique est toujours là. Musique d’une langue souple et déliée, musique des motifs qui insistent d’un livre à l’autre en subtiles variations, musique des rythmes et des constructions romanesques harmonieuses, ou musique qui, comme dans L’éternel fiancé, donne sens aux vies des personnages.
Avec L’oreille absolue, Agnès Desarthe nous entraine dans un roman qui n’est que musique. Elle compose une polyphonie de voix et de destins, tisse des solos et des duos, brasse la vie avec ses chagrins et ses joies, nous entraîne dans un enchainement de reprises, de refrains, de variations. Le livre naît de son propre plaisir de musicienne: comme ses personnages, Agnès Desarthe joue dans l’orchestre de son village. Et ce qu’elle nous raconte dans ce livre bref, mais dont les échos demeurent longtemps après la lecture, c’est l’effervescence d’une petite communauté qui se rassemble un vendredi soir pour le concert de Noël.
Le temps de quelques heures, chacun met son quotidien entre parenthèses et se laisse habiter par une aventure collective: jouer ou écouter, ensemble, la musique. Quand la musique parle, on oublie humiliations et angoisses, grisaille et regrets. On a tous les âges, on se déploie dans le temps et l’espace, on appartient à plus grand que soi.
L’oreille absolue raconte cet élan de grâce avec la finesse, l’empathie et l’espièglerie qu’Agnès Desarthe distille dans chacun de ses livres. On se sent bien dans ce livre généreux, et l’on se rappelle que le mot harmonie, quand il n’évoque pas la musique, désigne la paix et l’équilibre.
Charles Baudelaire parlait de "chercherie" pour qualifier la quête de l'étonnant, du curieux, du singulier.
Chercherie, voilà une belle définition pour la collection "L'Imaginaire", qui propose une sélection de romans inclassables, oubliés, précieux.
Dans les pages de l'Imaginaire, Julio Cortázar, Marguerite Yourcenar et Georges Perec côtoient Jean Rhys, Guillaume Apollinaire, Vincent Van Gogh, Clarice Lispector et tant d'autres.
L’Imaginaire, selon Margaux Gallimard qui dirige la collection
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