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famille ruck schonherrL'avis d'Anouk:

Dans la famille Ruck, je demande la grand-mère. Et voici Inge, ou l'insatisfaction faite femme. Inge n'a pas vu venir ses 84 ans mais il semble qu'elle soit bel et bien entrée dans la vieillesse. Elle a beaucoup de mal à se faire à cette idée. D'autant que personne ne semble se soucier d'elle, quand son âge devrait lui valoir quelques égards, non? Dans sa chambre d'hôpital où elle se remet d'une chute et d'une fracture du col du fémur, Inge rumine. Qu'a-t-elle gagné à consacrer sa vie aux autres – sa mère aigrie, ce mari fainéant, deux fils ingrats, ces voisins auxquels il faut montrer sans cesse combien elle est irréprochable? Qui se soucie d'elle aujourd'hui? Son fils aîné, installé à l'autre bout du monde, ne juge pas utile de renouer les liens. Et le cadet, Carsten, celui qu'elle a toujours secrètement préféré, n'a guère de temps à lui consacrer et refuse tout net de venir s'installer chez elle, dans ce village terne et endormi de l'ancienne Allemagne de l'Est, pour lui éviter l'abomination de la maison de repos. Heureusement Inge conserve ruses et chantages, Carsten n'a qu'à bien se tenir...

Dans la famille Ruck, je demande le fils. Carsten a la cinquantaine et quelques soucis à se faire. Amours décevantes, boulot sur le fil (l'Europe s'apprête à interdire les emballages alimentaires que sa boîte produit), une mère envahissante, une ex pleine d'exigences et une fille adolescente qui ne laisse rien passer au mâle blanc vieillissant qu'il devient: décidément, la vie de Carsten n'est pas un long fleuve tranquille. Lui aspire juste à ce qu'on le laisse en paix, est-ce tant demander?

Dans la famille Ruck, je demande la petite-fille. Lissa a quinze ans et l'intransigeance révoltée qui va avec son âge. À part Yann, le petit ami qui vient de la quitter, personne ne trouve grâce à ses yeux. Et surtout pas ce père à qui elle n'en finit pas de faire des leçons de féminisme et d'écologie. Lissa mène ses luttes à coups de post-it vengeurs apposés sur le pare-choc des SUV, sur les panneaux publicitaires, sur la palissade du voisin de sa grand-mère qu'elle soupçonne d'être un ancien de la Stasi. Berlinoise pure jus, elle adore traverser le plus lentement possible aux passages piétons, pour le plaisir de faire fulminer les automobilistes.

Cet été-là, Inge, Carsten et Lissa vont devoir passer trois semaines ensemble dans la maison de la grand-mère. Une certaine vision de l'enfer... Mais bien entendu la vie réserve des surprises, et Katja Schönherr manie ce sens de l'inattendu avec humour, ironie et même une pointe de tendresse retorse.

Sous ses allures de comédie trépidante (ou de huis-clos oppressant, c'est selon), La famille Ruck parle avec beaucoup de finesse du temps qui passe, de la transmission et de l'amour circulant, coûte que coûte, entre trois générations qui ont bien du mal à l'exprimer.

 

Éditions Zoé, traduit de l'allemand par Barbara Fontaine, 23 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

La petite bonne Bérénice PichatL'avis de Maryse:

Voici une pépite de la rentrée littéraire de cet automne.

Entre-Deux-Guerres, dans une bourgade quelque part en France. Une jeune domestique est embauchée dans une maison bourgeoise. Outre le ménage, la lessive, la cuisine et la bonne tenue de la demeure, sa charge sera de s’occuper du mari de la maîtresse de maison durant l’absence de cette dernière, un ancien combattant de la Grande Guerre, gueule cassée, lourdement handicapé et dépourvu de toute autonomie. Pianiste dans une autre vie, il est un homme démoli, misanthrope, accablé d’amertume et gavé de morphine. La petite bonne, elle, est jeune, elle ne connait de cette guerre de 14 que ce que sa mère lui en a raconté, à savoir pas grand-chose, et son milieu, qui était celui de ses parents et de tout ceux avant eux, détermine chaque jour de sa vie.

Ce récit en huis clos raconte la rencontre de ces deux êtres, et la relation singulière qui, avec une subtilité absolue, va se construire et faire dévier leurs chemins respectifs.

La Petite Bonne, dont l’écriture surprend dès les premières pages – la prose poétique y alterne avec une narration plus classique, au gré du point de vue des personnages – et, tout au fil du texte, reste d’une élégance brillante, est à la fois subjuguant et empreint d’une grande force de vie. C’est pourtant la simplicité et le ressenti d’une profonde humanité qui resteront durablement dans la tête et le cœur du lecteur de ce très beau récit.

Les Avrils, 21,10 euros.btn commande

de lautre côté SoderguitL'avis de Maryse:

Voici une lecture à partager avec les enfants à partir de 5 ans, et qui invite à la discussion.
 
Francisca et Antonia sont deux petites filles qui habitent chacune d’un côté de la haie. Elles ne sont pas issues du même milieu social mais, le temps d’un été, elles deviennent amies et partagent jeux et passions. Puis, elles reprennent le cours de leurs vies respectives dans des mondes différents, et se perdent de vue pendant des années. Jusqu’à… ce que l’histoire se répète.
 
Une histoire réaliste et juste au message très fort : celui que la candeur de l’enfance ignore les barrières sociales. Parce que lire, c'est ouvrir des portes!
 
Didier Jeunesse, 13,95 euros.btn commande

La couverture Marie DorléansL'avis de Maryse:

C’est l’histoire d’un enfant qu’absolument tout effraie. Un jour, sa terreur est telle qu’il se terre dans une large couverture rouge rangée dans son armoire, avec l’espoir que le monde extérieur disparaisse. Doucement rassuré, bien emmitouflé dans son douillet refuge, il va peu à peu affronter ce qui l’entoure. Jusqu’à ce que la couverture se fasse oublier…
 
Un récit réconfortant, et surtout, des illustrations magnifiques dans leurs couleurs et leurs savoureux détails, par une Marie Dorléans que nous suivons toujours avec tant d’enthousiasme !
 
À partir de 4 ans.
 
Seuil Jeunesse, 14,90 euros.
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archipels gaudyL'avis d'Anouk:

Hélène Gaudy est la romancière des paysages mouvants. Elle en capte comme personne les lumières changeantes, les métamorphoses et le trouble qu’elles éveillent. Chacun de ses livres pourrait porter le titre du dernier, Archipels : un mot qui invite au dialogue, au mouvement, au multiple. S’il s’inscrit en archipel avec ses précédents romans, ce nouveau livre ouvre aussi de nouveaux horizons, fragiles, intimes, passionnants.

"Il y aurait là-bas, à l’autre bout du monde, une île". Archipels naît de ces mots de Georges Perec, et aussi du hasard d’une flânerie sur le net qui fait découvrir à Hélène Gaudy l’existence de l’Isle de Jean-Charles. Petit morceau de terre des confins de la Louisiane, l’île est en train de disparaître, submergée par la montée des eaux. Bientôt il n’en restera rien, et rien non plus de la communauté qui y vivait, derniers Amérindiens francophones dont les légendes, les racines, les gestes seront mêmement engloutis. Le père d’Hélène Gaudy s’appelle Jean-Charles lui aussi. En s’intéressant à l’île, la fille sait qu’elle part en quête de son père, cet homme qui dit ne pas avoir de souvenir d’enfance et dont elle est si proche tout en le connaissant si peu.

Une vie, comme un paysage: mouvante, étonnante, impossible à embrasser d’un seul regard.

Une vie, comme un paysage: on apprend patiemment à en déchiffrer les strates, les lignes de fuite, la mémoire.

Comme pour marquer son accord au projet qu’a sa fille d’approcher son histoire, le père d’Hélène Gaudy lui donne les clés de son atelier. Artiste plasticien, il y a accumulé une vie durant des livres, des objets, des outils, des œuvres d’art... Pour lui, ces trouvailles amassées étaient comme les brouillons d’œuvres à venir. Pour sa fille, l’accumulation serait plutôt une manière de se constituer une mémoire, "celle de tout le monde et de personne, la moins sélective possible, une vie patiemment noyée dans celle de ses semblables [...]. Faire soi ce rapiècement, ces mille fragments des autres, faire peau cette carapace dans laquelle disparaître".

Comme une archéologue, Hélène Gaudy exhume dans l’atelier, dans les carnets et les archives de son père les bribes de ce qu’est une vie, sa vie. Elle les passe au tamis, les ramène à la lumière, les fait dialoguer. Apparaît peu à peu le portrait du petit garçon que fut Jean-Charles, grandi dans une France en guerre. Ses parents résistants lui avaient appris à répondre, si on l’interrogeait sur son lieu de résidence: À Muzainville. Un nom qui ne figure sur aucune carte: "Enfant, mon père habitait un lieu qui n’existe pas". De cette enfance cachée, de l’adolescence vagabonde qui la suit puis des années algériennes de son père, Hélène Gaudy tire un fil après l’autre, effleure les vérités, renonce à tout comprendre: "on n’attrape pas les pères comme des papillons".

Puis il y a la rencontre avec sa mère, un amour au long cours dans la lumière duquel Hélène Gaudy a grandi et qui irrigue son livre. Des lettres qu’ils se sont échangés, elle ne lit que le début, l’étincelle, renonçant "à tenir entre mes mains l’intimité de mes parents". Autant qu’un livre sur la figure de son père, Archipels est un livre sur le couple de ses parents, heureux, attentif, en équilibre. "Les parents sont des mégalithes dans notre champ de vision. On passe sa jeunesse à tenter de voir le paysage qu’ils nous cachent, et puis, un jour, ils sont devenus de toutes petites pierres, des cailloux. Là seulement on peut les prendre dans la main, toucher leur texture et leurs failles. Regretter de ne pas l’avoir fait plus tôt, quand ils étaient immenses, quand tout était encore devant eux".

Avec pudeur et une immense douceur, Hélène Gaudy questionne le passé pour éclairer le présent et renouer les fils de la transmission. Son écriture aérienne et légère nimbe le livre d’un voile de tendresse – mots d’amour et d’affection pour ce père-archipel, devenu insubmersible grâce au livre de sa fille.

 

Éditions de l'Olivier, 21 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici