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Ho, quelle bonne idée qu’ont eue les éditions Denoël de rééditer ce roman rédigé en 1969 par Gordon Williams, dans leur collection « Sueurs froides » ! Car oui, ce texte est destiné aux amateurs de frissons, et je ne parle pas de ceux procurés par la brise de décembre. Quoique…
Un couple anglo-américain d’universitaires, se targuant d’être des intellectuels de gauche et dont les relations battent furieusement de l’aile, quittent le Nouveau Monde pour s’installer dans une bourgade anglaise des plus reculées. C’est que la vie champêtre de l’Angleterre permettra certainement à monsieur d’insuffler à la rédaction de son ouvrage consacré à un écrivain anglais méconnu, toute l’authenticité que ce dernier mérite. Ici, vivent en vase clos depuis des générations, une poignée de gars et leur famille, dont l’isolement et la marginalité ont nourri les frustrations et fermé les esprits déjà peu enclins à la tolérance de l’étranger. Puis, un soir de décembre, une tempête de neige barre tous les accès au village, enfermant nos nouveaux arrivants dans un huis-clos épouvantablement glaçant !
La plume subtilement aiguisée de l’Écossais Gordon Williams mêle à la fois ironie distante et drôle dans le portrait des personnages, et réflexion sur la marginalité sociale et l’incontrôlable folie qui peut s’emparer d’un groupe d’individus. Un récit qui, débutant dans le registre de la comédie familiale, va crescendo et laisse le lecteur pétrifié. Un conseil, toutefois, avant la lecture : vérifiez que les verrous de votre maison soient bien fermés.
Denoël, traduit de l'anglais (Écosse) par Frédéric Brument, 21 €
Précis, enlevé, féroce: En salle, le premier roman de Claire Baglin, est un électrochoc.
Le récit se construit sur le fil entre deux expériences. D’un côté les souvenirs d’enfance de la narratrice, les vacances au camping, le père et l’usine qu’il a chevillée au corps. De l’autre l’entrée dans l’âge adulte, un premier job au fast-food, la déshumanisation qui passe par le corps abîmé, la flexibilité à outrance (« c’est quels jours, ton week-end ?), la pauvreté des relations humaines, le vide émotionnel et intellectuel.
Les expériences de l’enfant et de la jeune femme alternent, basculent l’une dans l’autre, se frottent et s’éclairent. Le montage est vif, plein d’ellipses et le style aiguisé. Dans les mains de Claire Baglin, le langage est un redoutable outil, il met à nu l’aliénation et la violence sociale.
En salle a la détermination farouche des grands romans sur le travail. Il se tient vaillamment dans la lignée de L’établi de Robert Linhart ou de À la ligne de Joseph Ponthus. Une sacrée révélation!
Disponible en format numérique ici
Les histoires de Toon Tellegen sont des fables bien d’aujourd’hui. Impétueux ou trop sensibles, timides ou prêts à tout pour un peu de reconnaissance, colériques ou rêveurs, ses animaux nous tendent des miroirs gentiment moqueurs. Il y a le mille-pattes qui aurait préféré être un deux-pattes, un trois-pattes, ou à la limite un dix-pattes. Il y a le porc-épic qui s’empresse de laisser tomber ses bonnes résolutions dès le 1er janvier. Il y a l’éléphant qui promène d’une histoire à l’autre sa maladresse et dont les chutes spectaculaires ponctuent l’album.
Tout ce petit monde est illuminé par la grâce des images de Carl Cneut, qui résonnent si parfaitement avec les textes poétiques, espiègles et intranquilles de Toon Tellegen. « La luciole et autres histoires d’animaux » est un album profond et généreux, dont les dix-sept histoires peuvent être lues et relues à l’infini, et à tous les âges.
Pastel, L'École des Loisirs, traduit du néerlandais par Charline Peeters, 20 €
Edmond de Garenne est un lapin-artiste que vous avez peut-être croisé au détour des chemins, carnet à la main, appareil photo en bandoulière. Les carnets de cet artiste tout-terrain nous partagent ses émerveillements devant la beauté de la nature. La poésie d’un caillou, l’envol des cétoines du pissenlit, le colvert qui joue à cache-cache, la forme parfaite d’un nuage… tout est si beau vu à hauteur de lapin!
Thierry Dedieu a retrouvé les notes d’Edmond de Garenne dans son terrier. Il les publie aujourd’hui pour notre plus grande joie, et nous rappelle la devise de l’artiste: "Soyons des aventuriers autour de chez nous!".
Le Seuil Jeunesse, 17.90 €
L'avis de Maryse:
Les trésors du fonds
Le texte est publié en 1923 à l’initiative de Romain Rolland qui, après sa lecture au hasard d’un envoi de l’auteur inconnu au bataillon qu’était alors Panaït Istrati, est subjugué et y détecte une perle littéraire. Kyra Kyralina se révèle une découverte singulière, tel un beau bijou façonné dans une contrée lointaine à une époque révolue…
Déjà le seuil du texte, le titre lui-même, amadoue le lecteur. Il l’emporte irrésistiblement au cœur d’un récit initiatique exalté, celui du voyage de Dragomir, parti en quête de la sensuelle Kyra Kyralina, sa grande sœur chérie, enlevée et détenue dans un harem. Le voyage à travers la Roumanie, la Bulgarie, les Balkans et jusqu’aux confins de l’Empire Ottoman, qui est alors au soir de son existence, est rocambolesque, vertigineux et multicolore. Pris dans le mouvement perpétuel vers un objectif fantasmé, flou et vain, l’adolescent candide découvrira le chemin de la vie, qui, nous le savons, sera semé d’embûches et de déroutes. Il y goûtera aussi mille et une saveurs, y respirera d’enivrants parfums, s’y brûlera la peau au gré de rencontres aux teintes explosives. Une véritable aventure.
Dans Kyra Kyralina, les mots mettent les cinq sens en éveil. L’écriture est léchée et sa délicate poésie charnelle et lascive. Le rythme tape à contre-temps et dépayse qui y est immergé…
Années 1880. Panaït Istrati est né à Braïla, une ville fluviale de Valachie. De mère roumaine et de père grec – j’ai lu que ce dernier vivait de la contrebande –, le Danube est son océan. Dès l’enfance, il baroude seul sur les routes d’Europe centrale et orientale, offrant ses services à tous les métiers, parlant une kyrielle de langues. Enfin, selon ses errances, il atterrit en France en pleine Grande Guerre. Puis il se met à écrire dans la langue de Molière et de Romain Rolland. Roman à lui seul, il est aussi et surtout un écrivain autodidacte de génie. Découvrir son œuvre m’a émerveillée, et pour sûr, il en sera de même pour vous.