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chateaux brouillardL'avis d'Anouk:

La Chintia est un continent merveilleux. L'arpenter sur les traces d'Anne Brouillard est un plaisir dont on ne se lasse pas. Après nous avoir fait visiter le pays du Lac Tranquille dans La grande forêtle pays des Îles et le pays Comici dans Les îles, c'est cette fois à une promenade dans le pays des Châteaux que nous convie Anne Brouillard. On embarque à sa suite, trop heureux de retrouver le chien Killiok et ses amis Véronica et Pikkeli Mimou.

Le roman s'ouvre sur un secret partagé. Devant un bon café et une assiette de biscuits, Pikkeli Mimou révèle à ses compagnons que ses ancêtres possédaient un château en plein cœur du pays des Châteaux. Depuis toujours, il conserve la clé de cette demeure autour du cou. Tout excités par cette révélation, Killiok et Véronica persuadent leur ami de se mettre en route vers ce fameux château.

Commence alors une belle aventure, en train, en bateau et à bicyclette. Des rencontres, des retrouvailles plus ou moins heureuses (ah vraiment, ces Nuisibles, pourquoi faut-il toujours qu'ils se mettent sur la route de nos amis?), des machines étranges, des paysages à la douce lumière: tout enchante dans ce récit riche en rebondissements. Il faudra du courage à Pikkeli Mimou pour remonter le fil de son histoire familiale. Il peut compter heureusement sur la générosité, l'inventivité et la bonne humeur de ses amis.

Des images pleines de grâce et un texte qui mêle l'aventure à la rêverie avec ce qu'il faut d'humour espiègle: Anne Brouillard réussit une fois de plus l'alchimie qui rend si passionnant son vaste projet "Le pays des Chintiens".

Les châteaux est un album à partager aux enfants dès cinq ans, mais il émerveille à tout âge!

 

L'École des Loisirs / Pastel, 19 euros

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quand souffleL'avis d'Adrien :

Nous avons à faire là à une bande dessinée immense !
Raymond Briggs, jusque-là connu pour ses albums jeunesse (“Le bonhomme de neige” en tête), publie en 1982, en pleine Seconde Guerre Froide, ce réquisitoire contre l’arme nucléaire qu’est “Quand souffle le vent”.

Nous sommes placés comme observateurs d’un couple de retraités profitant d’une petite vie paisible et monotone à la campagne jusqu’à ce que les journaux diffusent des informations préoccupantes sur l’éventualité d’un conflit nucléaire. Dès lors, le couple suit scrupuleusement les prescriptions invraisemblables du Gouvernement dans le “Guide de survie de l’habitant” pour faire face à une telle attaque : se faire un abri contre un mur à l’aide des portes dégondées de la maison, dormir en s’enveloppant de papier-journal, ne plus boire l’eau du robinet, et d’autres bonnes recommandations.

Le mésusage de la langue, le couple utilisant, dans une ignorance totale, un mot technique pour un autre mot technique, le parler populaire - terrib’, ‘pristi !, le fait que le couple, en dépit de tout, continue à parler des petites choses du quotidien (acheter du pain, choisir le dessert,...), et les quiproquos en pagaille (les ennemis sont-ils les “russkoffs" ou les allemands cette fois ?) ajoutent un comique de répétition qui ne fait qu’accroître l’effroi et la tristesse de la situation.
Le décalage donc entre la drôlerie des petites habitudes du couple si loin de la guerre et le tragique de l’événement, les planches surchargées dans un gaufrier [agencement des cases d’une bande dessinée] étouffant - on ira littéralement jusqu’à l’étouffement - est stupéfiant. Les couleurs pastel sont de moins en moins présentes, tout s’éteint petit à petit derrière une brume blanche, l’étouffement à petit feu.

La postface éclairante nous situe parfaitement l'œuvre qui a eu un grand retentissement à l’époque en Angleterre et qui résonne particulièrement aujourd’hui.

 Traduit de l'anglais par Patrick Marcel | Postface de Paul Gravett, Éditions Tanibis, 17 €.btn commande

 

la desinvoltureL'avis d'Adrien :

Philippe Jaenada enquête, lit, écrit, boit beaucoup, du bon et du mauvais whisky, digresse énormément. Il fait tout de façon démesurée et c’est là qu’apparaît la littérature, la musique de Jaenada, passionnante, gargantuesque, exhaustive, drôle dans le drame.

L’auteur nous présente une cartographie de la jeune population du café Les Moineaux dans le Saint-Germain-des-Prés du début des années 1950, pas le Saint-Germain littéraire et chic mais le mal-famé, le crade, l’embrumé, le modianesque. Modiano revient d’ailleurs souvent dans ce livre, de même que Guy Debord, ce dernier ayant fréquenté tout ce petit monde. Jaenada emprunte une magnifique phrase du Premier Manifeste situationniste pour le titre de ce roman.

Nous avons affaire à des jeunes femmes et hommes qui avaient entre dix et quinze ans durant la Seconde Guerre mondiale, ils étaient trop jeunes pour être mobilisés mais assez âgés que pour percevoir et comprendre l’horreur de la guerre. Il s’agissait aussi bien d'enfants de collabos que d’enfants de déportés. Ils et elles ont eu des destins flamboyants et fracassés à l’image de Jacqueline Harispe, surnommée Kaki que l’on voit sur la couverture et qui est le point de départ de l’enquête de Jaenada. Comment cette jeune femme, un temps mannequin chez Dior, fiancée à un ancien soldat américain, qui avait l’avenir devant elle, a pu se défenestrer à l’âge de 20 ans ?

A travers un livre de photos de l’époque, du néerlandais Ed Van der Elsken “Love on the Left Bank”, Jaenada a retrouvé tous les jeunes présents dans le fameux café et, à sa manière, entière et par détours, tel un enquêteur obsessionnel, a pisté leur histoire, l’histoire de leurs ascendants, l’histoire de leurs descendants. Il nous revient de façon évidente mais assez étourdissante ici que “la vie est une gigantesque toile de coïncidence troublantes”.
Comme pour harmoniser la théorie par circonvolutions à la pratique, l’auteur donne respiration au récit en relatant le tour de la France par les bords, longeant les frontières, qu’il fait durant la rédaction de ce livre. Régulièrement, en vieux bougon, il grogne contre la disparition des bars qui pullulaient à l’époque de ses protagonistes.

Mialet-Barrault, 22 €btn commande

 

lisez vous le belge 24En ce mois de novembre, la campagne Lisez-vous le belge? est une jolie invitation à lire, relire et découvrir les mille et un visages de la littérature belge.

 

Patrimoine et écritures contemporaines, figures tutélaires et jeunes talents, regards proches ou embrassant le monde: et vous, quel est votre roman belge préféré?

 

Retrouvez notre sélection ici.

 

etreintes michaelsL'avis d'Anouk:

C'est un roman où tout est seuil, âme, lumière. Un roman unique, tels ces flocons de neige qui reviennent, insistants, au fil des pages, et tout aussi aérien, fascinant, mystérieux.

Étreintes ne se raconte pas, il s'éprouve, se dépose, suspend le temps. Et pourtant bien des histoires y déroulent leurs fils et tissent des motifs, se répercutant en échos et éclats de lumière. Le troisième roman de la poétesse canadienne Anne Michaels nous arrive dans la vibrante traduction de Dominique Fortier. Et c'est un émerveillement.

Étreintes s'ouvre en 1917 sur un champ de bataille de la Grande Guerre. John, un soldat anglais, gît dans la nuit et la lumière laiteuse de la neige. Ses souvenirs défilent, "la mémoire s'écoulait goutte à goutte". Images de l'enfance, de la campagne anglaise, d'Helena, l'aimée. "C'est l'absence qui prouve ce qui fut jadis présent".

Quelques années plus tard, John a retrouvé le Yorkshire, Helena, sa boutique de photographe. Mais ce que la guerre a laissé en lui fait empreinte sur le cours de sa vie. Rien n'est plus pareil, hors l'amour d'Helena. Dans ces années d'après-guerre, les gens tiennent à se faire photographier. Les portraits sont des "attestations de retrouvailles, arguments pour se convaincre que la vie de famille avait repris son cours, preuves de divers degrés et formes de retour, de survie". John travaille sans relâche mais a beaucoup de mal pour tenir le passé à distance. Puis un matin apparaît un fantôme sur le portrait qu'il développe. Comment faire place à l'invisible, au mystère? Comment les souvenirs des gens aimés s'inscrivent-ils en nous? Le trouble né de ce surgissement ne cessera plus de hanter John. Il va aussi imprégner les destins des siens sur plusieurs décennies.

Car Étreintes est un roman de transmission. Le temps chez Anna Michaels a une telle fluidité qu'elle nous fait traverser un siècle sans que l'on s'en aperçoive, une génération après l'autre, chacune en subtils échos et variations de la précédente. John et Helena, leur amour absolu, leur conversation ininterrompue par-delà l'absence et la mort, se déposent en d'autres couples, d'autres duos – un père et sa fille, deux frères, des amis précieuses.

L'intimité entre ces gens qui s'aiment est la trame d'Étreintes, sa lumière apaisante. Par-delà les guerres, les deuils, les chagrins inconsolables, il ya la beauté de l'amour, les chemins inattendus qu'il fait emprunter, et cette certitude: "Il n'ya qu'un langage pour chaque paire d'âmes. Les autres ont beau écouter, ils ne comprennent pas".

 

Éditions du Sous-Sol, traduit de l'anglais (Canada) par Dominique Fortier, 23 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici