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killiok brouillardL'avis d'Anouk:

Un nouvel album d’Anne Brouillard pour célébrer le printemps qui arrive, cela nous met en joie !

D’autant qu’on y retrouve notre ami Killiok. Ce chien pas comme les autres, grand lecteur et amateur de café, nous le connaissons depuis longtemps. Avec sa comparse Véronica, il est le plus célèbre habitant du Pays du Lac tranquille et nous a embarqués dans ses aventures à travers La grande forêt et Les îles.

Pourtant, Killiok n’a rien d’un baroudeur – il serait plutôt du genre casanier. On le comprend, sa maison est si jolie. Posée au bord du lac, elle déborde de lumière quand le printemps montre son nez. Et c’est précisément la lumière du soleil qui vient réveiller Killiok au début de ce nouvel album. Avec le printemps vient l’envie de se lancer dans de grands travaux: et si Killiok construisait une terrasse, qui lui permettrait de profiter mieux encore de son jardin et de la vue sur le lac? Au travail!

Killiok mesure, dessine, se pose mille et une questions. Une terrasse, c’est une bonne idée, mais ne va-t-elle pas perturber la vie des hôtes minuscules du jardin, cette adorable souris, les insectes par milliers et les herbes sauvages?  Killiok hésite, le chat Mystère réfléchit avec lui, un autre ami sera bientôt là. C’est la vie comme elle va, comme elle vient: on verra demain.

Si Anne Brouillard n'a pas son pareil pour peindre les paysages hivernaux, sa palette prend dans cet album printanier un généreux coup de soleil et la lumière irradie page après page. Les grandes images comme les détails infimes: tout se pare d’un éclat intense, des premiers rayons du matin au coucher de soleil sur le lac. L'album est un éblouissement.

Killiok est un album d’une grande douceur, sans esbrouffe. Il nous invite à être heureux là où l’on est, à prendre soin de l’infiniment proche, à profiter de chaque instant. Une leçon de sagesse à hauteur des tout-petits dont les grands pourraient aussi s’inspirer...

 

Pastel/L'École des Loisirs, 13.50 euros

 

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contro corrente chantal veyL'avis d'Anouk:

C’est un livre qui ne ressemble à nul autre, palimpseste d’un texte vieux de soixante ans subtilement réinterprété à la lumière de notre aujourd’hui. Contro-corrente est tout à la fois un livre de photographe et un long poème, une exploration intime et un récit de voyage en Italie, une réflexion sur l’image et un hommage à un artiste qui, par-delà les décennies, reste une balise incontournable – Pier Paolo Pasolini.

La longue route de sable raconte le voyage que Pier Paolo Pasolini entreprend l’été 1959 : rejoindre Trieste au départ de Vintimille, en longeant le tracé des côtes italiennes. Entre une extrémité et l’autre, Pasolini regarde son pays, ses paysages, les hommes qui les habitent. Il dit l’industrialisation à marche forcée et comment la nature lui résiste. Il déploie, comme toujours, une clairvoyance proprement sidérante et chacune de ses pages est traversée de fulgurances poétiques.

Ce voyage devenu mythique a déjà été revisité par le photographe Philippe Séclier dans un livre magnifique, qui est aussi la première édition en français du texte intégral de Pasolini (Éditions Xavier Barral, 2005). Le projet qui anime la photographie Chantal Vey est d’une autre nature, plus intime et plus inquiète. Chantal Vey met elle aussi ses pas dans ceux de Pasolini mais elle le fait à rebours, partant de Trieste pour suivre la route à contre-courant. Le dispositif qu’elle met en place s’articule autour de trois voyages qui ont tous pour terme cette plage d’Ostie où le poète est assassiné en 1975. Les images de chaque voyage sont bordées de mots : une rencontre avec un témoin de l’aventure pasolinienne pour ouvrir le chapitre, et des extraits du journal de voyage de Chantal Vey.

On se plonge rarement un livre dont la maquette est aussi soignée et singulière. Les photos jouent sur des échelles différentes, modulant notre regard. Les images en pleines pages alternent avec des diptyques, des triptyques, des jeux de superposition. On ne trouve guère trace de présence humaine dans les photos de Chantal Vey : le temps est suspendu, les formes s’inscrivent dans une solennité silencieuse et presque mystérieuse. L’artiste joue aussi avec la transparence, qui transforme certaines images, imprimées sur un papier au grammage plus fin, en empreintes évanescentes. Et puis il y a ces découpes qui créent autour des mots de Pasolini comme un abri, une cachette de papier.

Contro-corrente est un livre à l’affut des émotions, des éblouissements, de la beauté qui demeure. Les photographies de Chantal Vey sont de la famille de ces images-lucioles dans lesquelles Georges Didi-Huberman voit des espaces de résistance à la course folle de notre époque.

Éditions Loco, 29 €

contro corrente vey

il ny aura pas de sang verse desbiollesL'avis d'Anouk:

De livre en livre, Maryline Desbiolles tisse les voix de femmes et d'hommes sur lesquels, d'ordinaire, le regard ne s'arrête pas. Qu'il s'agisse des siens, ses grands-parents italiens poussés par la misère jusqu'en Savoie (Primo) ou d'autres oubliés (les habitants de l'Ariane, un quartier dit "sensible" de Nice dans C'est pourtant pas la guerre), ses mots donnent à ces figures de l'exil et du déclassement une ardeur qui s'imprime durablement.

Il n'y aura pas de sang versé prolonge la démarche, en nous menant à vive allure vers la première grève de femmes, dans le Lyon de 1869. Pour autant, rien ici du livre d'histoire érudit et pesant. Ce qui anime Maryline Desbiolles, c'est sa volonté de donner voix, corps et mouvement à quatre ouvrières parmi les deux mille grévistes. Quatre filles aux pas desquelles elle nous attache par la grâce de son écriture alerte et sensible.

Elles viennent du Piémont, de Provence ou de Savoie. Toia, Rosalie, Marie et Clémence partagent pourtant des enfances parallèles, marquées du sceau de la misère. Arrivées à Lyon, l'industrie de la soie les avale: une main d'oeuvre dure à la tâche, sans instruction, sans revendication. Toutes quatre sont ovalistes: dans les salles ovales des moulins, au rythme imposé par les machines, elles tordent et enroulent les fils de soie destinés au tissage. Vies de peu, environnées par les maladies, les morts en couches, la violence des patrons.

En passant le relai de l'une à l'autre, Maryline Desbiolles suit leurs élans, leurs espoirs, leurs déconvenues jusqu'à cette ligne d'arrivée qu'est le début de la grève. Alors les relayeuses se fondent dans un "nous" et nous entraînent à leur suite. "Entre les visages rapprochés des femmes en mouvement ou mieux, en circulation, un instant nous ne reconnaissons plus ceux des quatre relayeuses comme si leurs traits s'échangeaient, le sourire de l'une éclairant le visage de l'autre, comme si leurs cheveux se mêlaient et le brillant des yeux l'emportait sur la variété des couleurs".

La grève: quelques semaines où le temps se suspend, quelques acquis qu'il faudra mettre à profit, "le dénouement est à inventer". Pour nos quatre ovalistes, elle creuse une ligne de démarcation dans leurs vies. En éclairant ces femmes de son écriture vive et précise, résolument solidaire, Maryline Desbiolles explore de nouvelles façons d'écrire les luttes d'autrefois pour nourrir celles d'aujourd'hui.

Sabine Wespieser Éditeur, 18 €btn commande

Disponible en format numérique ici

levaux baisse ton sourrireL'avis d'Adrien :

A l’instar de l’excellent enquêteur Mathieu Palain et son récit journalistique paru en ce début d’année aux Arènes « Nos pères nos frères nos amis. Dans la tête des hommes violents », Christophe Levaux choisit de s’attaquer à ce même thème mais de façon plus acrobatique car sous la forme d’une fiction.

Tout commence quand petit, dans une vie sans fard rythmée par les disputes sourdes de ses parents, le narrateur assiste, marqué à vie, à la disgrâce du jeune prodige d’un football belge, Gilles De Bilde pour ne pas le nommer, qui, en plein match, assène un furieux coup de poing à un adversaire le laissant KO. Notre anti-héros, c’est peu de le qualifier ainsi, apprendra plus tard que la violence du footballeur ne s’est pas arrêtée au stade.
S’émancipant du foyer familial après quelques amourettes sans trop de lendemains, notre narrateur rencontre Sophie avec laquelle il va vivre une sorte de passion, la vraie passion lui semblant vaine et impossible. Petit à petit, une routine qui n’enthousiasme plus les jeunes amoureux s’installe et prend la tournure d’une rancœur triste. La violence va alors sombrement surgir.

Baisse ton sourire est un livre qui remue les entrailles. Christophe Levaux a, depuis ses débuts dans la « scène littéraire », le don de croquer la classe moyenne qui se morfond et, s’il le faisait avec humour dans ses précédents romans, nous nous retrouvons ici dans un abîme de laideur pitoyable où l’amour n’existe plus ou n’arrive plus à exister. L’incompréhension de l’autre et la solitude sont partout tout le temps faites chair. Christophe Levaux contient ce texte de bout en bout et nous donne à réfléchir, nous terrifie tous, lecteurs, dans notre humanité vacillante façonnée par les structures sociales qu'il s'agit de déconstruire et de refonder.

Editions Do, 17 €btn commande

blood of the virginL'avis d'Adrien :

Bande dessinée monstre qui nous embarque à folle allure dans les tourments de ses protagonistes et ce, dès la couverture accrocheuse s’il en est.

Editeur de la revue de bande dessinée de pointe Kramers Ergot à laquelle ont contribué la fine fleur de la bd mondiale, Daniel Clowes, Chris Ware, Blexbolex, Ruppert et Mulot entre autres, Sammy Harkham voit publier en français ce second album, dix ans après la réédition de ses histoires courtes « Culbutes » aux mêmes éditions Cornélius. Et déjà dans ce premier album, des récits de bonheurs gâchés…blood 2

Car dans Blood of the Virgin, le héros, Seymour, scénariste et réalisateur de films de série b aimerait porter à l’écran son grand projet personnel et va de déconvenue en déconvenue, de rendez-vous foireux en rendez-vous foireux avec un producteur, de maousses fêtes décadentes et ratées à des esquives non déguisées pour éluder ses demandes. Personne n’écoute réellement ses propositions et le peu d’entre elles qui sont entendues sont rejetées mais il continue d’y croire. Cette plongée dans le monde hollywoodien du début des années 1970 est déjà fascinante en soi mais il n’y pas que ça.

Seymour, immigré irakien, est marié à une immigrée néo-zélandaise, ces deux déracinés viennent d’avoir un enfant et la vie de jeunes parents est difficilement conciliable avec les strass et les rythmes de tournage. Le délitement amoureux de ce ménage semble inexorable et on a l’impression à la lecture alternée de ces deux tableaux – plateau de cinéma, cocon familial éclaté – de suivre un grand film réalisé par Paul Thomas Anderson, au découpage-montage cadencé et agité. Au beau milieu des péripéties de Seymour, une incursion d’une bonne trentaine de pages en couleurs retrace les splendeurs et misères d’un cow-boy parti de rien et arrivé presqu’au firmament, ce destin en accéléré comme une clé à l’histoire qui nous occupe.

Dans une sublime ligne claire en noir et blanc aux ombres sépia où les poses semblent à la fois figées et tellement incarnées, l’auteur nous invite à observer les grandeurs et décadences de tout un monde et le souffle de la vie qui exhale sans relâche.btn commande

Cornélius, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Eric Moreau, 35.50 €