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Un peu de tendresse dans ce monde de brute !
Une histoire d’amour, une vraie, voilà qui est (trop !) peu courant dans les albums jeunesse. Nous sommes donc heureux d’en avoir une très jolie à vous présenter.
Dès le réveil, rien ne va pour Monsieur Chien : le voisin Coq chante trop fort et trop tôt, il n’y a plus rien à manger dans son placard, la radio n’annonce que des nouvelles tristes, il pleut des cordes et surtout… l’écrivain à succès qu’il était a perdu toute son inspiration.
Lors de sa promenade quotidienne et déprimée, il percute une jeune chienne aux yeux de saphir. Ils échangent quelques mots : elle est libraire et elle finit par lui conseiller un roman qu’elle adore (vous avez deviné qui en est l’auteur ?).
À dater de cet instant, tout est différent pour Monsieur Chien. Le matin est doux, la vitalité réapparait, même les vocalises de Coq semblent harmonieuses. Il ne cesse de pleuvoir dehors et pourtant, un soleil immense inonde de ses rayons la vie de l’écrivain. Il veut revoir la jeune libraire, car grâce à elle, il a repris la plume. Et le premier poème du nouveau chapitre de sa vie explique comment la couleur du saphir l’a fait se retrouver…
Un album de toute beauté, pas du tout fleur bleue, qui raconte l’énorme pouvoir qu’a l’amour de changer les perspectives.
Ilaria a huit ans et aime par-dessous tout faire le cochon pendu. Le vide et le vertige l’électrisent et elle se sent alors comme son idole, la gymnaste Nadia Comăneci.
C’est ce vertige qui est au cœur d’Ilaria ou la conquête de la désobéissance. Un divorce qui tourne mal, une enfance sur le fil, une cavale sans fin sur les routes italiennes: le roman est sous tension, imprévisible, sans cesse sur le point de basculer. On retient son souffle, un rien pourrait mener à la catastrophe.
Genève, 1980. Le couple que formaient les parents d’Ilaria se disloque. Un jour de printemps, le père d’Ilaria vient la chercher à l’école. Ce n’était pas prévu, mais la petite fille n’a pas de raison de ne pas suivre son papa. Elle ne sait pas encore qu’il va faire d’elle une monnaie d’échange dans ce divorce dont il ne veut pas, le moyen de faire pression sur la femme qu’il dit toujours aimer.
Ce jour-là commence une cavale qui va durer près de deux ans. Le père emmène sa fille sur les routes de l’Italie, son pays. Il y a la monotonie des paysages d’autoroute, des arrêts dans les stations-services le temps d’une limonade et d’une telefonata à la mère inflexible, des nuits dans des hôtels tristes. Il y a la joie aussi, celle qui naît d’une vie en apparence sans contrainte, joueuse, dans une Italie où les chansons de l’autoradio parlent d’amour et se reprennent à tue-tête.
Ilaria observe. Rien n’échappe à la sagacité de l’enfance. Elle apprend à lire dans les attitudes de son père ses moindres émotions – la nervosité, la peur, la colère. De cette vie dans l’habitacle d’une voiture, elle dit: "nous vivons de profil". Tout se devine du coin de l’œil, rien n’est franc, direct. La vie a une opacité dont Ilaria semble d’abord se contenter mais qu’elle va petit à petit tenter d’érafler. Il y a un mot pour cela: "désobéir. Ce mot tombe en moi comme un caillou. Il me traverse tout entière. Quelque chose s’effondre, me vivifie".
Dans sa conquête de la désobéissance, Ilaria a quelques précieux alliés : sa passion pour le dessin, un singe en peluche devenu son unique confident, quelques femmes qui prennent soin d’elle au gré de son parcours. Alors que son père s’avère toujours moins fiable, ces points de repère permettent à la petite fille de tenir bon.
Ilaria tisse avec les deux précédents livres de Gabriella Zalapi une toile aux résonances très autobiographiques. L’écriture vive, rapide, sans affect, colle aux ressentis d’une narratrice contrainte de grandir avec ses propres règles puisque les adultes sont défaillants. La puissance du texte est telle qu’Ilaria semble là, toute proche, enfant soldat d’une guerre qui n’est pas la sienne et dont elle se protège comme elle peut.
Disponible en format numérique ici
Dans la famille Ruck, je demande la grand-mère. Et voici Inge, ou l'insatisfaction faite femme. Inge n'a pas vu venir ses 84 ans mais il semble qu'elle soit bel et bien entrée dans la vieillesse. Elle a beaucoup de mal à se faire à cette idée. D'autant que personne ne semble se soucier d'elle, quand son âge devrait lui valoir quelques égards, non? Dans sa chambre d'hôpital où elle se remet d'une chute et d'une fracture du col du fémur, Inge rumine. Qu'a-t-elle gagné à consacrer sa vie aux autres – sa mère aigrie, ce mari fainéant, deux fils ingrats, ces voisins auxquels il faut montrer sans cesse combien elle est irréprochable? Qui se soucie d'elle aujourd'hui? Son fils aîné, installé à l'autre bout du monde, ne juge pas utile de renouer les liens. Et le cadet, Carsten, celui qu'elle a toujours secrètement préféré, n'a guère de temps à lui consacrer et refuse tout net de venir s'installer chez elle, dans ce village terne et endormi de l'ancienne Allemagne de l'Est, pour lui éviter l'abomination de la maison de repos. Heureusement Inge conserve ruses et chantages, Carsten n'a qu'à bien se tenir...
Dans la famille Ruck, je demande le fils. Carsten a la cinquantaine et quelques soucis à se faire. Amours décevantes, boulot sur le fil (l'Europe s'apprête à interdire les emballages alimentaires que sa boîte produit), une mère envahissante, une ex pleine d'exigences et une fille adolescente qui ne laisse rien passer au mâle blanc vieillissant qu'il devient: décidément, la vie de Carsten n'est pas un long fleuve tranquille. Lui aspire juste à ce qu'on le laisse en paix, est-ce tant demander?
Dans la famille Ruck, je demande la petite-fille. Lissa a quinze ans et l'intransigeance révoltée qui va avec son âge. À part Yann, le petit ami qui vient de la quitter, personne ne trouve grâce à ses yeux. Et surtout pas ce père à qui elle n'en finit pas de faire des leçons de féminisme et d'écologie. Lissa mène ses luttes à coups de post-it vengeurs apposés sur le pare-choc des SUV, sur les panneaux publicitaires, sur la palissade du voisin de sa grand-mère qu'elle soupçonne d'être un ancien de la Stasi. Berlinoise pure jus, elle adore traverser le plus lentement possible aux passages piétons, pour le plaisir de faire fulminer les automobilistes.
Cet été-là, Inge, Carsten et Lissa vont devoir passer trois semaines ensemble dans la maison de la grand-mère. Une certaine vision de l'enfer... Mais bien entendu la vie réserve des surprises, et Katja Schönherr manie ce sens de l'inattendu avec humour, ironie et même une pointe de tendresse retorse.
Sous ses allures de comédie trépidante (ou de huis-clos oppressant, c'est selon), La famille Ruck parle avec beaucoup de finesse du temps qui passe, de la transmission et de l'amour circulant, coûte que coûte, entre trois générations qui ont bien du mal à l'exprimer.
Éditions Zoé, traduit de l'allemand par Barbara Fontaine, 23 euros
Disponible en format numérique ici
Voici une pépite de la rentrée littéraire de cet automne.
Entre-Deux-Guerres, dans une bourgade quelque part en France. Une jeune domestique est embauchée dans une maison bourgeoise. Outre le ménage, la lessive, la cuisine et la bonne tenue de la demeure, sa charge sera de s’occuper du mari de la maîtresse de maison durant l’absence de cette dernière, un ancien combattant de la Grande Guerre, gueule cassée, lourdement handicapé et dépourvu de toute autonomie. Pianiste dans une autre vie, il est un homme démoli, misanthrope, accablé d’amertume et gavé de morphine. La petite bonne, elle, est jeune, elle ne connait de cette guerre de 14 que ce que sa mère lui en a raconté, à savoir pas grand-chose, et son milieu, qui était celui de ses parents et de tout ceux avant eux, détermine chaque jour de sa vie.
Ce récit en huis clos raconte la rencontre de ces deux êtres, et la relation singulière qui, avec une subtilité absolue, va se construire et faire dévier leurs chemins respectifs.
La Petite Bonne, dont l’écriture surprend dès les premières pages – la prose poétique y alterne avec une narration plus classique, au gré du point de vue des personnages – et, tout au fil du texte, reste d’une élégance brillante, est à la fois subjuguant et empreint d’une grande force de vie. C’est pourtant la simplicité et le ressenti d’une profonde humanité qui resteront durablement dans la tête et le cœur du lecteur de ce très beau récit.