librairie
point virgule

Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30

un perdant magnifique seyvosL'avis d'Anouk:

Les romans de Florence Seyvos creusent des sillons singuliers. Ils interrogent l'enfance et glanent des bribes, des éclats, où se concentrent son opacité, sa poésie, sa force de subversion.

Un perdant magnifique poursuit ce chemin. Au centre du récit, deux soeurs adolescentes, Anna la narratrice et Irène son aînée. Leur mère a épousé, pour des raisons que les soeurs ne s'expliquent guère, un homme étrange et insaisissable. Tout à la fois flamboyant et pitoyable, Jacques vit en Afrique. Il y gère de mystérieuses affaires. Les filles et leur mère l'y rejoignent, puis rentrent au Havre quand la vie sur le fil que leur fait mener Jacques devient trop hasardeuse.

La vie s'installe alors entre deux continents, entre des départs et des retours, "dans un temps découpé". Anna observe avec acuité cette vie étrange, le ballet mis en scène par ce beau-père fantasque, tour à tour aimant et tyrannique. Ce sont les années 80, on écoute leur bande-son, on lit L'insoutenable légèreté de l'être et on boit du gin. Jacques impose son rythme: "cette vie était la seule qu'il aimait vraiment, celle où le présent n'avait aucune importance. Seul comptait le futur, l'utopie sans cesse réinventée, sans cesse perfectible". Et pourtant les désillusions s'accumulent, la folie guette et la faillite de Jacques devient inéluctable. Sa santé ne résiste pas à un long emprisonnement pour dettes à Abidjan. Le roman, tout entier suspendu aux humeurs de ce "perdant magnifique", se lit en apnée, comme au bord d'un précipice. Le réel qu'invente Jacques est une fiction, il est poreux et se laisse contaminer par ses mensonges, sa verve, sa fantaisie.

Et pendant ce temps Anna grandit. Elle apprend toutes les pertes auxquelles il faut consentir, fait le deuil de son innocence. Et c'est là sans doute le tour de force de ce livre: capter au plus près, au plus juste, la mue qui s'opère à l'adolescence et le moment où il faut quitter la chrysalide de l'enfance. Anna s'avance alors, fragile et résolue, forte des blessures et des éclats de joie qu'elle a accumulés auprès de ce perdant magnifique et inoubliable.

Éditions de l'Olivier, 19.50 eurosbtn commande

terres indomptees groffL'avis d'Anouk:

C'est une fille sans nom, orpheline, domestique puis fugitive, tellement insignifiante que, si sa maîtresse veut la faire venir, elle l'appelle Zed, "car elle était toujours la dernière et la plus petite, celle qui comptait le moins, comme la plus étrange des lettres de l'alphabet".

C'est une fille sans nom et ce manque est aussi sa liberté: depuis Adam, nous savons que donner un nom, c'est proclamer sa domination sur ce qui est désigné. Être sans nom permet à la fille d'échapper aux assignations, à "la roue de la puissance".

Cette fille sans nom, si jeune et sans attaches, nous la suivons pas à pas dans une fuite haletante à travers les terres indomptées de l'Amérique du Nord. Elle a gagné le Nouveau Monde depuis l'Angleterre pour suivre ses maîtres dans leurs rêves d'évangélisation. Dans ce lointain 17e siècle, ils n'ont trouvé que famine, peste et violence.

Alors la fille s'enfuit.

Elle a sous les ongles du sang noirci, celui de l'homme qu'elle a tué avant de s'élancer. Sa rage, son endurance, sa faim de vivre auront raison des poursuivants lancés à ses trousses. La voici bientôt hors d'atteinte, dans un monde qu'elle pense vierge, "ce lieu est tel un parchemin sur lequel on n'a rien écrit, encore". Elle se trompe, bien sûr, quand elle estime que ce Nouveau Monde ne se déploie que dans l'espace et qu'elle pourra y échapper aux couches du temps qui lestent de mythes et de légendes la moindre parcelle de son pays natal. C'est là la faute première des Européens, plus grave encore que le meurtre qu'elle a commis – le péché originel de cette nation déterminée à tout dominer et aveugle à ce qui lui est étranger.

La fille trace son chemin, déterminée, persévérante. Avec elle nous affrontons le froid, la faim, la peur, l'humidité, la fièvre, les animaux sauvages et les hommes, tellement plus dangereux qu'ours et loups. La fille seule dans les bois est un motif littéraire universel: tant de contes, de récits mythiques, de romans l'ont mise en scène. Lauren Groff le fait à sa façon singulière, résolument contemporaine. Son roman est un conte cruel de jadis qui aurait intégré les questions de l'anthropocène et l'héritage féministe.

Quand, au terme du voyage, la fille aura trouvé un lieu où s'ancrer, l'aventure se poursuivra sur un mode nouveau, plus métaphysique. Après les embûches du chemin, c'est le poids des souvenirs et l'abyssale solitude que la fille devra affronter: "survivre seule, ce n'est pas la même chose qu'être vivante". Les voix qu'elle porte en elle sans parfois les comprendre l'accompagnent dans son cheminement. Et la beauté de la nature, l'émerveillement né de sa contemplation, les scintillements du ciel et "les chants des oiseaux comme une émeute dans l'air", tout l'invite à prendre part à l'harmonie du monde. Renaît alors en elle "une vibration profonde dont elle ne savait pas qu'elle s'était désaccordée". La langue fine de Lauren Groff, qui ne craint pas le lyrisme et les accents visionnaires, fait merveille pour capter la grâce et glorifier cette beauté du monde. Elle l'exprime en scènes d'une grande puissance, tel ce moment suspendu où un ours fasciné et concentré contemple les reflets de la lune dans les eaux d'une cascade.

Les terres indomptées capture l'essence des grands romans américains – la violence et la quête de rédemption, les frontières à reculer, l'aventure et l'effroi – pour la redéployer sous un prisme féministe.

Avec ses références bibliques, sa langue incantatoire, son obsession de la survie, Les terres indomptées ne manque pas de faire penser à certains romans de Cormac McCarthy. C'est dire si Lauren Groff a fait sa place parmi les très grands.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau, 23.50 eurosbtn commande

 

 

 

isle of seven cities roland42L'avis d'Anouk:
 

"L'absence est terrifiante et nous avons parfois besoin de la combler en racontant des histoires".

 

Ainsi s'ouvre le très beau livre de l'artiste et réalisatrice Stéphanie Roland, "Île des Sept Cités / Isle of Seven Cities". Stéphanie Roland y part en quête de sept îles fantômes, des îles que nous connaissons par les textes de géographes anciens ou parce qu'elles sont mentionnées sur des cartes, mais qui n'existent pas.
 
Pourquoi ces îles ont-elles été inventées? Quels intérêts ont-elles servi au fil des siècles? Comment ces territoires de fiction ont-ils longtemps paru si vrais, suscitant recherches, légendes, explorations?

 

Le livre ouvre des questions passionnantes mais séduit surtout par sa poésie, la beauté de ses images, le vertige qu'il suscite.

 

Il est magnifiquement édité par TheEriskayConnection (édition bilingue français/anglais, 42 euros).

 
 
 
 
isle of seven cities roland62isle of seven cities roland02

le cas davidL'avis d'Adrien :

Du suspens fantastique vertigineux !

David Zimmerman, jeune photographe peu sociable, taciturne, se voit entraîner dans une énorme fête de réveillon par son unique ami, le fanfaron Harry. David va tomber en pâmoison devant une intrigante convive qu’il va suivre dans un endroit plus intime. Le lendemain de leurs ébats, David se réveille chez lui, dans le corps de cette fille dont il ne sait rien. S’ensuivent des recherches acharnées, de son propre corps, des raisons, du pourquoi, du comment. Quelle est cette effrayante transsubstantiation ? Comment inverser le phénomène ? Comment vivre cette folie seul (ou presque, nous ne vous en disons pas davantage), car impossible à partager avec quiconque ?le cas david1

Le “bodyswap” (échange de corps) est un thème régulièrement traité dans le genre fantastique mais les frères Harari le traite d’une façon si réaliste que c’en est étourdissant. Les questions soulevées ne sont pas forcément celles évidentes du genre ou de la transidentité (non voulue ici) bien qu’elles soient inhérentes au projet. Sont plutôt abordés l’identité en tant que telle, la judéité aussi, ainsi que l’épigénétique, le passé jamais révolu - notre héros est photographe ne l’oublions pas, archiviste de la mémoire donc.

De Lucas Harari, nous avions déjà beaucoup aimé “L’aimant”, thriller architectural, eh oui !, se déroulant aux Thermes de Vals en Suisse, ainsi que “La dernière Rose de l’été”, polar ligne claire estival. Arthur Harari, le frère, nous avions pu l’admirer au cinéma en tant qu’acteur, scénariste ou encore réalisateur (dans le désordre : “Diamant noir”, “Anatomie d’une chute”, “Sibyl”, “Le procès Goldman”...). Les deux brillants frères s’associent et investiguent le fantastique qui fait frissonner et réfléchir. On retrouve aussi avec joie (et tressaillements) les ambiances, l’atmosphère créées par l’illustrateur tout en quadrichromie et ce genre de héros, artiste loser qui ne s’en laisse pas conter, l'architecture aussi, la ville très présente, un Paris comme on le voit peu. Les éditions Sarbacane ont une nouvelle fois soigné l’objet bd, dos toilé, très grand format, couverture frappante. Tout y est donc parfait et déstabilisant !

Sarbacane, 35 €btn commande

 

August Strindberg Celestograph 1894 Royal Library StockholmDans les histoires du temps de Noël, il y a toujours une étoile.

Étoile qui guide et qui rassure, présence familière qui nous fait éprouver l’immensité, elle brille pour toutes et tous avec le même éclat.

En cette fin d’année, nos vitrines seront une invitation à lever les yeux vers la nuit étoilée – sa beauté, ses mystères, la paix et l’inspiration que l’on y puise.

À toutes les époques et sur tous les continents, les étoiles ont fasciné. Elles accompagnent les récits de création du monde, les mythologies et les légendes. Elles posent les questions qui font naître la science, inspirent artistes et créateurs.

Dans notre monde de toutes parts assiégé par l’obscurité, la guerre et la violence, les étoiles portent aussi un message d’espoir, lumières lointaines mais obstinées