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Souvent le monde s’emballe et nous laisse sur le qui-vive. Les catastrophes s’enchaînent – trop de guerres, d’autocrates détestables, trop d’angoisse et de douleur. D’une sidération à l’autre, nos cœurs et nos corps sont malmenés par le chaos du monde. On tente d’esquiver, de parer les coups mais toujours la question revient – Et donc, comment vivre ?
Mathilde est prof d’histoire-géo. « Ce capharnaüm qu’on nomme l’histoire de l’humanité », elle connaît : elle s’efforce jour après jour de l’éclairer pour les ados auxquels elle enseigne. Puis un matin, après tant et tant d’insomnies, il lui faut reconnaître qu’elle n’y arrive plus. Le sens l’a désertée, et ses sens eux aussi la trahissent. Alors Mathilde s’en va.
À son compagnon et à sa fille, elle ne dit pas où la mènera son voyage. Peut-être ne le sait-elle pas non plus lorsqu’elle arrive ce matin-là à l’aéroport. Quelques heures plus tard, elle est au bord de la mer à Tel-Aviv. Un voyage comme une énigme à résoudre, comme un retour à une source profondément enfouie.
Au gré de rencontres qui l’enchantent ou la désarçonnent, Mathilde apprend à apprivoiser son sentiment de perte de repères et de désorientation. Petit à petit, elle recommence à faire corps avec le monde, malgré le chaos et les ébranlements. L’idée fait son chemin que l’imperfection est la condition de la liberté et de la création. « Je défie qui que ce soit de soutenir que notre trajectoire est une ligne droite plutôt qu’une errance, j’en détiens la preuve ». Au bout de son errance, Mathilde aura retrouvé le fil de sa propre vie et d’une nouvelle présence à elle-même et au monde qui l’entoure.
Éditions de l'Olivier, 19.50 euros
Disponible en format numérique ici
Lorsque Rousse se met en route, c’est avec, déjà, le regret de son bois tant aimé et des amis qu’elle y laisse. Mais la sécheresse condamne au départ la jeune renarde, et son instinct de vie la pousse à avancer. Elle espère l’eau et la fraîcheur, elle espère aussi découvrir de vastes ailleurs et « trouver sur son chemin assez de lumière pour fortifier son cœur, assez de joyeuses rencontres pour alléger sa course ».
En mettant ses pas dans ceux de Rousse, le lecteur se décentre et apprend à écouter « le halètement des beaux habitants de l’univers », pour reprendre les mots de Giono cités en exergue du roman. Dans le monde de la renarde, les hommes ne sont plus là. Des vestiges subsistent du monde d’avant, mais méconnaissables et vidés de sens. La renarde et les amis qu’elle croise en chemin, ourse, corbeau ou écureuil, se partagent une terre abîmée, parfois à l’agonie. Rousse cependant n’a rien d’un roman post-apocalyptique haut en catastrophisme: c’est une fable douce, malicieuse et vivifiante.
Denis Infante réussit avec un singulier talent à nous faire éprouver les perceptions du vivant non-humain. Son écriture vibre d’une grande puissance poétique, inscrite dans les interrogations et les inquiétudes du plus brûlant aujourd’hui et pourtant intemporelle et universelle. Pour nous immerger dans la façon dont Rousse appréhende le monde, l’auteur s’appuie sur une trouvaille d’écriture à l’efficacité stupéfiante: la langue s’avance sans l’appui des déterminants. Les mots se détachent dès lors avec relief et majestuosité. Cela leur confère une aura presque mystique, les fait participer activement aux sensations et aux réalités qu’ils décrivent. Ils gagnent aussi une part d’ombre et de mystère, comme s’ils s’ensauvageaient en perdant l’amarre rassurante des déterminants.
Comme Alain Damasio dans Les furtifs, Denis Infante crée un lexique, une grammaire, une métrique à même de dire d’autres expériences du vivant. Sa démarche n’est pas si différente de celle de Rousse: aller voir plus loin, ouvrir d’autres voies avec humilité, bravoure et curiosité. Rousse ou les beaux habitants de l’univers est une expérience de lecture immersive comme on en fait rarement. Un livre de sagesse, aussi: « À présent, Rousse qui est renarde, sait. Mais apprendre n’est jamais fini, apprendre est sinueux chemin qui se poursuit jusqu’au dernier jour. Rousse doit partir, Rousse doit continuer chemin et continuer histoire. »
Il y a longtemps que Nastia a quitté la Slovénie. La vie y était trop étroite pour ses rêves et ses désirs et c’est à Paris qu’elle s’est réinventée. À l’heure de la pandémie pourtant, alors que l’homme qu’elle aime la quitte brutalement et que le confinement l’oblige à fermer sa galerie, elle prend le premier vol pour Ljubljana et sonne à la porte de sa sœur Dora. Entre elles, tout est compliqué depuis l’enfance et le temps passé n’a pas cicatrisé les blessures. Nastia décide donc de se trouver un lieu pour elle. L’appartement est trop grand, un peu bancal, mais elle en fait le cocon dont elle a besoin dans ce moment de crise.
Aux tourments intimes de Nastia se mêlent rapidement les bruits d’une ville en colère : tous les vendredis, les rues de Ljubljana se remplissent de cyclistes qui manifestent contre les dérives autocratiques du gouvernement. La révolte est joyeuse, créative. Elle suit la voix des poètes et un slogan inspirant : « La liberté est un verbe ». Nastia réapprend petit à petit à écouter les bruits du monde qui l’entoure et soigne sa tristesse dans le grand bain de jeunesse des manifestations. Son chemin est ponctué de belles rencontres – une autre Nastia qui vient de loin avec son vélo, une voisine aux cheveux blancs mais à la jeunesse éternelle, et puis Boris, un journaliste belge qui s’est pris de passion pour le mouvement de contestation slovène et lui apprend "l'attention comme forme suprême de générosité".
De ces quelques semaines fiévreuses, Nastia sortira transformée: les pages qui se referment appellent à en écrire de nouvelles, la vie n’en a jamais fini avec les surprises.
Les cycles de la révolte est un roman empli de désir et de joie, autour d’une héroïne qui s’évade de sa propre vie pour en inventer une autre. Malicieux, tendre, effervescent, il nous rappelle combien l’esprit de lutte est prodigue.
Disponible en format numérique ici