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enfant dans le taxi prudhommeL'avis d'Anouk:

Sylvain Prudhomme est un écrivain du sensible et des infimes variations de l'âme. De livre en livre, il construit une œuvre qui creuse les énigmes au cœur de toute vie, dans une langue à la fois limpide et somptueuse. Les grands, Par les routes (Prix Femina en 2019), Les Orages et aujourd’hui L’enfant dans le taxi sont autant de livres profondément marquants, qui impressionnent par leur énergie romanesque, leur justesse et leur phrasé singulier. Sylvain Prudhomme est à n’en pas douter l’un des grands, très grands écrivains d’aujourd’hui.

L’enfant dans le taxi tourne autour d’un silence – la présence d’une ombre dans la généalogie de la famille de Simon. Cette ombre, Simon la découvre alors qu’il vient d’enterrer son grand-père, patriarche craint et révéré d’une famille en apparence sans histoire. Peu après l’enterrement, un oncle lui parle de M., le fils né de la rencontre du grand-père, alors soldat d’occupation dans l’Allemagne vaincue, et d’une jeune femme allemande. M. l’enfant illégitime, l’enfant tu et renié, entre dès lors dans la vie de Simon et devient l’objet d’une quête obsédante, exigeante mais aussi libératrice.

C’est que Simon traverse un moment de fragilité. Séparé depuis peu, il doit réinventer sa place dans le monde – auprès de ses deux fils, auprès de A. qui a partagé vingt ans de sa vie, auprès du cercle amical et familial. En M., Simon se reconnaît : le vertige de sa solitude fraternise avec « l’abandon le vrai » qu’a connu le fils grandi sans père. « J’ai pensé que j’étais le frère de M. dans l’ordre des condamnés au remodelage, à la fiction. Son frère dans l’ordre des intranquilles, des insatiables, des boiteux ».

Il faudra de l’obstination et de l’élan à Simon pour faire, en sens inverse, la route qu’avait empruntée M. adolescent pour retrouver son père et se faire éconduire. Mais cet élan en forme de pulsion de vie, Simon le porte en lui et le fait rayonner à travers tout le livre. Ses interrogations, ses joies, ses désillusions dessinent comme une sismographie de l’intime. La famille, le couple, le passage de témoins d'une génération à l’autre: tout ce qui fait l'épaisseur de nos vies est là, raconté avec une infinie délicatesse.

 

Sylvain Prudhomme sera à la librairie le vendredi 8 décembre à 19h30 pour nous présenter L'enfant dans le taxi: un rendez-vous à ne pas manquer!

 

Éditions de Minuit, 20 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

deserter enardL'avis d'Anouk:

Avril 2022. Une femme arrive à Weimar pour un bref séjour. Elle gravit l’Ettersberg, à quelques kilomètres à peine du centre-ville. Là, dans le château baroque qui domine la colline, se sont croisés Goethe et Schiller. Là, sur cette même colline, le camp de Buchenwald a perverti à jamais la tranquille sérénité de ce coin d’Allemagne.

Irina Heudeber fait ce voyage pour mettre ses pas dans ceux de son père Paul, mathématicien de génie et rescapé du camp. Elle se rappelle comment vingt ans plus tôt, un certain 11 septembre 2001, elle avait organisé avec un cénacle d’universitaires une journée d’hommage à ce père tant aimé, pour qui « les mathématiques étaient l’autre nom de l’espoir » et qui par fidélité à ses idéaux communistes n’a jamais voulu quitter Berlin-Est. Cette journée de commémoration, sur un bateau de croisière amarré sur la Havel, s’était terminée dans l’effarement – l’effondrement des tours scellant un siècle décidément voué à la dévastation.

Il faut du courage à Irina Heudeber pour ouvrir les yeux sur l’histoire de son père, celle de sa mère, celle de son pays. Elle a beau avancer en âge, elle ne s’habitue pas à ce constat amer : « Tout est contaminé par le mensonge ». Le récit d’Irina se lit comme l’archive des vies de ses parents : une archive tourmentée, parcellaire mais recelant aussi des éclats de beauté, de passion, de poésie.

Adossée à ce texte très construit, une voix s’élève. C’est la voix d’un homme jeune qui décide un matin de printemps de tourner le dos à la guerre. Il tente d’arracher celle-ci de son corps et de son âme comme on se défait de vêtements souillés mais la guerre est tenace. Elle s’insinue dans ses gestes, dans ses rêves, dans sa tentative de retour à la pureté de l’enfance. Dans l’âpreté d’un paysage de montagne, la voix se fait poème, prière, incantation. Est-ce que déserter, c’est toujours trahir ? Cet homme qui gravit la montagne et cherche le salut, pourra-t-il s’abstraire de la violence, celle du monde et la sienne propre ?

En alternant le récit d’Irina, tellement inscrite dans les fracas du 20e siècle, et cette voix immémoriale, anonyme, universelle puisqu’elle ne s’ancre pas dans un conflit précis mais pourrait être de toutes les guerres, Mathias Énard construit un roman d’une extrême profondeur. Mais si l’architecture romanesque est virtuose, sa précision n’étouffe jamais, bien au contraire, la puissance des sensations et des émotions. La langue, somptueuse, fait vibrer chaque page et renvoie chacun à ses interrogations les plus intimes.

C’est un roman fascinant que ce Déserter, dont le titre claque comme une injonction. Fascinant par sa grande originalité formelle, fascinant par la profondeur de ce qui s’y joue, fascinant par l’élégante évidence du talent de Mathias Énard.

 

Mathias Énard sera à la librairie le jeudi 30 novembre pour nous parler de Déserter: un rendez-vous à ne pas manquer!

 

Actes Sud, 21.80 euros - disponible en format numérique icibtn commande

pour qui je me prends saint martinL'avis d'Anouk:

Il y a bien des façons de s'échapper d'une enfance douloureuse, mais celle qu'a choisie Lori Saint-Martin est singulière.

À dix ans, son premier cours de français sonne pour elle comme une révélation: c'est dans une nouvelle langue qu'elle va trancher les fils qui l'attachent à sa famille (un père absent, une mère qui lui fait payer ses propres échecs) et à la ville étriquée où elle a grandi. De cette langue française qu'elle s'est choisie, Lori Saint-Martin fait un instrument puissant d'émancipation. Elle l'apprend avec rage et passion, consciente qu'il n'y aura pas d'autre clé pour ouvrir la porte derrière laquelle elle se sent enfermée. À dix-huit ans, elle quitte l'Ontario pour le Québec et extirpe l'anglais de sa vie. À sa langue maternelle elle préfère sa langue de renaissance. Devenue chercheuse, éditrice et traductrice, elle consacre sa vie au français, la langue dans laquelle elle s'est créée et qui l'a sauvée des chemins tout tracés.

C'est ce parcours de liberté que raconte Pour qui je me prends, un livre âpre et beau qui se lit comme un refus de toutes les assignations. C'est aussi un hommage à l'impureté et au métissage: "J'aime les exilés, les diasporés, les transfuges linguistiques et les asilés politiques, les sabirisants et les patoisants et même les baragouinants, les Indiens qui écrivent en anglais et les Slaves qui écrivent en français et les Marocains qui écrivent en catalan, les interprètes, les passeurs, les dissidents et les mépriseurs de frontières, les sans-papiers et les sans-filet, les inventeurs de mondes et les métisseurs de formes, tous ceux qui mêlent les langues comme on mêle les cartes".

Par-delà la volonté farouche qu'a Lori Saint-Martin de se déprendre de sa famille, et tout particulièrement de sa mère, "Pour qui je me prends" offre une réflexion saisissante sur la filiation et la transmission. C'est en devenant mère à son tour que la petite fille en colère va trouver le chemin de l'apaisement et la force de refaire la route en sens inverse pour se réconcilier avec les siens.

Éditions de l'Olivier, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici