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ta promesse electreL'avis de Maryse:

Ta promesse raconte de manière fort subtile les mécanismes de l'emprise à travers le récit d'une relation toxique.

Claire Lancel, écrivaine quinquagénaire renommée, tombe amoureuse de Gilles Fabian, homme de théâtre. Le couple, dont l'amour s'est soudé au-delà des expériences houleuses vécues respectivement par le passé, nage dans un bonheur épris de quiétude et de bienveillance. Les amants ne se promettent pas monts et merveilles, mais bien le respect de l'intégrité de chacun. C'est stable, c'est sain, bien que passionné. Toutefois, puisque, comme le dit Claire, "dans les livres, le bonheur lasse tout le monde", le lecteur attend la chute, annoncée par touches insidieuses, alors que l'atmosphère se tend doucement, en crescendo, jusqu'à l'asphyxie.

Et Camille Laurens de brouiller astucieusement les pistes entre le réel et la fiction, son personnage et elle-même - du moins ce que le public connaît d'elle-même - au point d'en troubler la lecture.

Dans ce roman, qu'on engloutit d'une traite, le métier à tisser la toile de l'ascendant psychologique fonctionne impeccablement, à l'instar des rouages aiguisés de l'écriture qui manoeuvre le lecteur tel un pantin.

Brillant.

Gallimard, 22,50 euros.btn commande

Disponible en format numérique ici.

sophia de duveL'avis d'Anouk:

Un livre comme une trajectoire: précis, vif, poétique.

Avec Sophia, Éléonore de Duve tisse un destin de femme dans ce qu’il a d’essentiel. En 47 tableaux, elle donne à voir et à sentir l’épaisseur d’une vie : gestes, sensations, désirs, blessures, tendresses. Les mots dansent, comme Sophia quand s’ouvre le livre. Ils sont libres et ivres de cette liberté : la langue d’Éléonore de Duve voltige, transgresse, résonne. La phrase polit les mots comme les galets caressés par l’eau d’un ruisseau. La richesse d’écriture qui avait ébloui dans son premier roman, Donato, donne un relief singulier à Sophia – sa beauté et sa grâce.

L’histoire de Sophia s’écrit à rebours. Elle s’ouvre "dans la toundra dans le noir, au sein des fusils", alors que Sophia danse sous les balles. Quand les premiers mots de Donato parlaient de Genèse, c’est de fin dont il est question ici, de mort et d’une guerre imprécise mais dont l’ombre s’étend partout. Ce premier tableau en appelle d’autres, "chaque unité reliée à l’autre forme un ensemble, mouvant". Nous remontons de tableau en tableau vers l’origine, la naissance et même la vie d’avant la vie. Les tableaux se cousent mot à mot. Souvent s’y énonce et s’y annonce le titre du tableau suivant. La broderie avance point à point mais garde sa part floue: "elle picote le canevas, elle n’en suit pas les lignes, poinçonne à sa guise".

Dans les tableaux la vie palpite. Il y a des fleurs, beaucoup de fleurs, « une botanique concrète » qui nous rappelle que la vie est transformation. Elle patiente, bourgeonne, éclate de splendeur, puis s’éteint ; "les fleurs mettront un temps à revenir", mais elles reviennent, insistantes. La guerre n’éteint pas la vie, les visages demeurent comme les noms des morts, ils sont fragiles mais leur ténacité émeut.

Et puis il y a l’amour qui circule entre chacun des tableaux et se décline à l’infini: amour d’un paysage même meurtri, amour maternel, souffle des amants, amour contenu dans les gestes les plus simples, amour souple et fluide qui s’affirme: "au bord de je t’aime, qu’on se le tienne pour dit, il y aura toujours je t’aime".

Sophia poursuit le beau chemin d’écriture d’Éléonore de Duve. C’est un livre audacieux, libre et luxuriant, qui nous fait toucher avec beaucoup de finesse et d’humanité ce qu’est la guerre, comment elle s’inscrit dans les corps et les cœurs. Un livre aussi sur la vie qui insiste, "qui sait où le passereau s’en va".

Éditions José Corti, 16 eurosbtn commande

un avenir radieuxL'avis de Maryse:

Les Trente Glorieuses : période faste et dite « de progrès » durant laquelle, selon Pierre Lemaître (né en 1951), a doucement mais sûrement germé notre infortune contemporaine… Dans ce tant attendu troisième volet des Années glorieuses, le lecteur poursuit les tribulations des membres de la famille Pelletier entre Paris et Prague, cette fois, en plein boom économique et au cœur de la tourmente de la Guerre froide.

Nous sommes en 1959. L’un des fils Pelletier, chef d’une chaîne de magasins implantée dans toute la France, est invité à se rendre à Prague pour une visite officielle censée sceller un pacte commercial entre l’Hexagone et la Tchécoslovaquie. Jean Pelletier ignore alors que c’est en réalité son frère François, journaliste de profession, qui va se retrouver pris au piège de cette capitale communiste infestée de délateurs et de miliciens tortionnaires. Cela tandis qu’à l’Ouest, en dépit de l’absence glaçante d’un des leurs, la jeune Colette, sa perfide mère Geneviève, ainsi que ses tantes Hélène et Nine composent tant bien que mal leurs parcours sinueux, dans ces temps de croissance prometteurs d’un avenir radieux pour tous, mais où les inégalités embrasent bel et bien chacune des strates de la société.

À travers le dernier pan de sa saga historique et familiale, aux teintes de roman d’aventure et d’espionnage, Pierre Lemaître renoue formidablement avec la tradition des feuilletonnistes du XIXe siècle. Et c’est bien là son projet romanesque : concevoir de la littérature populaire de belle facture, dans laquelle chaque lecteur se verra d’emblée emporté. De fait, les caractères des personnages sont hauts en couleurs, les rebondissements de l’intrigue multiples et, comme de coutume chez l’écrivain, le ton narratif savoureusement relevé.

Voilà une fresque de 585 pages (seulement…) à dévorer goulument !

Calmann Levy, 23,90 euros.