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C’est l’hiver. Dans la campagne normande pailletée de givre, le temps semble suspendu. Regardez: les rosiers portent encore des fleurs, et là perce le rouge d’une framboise. Écoutez: de la salle des fêtes monte la musique de l’harmonie municipale. Respirez: il y a de la magie tout autour, un enchantement, une grâce. Tout cela, c’est L’Oreille absolue, le délicieux nouveau roman d’Agnès Desarthe.
Dans les livres d’Agnès Desarthe, la musique est toujours là. Musique d’une langue souple et déliée, musique des motifs qui insistent d’un livre à l’autre en subtiles variations, musique des rythmes et des constructions romanesques harmonieuses, ou musique qui, comme dans L’éternel fiancé, donne sens aux vies des personnages.
Avec L’oreille absolue, Agnès Desarthe nous entraine dans un roman qui n’est que musique. Elle compose une polyphonie de voix et de destins, tisse des solos et des duos, brasse la vie avec ses chagrins et ses joies, nous entraîne dans un enchainement de reprises, de refrains, de variations. Le livre naît de son propre plaisir de musicienne: comme ses personnages, Agnès Desarthe joue dans l’orchestre de son village. Et ce qu’elle nous raconte dans ce livre bref, mais dont les échos demeurent longtemps après la lecture, c’est l’effervescence d’une petite communauté qui se rassemble un vendredi soir pour le concert de Noël.
Le temps de quelques heures, chacun met son quotidien entre parenthèses et se laisse habiter par une aventure collective: jouer ou écouter, ensemble, la musique. Quand la musique parle, on oublie humiliations et angoisses, grisaille et regrets. On a tous les âges, on se déploie dans le temps et l’espace, on appartient à plus grand que soi.
L’oreille absolue raconte cet élan de grâce avec la finesse, l’empathie et l’espièglerie qu’Agnès Desarthe distille dans chacun de ses livres. On se sent bien dans ce livre généreux, et l’on se rappelle que le mot harmonie, quand il n’évoque pas la musique, désigne la paix et l’équilibre.
Au cœur profond du Périgord Noir, non loin de la pittoresque ville de Sarlat-la-Canéda, s’étend la Vallée de la Vézère, un territoire abritant l’un des plus importants ensembles d’art pariétal préhistorique d’Europe. Sur une cinquantaine de kilomètres, plus de vingt-cinq grottes ornées, jadis habitées ou fréquentées par des artistes de la Préhistoire, sont les témoignages fascinants d’un passé artistique vieux de plus de 15 millénaires.
Le roman de Renaud de Chaumaray retient le lecteur au creux de ces cavités gravées dans les profondeurs du passé, rappelant ainsi à ses personnages – et à ceux qui s’immergent dans leur histoire – que face à la rivière du temps, leur vie n’est qu’un instant fugace.
Clémence et son fils Tom trouvent refuge dans une bicoque isolée nichée dans la roche, loin des violences de l’homme qu’ils fuient. Non loin de là, Fabien, employé à Lascaux IV et spéléologue amateur, se prend à rêver : et s’il venait de découvrir une grotte ornée de peintures préhistoriques ? Accompagné de sa fille, dont il cherche la reconnaissance, il se lance dans l’exploration d’une cavité inconnue. Dans le village voisin, Guilhèm, jeune paysan enraciné dans cette terre, croise le regard de Marion, une vacancière au charme envoûtant. Troublé, il choisit de lui révéler peu à peu les secrets de sa vallée.
Trois récits qui s’entremêlent finement et dessinent, page après page, une fresque dont le rendu final est pour le moins inattendu. Renaud de Chaumaray, en véritable outsider de cette rentrée, excelle dans l’art du roman. En un seul texte, il parvient habilement à conjuguer un regard social et une finesse psychologique, il provoque un suspense de thriller et déclenche un souffle d’aventure, il interroge l’érosion du temps et célèbre une nature luxuriante.
Quitter la vallée est un roman haletant qui exerce sur le lecteur un magnétisme constant – à l’instar des représentations polychromées des parois rocheuses de Lascaux – et on rechigne à le lâcher, jusqu’à sa dernière ligne !
Gallimard, 20 euros.
Disponible en format numérique ici.
C'est un livre escarpé, comme écrit sur la crête.
C'est un livre-chemin, balisé de départs, toujours en mouvement.
C'est un livre que l'on pense intranquille et qui nous mène pourtant, sur les traces de son personnage principal, "en haute tranquillité".
Avec Haute-Folie, Antoine Wauters poursuit son exploration vive et sensible des paysages, ceux que l'on traverse et ceux que l'on porte en soi. "Trouver un lieu habitable", en soi et à l'extérieur de soi, pourrait être le fil reliant ce nouveau livre à Mahmoud ou La montée des eaux et au Plus court chemin, même si cette Haute-Folie ouvre des voies nouvelles dans l'œuvre si dense et cohérente d'Antoine Wauters.
Haute-Folie, c'est le lieu où tout s'origine. Une ferme, quelques arpents de terre "entre le val et le replat vert". On pourrait trouver là un ancrage, mais la Haute-Folie est vouée à la dévastation: le livre s'ouvre sur l'incendie qui balaie la ferme et porte en lui les germes de malheurs plus grands encore.
La nuit-même de l'incendie, un enfant est né. Il s'appelle Josef et grandit à l'ombre de cette catastrophe. Alors que ses parents adoptifs, parce qu'ils veulent le protéger, parce qu'ils manquent de mots, jettent un voile de silence sur les drames de sa petite enfance, ceux-ci hantent Josef. Rien, ni sa prédisposition pour la joie, ni l'amour qu'il reçoit, ne le met à l'abri des fantômes du passé: "ils rôdent, parlant à travers nous, riant, rêvant nos rêves".
Le roman suit au plus près la trajectoire de Josef tout au long d'une vie qui cherche la sagesse au cœur de la folie, traverse périls collectifs (la guerre et ses démons) et tourments intimes, croise l'amour et la beauté. Cerné par les tragédies, Josef s'efforce de "laisser au désespoir le moins de prise possible". Il trouve dans le regard des enfants, dans la marche, dans la lecture, des alliés pour soutenir son parcours. Et puis il y a les carnets où il note, écrit, dessine, donne forme à ses pensées, dialogue avec ses morts. Ses carnets sont son "pays de papier", les rares objets dont ils ne se défait pas alors que toute sa vie tend vers l'ascèse et le dépouillement. Ils seront aussi, après la mort de Josef, le moyen de rompre le cercle des malédictions en permettant à ceux qui viennent après lui de se réapproprier une histoire pour la rejouer autrement.
La mémoire et la parole empêchées finiront ainsi par trouver leur chemin vers la lumière et le roman, ouvert dans les flammes, se referme dans une forme d'apaisement. "Le passé est une chose longue et lente à guérir. On le croit derrière nous alors qu'il est devant, qu'il nous mène et nous guide. C'est un cercle. Une boucle".
Porté par la langue incandescente d'Antoine Wauters, Haute-Folie est un livre précieux, une lumière vacillante mais obstinée pour explorer dans ses recoins les plus secrets notre métier d'homme.