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de notre monde emporte astolfiL'avis d'Anouk:

"Une immense tristesse s'abattit sur lui des semaines durant. De celles qui fermentent parfois dans le cœur des hommes, et emplissent les bouches d'amertume".

La Machine, c'est le chantier naval. Pour en être, les hommes de La Seyne-sur-Mer sont prêts à tout donner: leur jeunesse, leur énergie, jusqu'à leur nom. En échange la Machine apporte la fierté d'écrire une histoire glorieuse, et ce sentiment d'appartenir à la grande fraternité du monde ouvrier. Lorsqu'il entre au chantier en 1972, Narval a vingt ans à peine. Il met les pas dans ceux de son père et se trouve une seconde famille. L'avenir semble radieux. On a du mal à croire que dix ans plus tard le glas aura sonné: ce sera l'heure des fusions, de la désindustrialisation, de la fermeture inéluctable.

C'est cette histoire-là, poignante, que raconte avec pudeur Christian Astolfi. Les espoirs et les renoncements, la lutte et l'écoeurement, la solidarité qui se défait quand on prend conscience d'avoir donné le meilleur sans rien gagner en retour. Et puis il y a pire encore, plus insidieux que les plans de restructuration, plus injuste que le saccage de l'identité ouvrière: il y a la loterie de l'amiante. Poison invisible que les hommes ont manipulé des années durant, l'amiante s'insinue dans les corps et tue un camarade, puis un autre, et un autre encore. Le mal ronge même ceux qui semblent épargnés: l'épée de Damoclès qu'il fait peser sur eux détruit les vies, et la culpabilité de voir mourir les proches est insoutenable.

À travers les destins de Narval et de ses frères d'usine, De notre monde emporté dessine une fresque sociale et politique de grande ampleur. C'est le roman d'un monde englouti, d'une génération sacrifiée en silence, de la dissolution des élans collectifs dans l'individualisme. Christian Astolfi pour autant n'idéalise pas l'usine, sa violence, ses aliénations. En contrepoint du monde si viril du chantier naval, il tisse de très beaux portraits féminins qui apportent la clairvoyance et la lucidité qui font défaut aux hommes. De notre monde emporté trouve le ton juste pour réinventer, au XXIe siècle, la littérature ouvrière.

Le Bruit du Monde, 19 €btn commande

DIsponible en format numérique ici

Grand Monde Lemaître CalmannL'avis de Maryse:

Le Grand Monde de Pierre Lemaitre, l’écrivain lauréat du Goncourt 2013 avec le tout bon Au revoir là-haut, inaugure de manière palpitante une nouvelle trilogie se déroulant à l’époque des Trente Glorieuses.

1948 à Beyrouth. La famille Pelletier, on ne peut plus française et implantée au Liban, jouit d’une excellente situation grâce au succès commercial international de la fabrique de savons créée par M. Pelletier père, Louis de son prénom, et son épouse Angèle, dans l’Entre-Deux-Guerres. Beyrouth, Saïgon, Paris : leurs quatre enfants, aux tempéraments fort disparates, empruntent des chemins variés, que le lecteur suivra de manière insatiable jusqu’à la dernière page du roman.

Avec cette saga familiale aux allures de roman-feuilleton d’excellente facture, Pierre Lemaitre reste fidèle à ce qu’on aime vraiment chez lui ! Par le biais de la destinée de ses personnages et grâce à un extraordinaire sens du réel, il compose avec brio le portrait vivant d’une époque : celle des lendemains rudes de la Deuxième Guerre dans un Paris marqué par les restrictions et les révoltes ouvrières ; celle de l’Indochine française, en proie à une domination coloniale des plus obscènes, au juteux capitalisme de guerre, à une corruption d’état plutôt visqueuse, et à l’enlisement dans une lutte indomptable et cruelle contre le Viet Minh.

L’écriture de Pierre Lemaitre est déliée, le style indirect libre employé donne littéralement corps aux personnages, l’intrigue est rythmée voire rocambolesque, la lecture est vivante. Et, comme toujours chez Lemaitre, un angle de vue engagé, acéré et non sans humour vient subtilement relever la recette gagnante !

Calmann-Lévy, 22,90 eurosbtn commande

monument national deckL'avis d'Anouk:

Ne cherchez plus:  le roman le plus drôle et le plus retors de ce début d’année est signé Julia Deck. Son Monument national, comédie sociale menée à vive allure, est un régal d’ironie, de subversion et de malice.  

Serge Langlois est un sacré monument national. Gloire un peu passée du cinéma français, il tient de Belmondo et de Depardieu avec une touche de Johnny Hallyday ; il n’y a guère qu’Alain Delon pour lui faire de l’ombre ("un rival et un frère depuis plus de quarante ans"). L’âge venu, à peu près rangé de ses addictions, Serge Langlois coule des jours paisibles dans son château aux portes de Paris, entouré de sa troisième épouse, d’une armada de domestiques et de sa collection d’ancêtres automobiles. Ancienne miss Côte d’Azur, Ambre Langlois règne sur l’intendance du château et met sa vie en scène sur instagram et dans la presse people. Les deux enfants adoptés par le couple, Orlando et Joséphine (qui est aussi la virevoltante narratrice du roman) grandissent en observant ce drôle de petit monde.

Sous le décor glamour de la vie des Langlois, tout est faux, aussi toc que le décor Louis XVI dans lequel ils évoluent. Changements d’identité, mensonges et doubles vies: chacun ici a des choses à cacher, et l’on va de fausses pistes en chausse-trapes – Julia Deck excelle depuis Viviane Elisabeth Fauville à construire des intrigues à tiroirs et à se jouer avec brio de ses lecteurs. Aussi, quand des vents contraires se mettent à souffler sur ce monde d’apparences très trompeuses, ledit monument national s’effondrera tel un château de cartes.

Avant cela, on aura croisé dans les coquets salons des Langlois une caissière en cavale, un coach sportif au passé louche, le couple Macron soucieux de "faire populaire" et quelques inquiétantes pattes de lapins. C’est dire si l’intrigue est ébouriffante et inclassable, si elle attrape notre époque et ses faux-semblants dans des filets bien serrés.

Monument national est une joyeuse mécanique romanesque. En détournant les codes du vaudeville, du roman social et du huis-clos, Julia Deck signe un livre singulier, irrésistible et implacable. Du grand art!

 

Éditions de Minuit, 17 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici