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mon mari maud venturaL'avis d'Adrien :

D’une plume simple et un tant soit peu désuète qui sied à merveille à la desperate housewive que nous suivons, la primo romancière Maud Ventura contrebalance une comédie façon famille formidable en thriller dans la bourgeoisie pavillonnaire.

Une épouse dévouée et amoureuse nous parle de son mari, idéal il va sans dire, et de la vie parfaite qu’elle construit chaque instant, millimètre par millimètre, pour sa famille. Elle pense à tout, beaucoup, passionément, à la folie. La position du vase sur le meuble du hall d’entrée, le croisement de ses jambes, le tombé du col de sa chemise, rien n'est laissé au hasard, pour accueillir au mieux son mari à son retour de boulot le soir dans le foyer familial.


C’est un peu  énervant de fausse perfection. Mais rapidement, la coupe est pleine et cela en devient drôle, hilarant même. Les rires se transforment ensuite en gloussements incontrôlables puis en effarements subjugués  et enfin en flip total.

La simplicité ne cache plus la complexité d’une narratrice control freak à souhait. Les stratégies qu’elle s’est mises en tête pour rester folle de son mari après quinze ans de vie commune dépassent l’entendement et la férocité déployée est donc, n’ayons pas peur des mots, folle.

L’autrice se joue de son lectorat avec intelligence et malice et le balade dans les circonvolutions d’une narratrice inoubliable que l’on voudrait pourtant ne jamais croiser ! Une farce grinçante et, oxymore, d’une justesse délirante sur l’amour où les curseurs des tourments et de la névrose sont poussés à fond.

L'Iconoclaste, 19 €.btn commande

Existe aussi en format numérique.

elise sur les chemins cournutL'avis d'Anouk:

Livre après livre, Bérengère Cournut ouvre des chemins de liberté. Elle prend plaisir à s’y jouer des genres et mêle sciences et poésie, conte et réalité, intelligence et sensations. Ses livres invitent à aller à la rencontre du monde avec un regard alternatif, généreux, résolument féminin. Ils nous entament et nous engagent.

 

"Élise sur les chemins" est un roman-poème qui se met dans les pas d’une famille peu banale, cette fratrie Reclus (quatorze enfants tout de même!) dont on n’a pas fini de s’ébahir. Parmi eux il y a Élisée, bien sûr, voyageur infatigable, géographe, pionnier de l’écologie et de l’anthropologie, communard et anarchiste. Il y a Élie aussi, journaliste, écrivain, militant anarchiste. Et entre ces deux illustres frères, il y a Élise :

Je suis une fille, je m’appelle Elise

Je suis née il y a onze ans

Au flanc d’une colline boisée

Les pieds dans un ruisseau

La tête dans les bouleaux

Enfant des arbres, fille de l’eau.

 

S’inspirant des idéaux de la famille Reclus, de ses luttes pour la justice sociale à son attention aux peuples premiers et au monde vivant, Bérengère Cournut joue néanmoins, comme dans ses précédents livres, de la perte de repères. Les temps se mêlent, une femme-serpent fait battre les cœurs et, comme sur les cartes géographiques que dessine Élisée, il y a des zones blanches: "c’est là que souvent l’orage gronde" et que s’emballe l’imagination.

 

Pétillante, curieuse, sauvage, la jeune Élise délaisse le foyer et l’école pourtant joyeusement buissonnière de sa mère pour se mettre en chemin et retrouver ses frères partis étudier au loin. Au cœur d’une nature qui bruisse de mille vies, elle n’a pas froid aux yeux et poursuit sa quête. Les rencontres faites en chemin, les rêves qui la guident ("Je le sais maintenant:/ pour s’orienter, les rêves sont grands"), tout élargit son expérience du monde et des hommes. Élise a l’obstination des cœurs doux. Sa fougue et sa détermination ouvrent la voie à ses sœurs plus sages – sœurs de sang ou sœurs par-delà le livre.

 

Et puis un mot encore: on ne peut évoquer "Élise sur les chemins" sans parler de l’objet-livre enserré dans un tableau de Corinne Pauvert – une  merveille de poésie lui aussi. Comme elles savent si bien le faire, les éditions du Tripode offrent un somptueux écrin aux mots de Bérengère Cournut, cette haie champêtre et indocile à l’abri de laquelle lire, aimer, rêver.

 

Goûtez à la magie d'"Élise sur les chemins"!

 

Le Tripode, 15 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

 

deux haies corinne pauvert

enfant de salaud coverL'avis de Maryse:

« C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! »

1962. Chalandon a 10 ans lorsque son grand-père paternel, s’adressant à sa compagne, le percute de ces mots implacables.

Des décennies plus tard, Sorj Chalandon met la main sur l’épais et complexe dossier judiciaire de son père qui comparut devant une cour martiale d’Épuration. Éminente source de surprises, ces documents officiels cadenassés jusqu’alors ont enfin permis au journaliste de retracer « la guerre de son père », un personnage composite s’il en est – nous le savions déjà. Tantôt du côté de l’ennemi comme SS de pacotille, tantôt résistant malgré lui, au gré du vent patriote d’occasion, déserteur à répétition, vaguement espion qui, telle une anguille, parvint à se faufiler entre les mailles des différents filets. Un homme égocentrique convaincu de sa supériorité et qui, à chaque instant et jusqu’à la fin, mit sa vie en scène, revendiqua fermement la gloire et tira à lui une couverture de toute pièce tissée avec d’obscurs mensonges.

L’histoire de ce père narcissique, Chalandon la retrace – et c’est ça qui, selon moi, est vraiment astucieux – en parallèle de celle du procès ultramédiatisé de Klaus Barbie. Ce dernier fut, s’il faut le rappeler, chef de la police nazie de Lyon durant l’Occupation, et jugé devant la cour d’assises du Rhône pour crime contre l’humanité de mai à juillet 1987 face à un public échaudé et un parterre de journalistes dont Chalandon lui-même, détaché à Lyon pour l’occasion par Libération où il a officié durant trente-quatre ans. Le roman – car ce texte, indéniablement autofictif, reste un roman à la charpente narrative solide et au suspense prenant –, outre le fait de mettre en exergue, en l’interrogeant, le jugement singulier d’un bourreau infame, joue du miroir et réussit à imposer toute la distance nécessaire à la compréhension des faits. La « petite histoire » met en lumière la « grande », ou bien est-ce l’inverse ? L’écriture est aussi douloureuse qu’admirable.

L’écrivain-journaliste Sorj Chalandon, que, du reste, je trouve toujours très bon, grimpe ici encore un échelon dans la maîtrise littéraire avec un roman dont le lecteur ressort véritablement ébranlé.

Grasset, 20.90 €

Disponible en format numérique icibtn commande