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Parcourant les frontières entre Orient/Occident, femme/homme, jour/nuit, blanc/noir, cultures arabe/chrétienne, Cécile Ladjali met en scène le dualisme qu'inspirent les contraires. Professant la littérature comparée à l’Université de Lausanne et de Téhéran, Bénédict(e) est une figure singulière qui incarne pourtant l’universalité. Androgyne et persuadé que les frontières en tous genres ne devraient pas exister, ce personnage rappelle la condition première de l’homme: il appartient à un tout. Composé de chair et de sang, doté d’une capacité réflexive sur la vie, chaque individu se ressemble éminemment. Et pourtant, il s’est contraint à séparer les éléments, les races, les territoires, les sexes, cantonné à une vision manichéenne. Bénédict(e) revendique que l’humanité est une union de ces différences, qu'en chacun converge le masculin et le féminin, des racines diverses, des couleurs qui se confondent et des opinions influencées par les autres. Il/elle s'oppose à l'étiquetage compulsif et démontre qu’un point central au sein de l'Art existe car il réunifie et sublime tout ceci, miroir reflétant la diversité du monde.
En définissant des cases pour tout, l'homme a perdu l’essentiel qu'est l’immense beauté du métissage. Dans un climat d’immigration et de rejet de l’autre, de féminisme montant pour reconnaître l’égalité des sexes (jusqu'à leur unification), Ladjali appelle à retourner à la source qu'est cette universalité première, que seul l’Art peut encore atteindre, et dont Bénédict(e) serait l'incarnation. En effet, dans la dernière partie, l'auteure réalise une magnifique synthèse qui montre que la perfection, la beauté et la paix sont atteignables à travers les mots et la poésie de la littérature à condition d’abattre les frontières édifiées arbitrairement. Bénédict(e) est donc un héros car il/elle dénonce la dégradation de l’homme dans une ère où la plupart des individus ne sont pas encore prêts à l’entendre ni à l’accepter.
Roman poétique, engagé et remettant en cause les fondements de nos sociétés et de notre rapport à l’autre, Bénédict(e) inspire un souffle de changement que seule l’édification par l’Art permettra d’imposer.
«On devait partir à deux, mais il ne restait qu'une place sur le bateau. Alors on a tiré au sort et c'est tombé sur moi». C'est le hasard qui fait débarquer Ida sur l'île de Tristan, un bout de terre accroché à son volcan quelque part entre l'Afrique et le Brésil. La traversée depuis Le Cap a duré sept jours, et le prochain bateau ne sera pas là savant plusieurs semaines. C'est dire si le séjour à Tristan est une expérience qui engage, non un simple voyage que l'on fait pour assouvir sa soif d'exotisme.
Ida partage au fil des jours la vie d'une communauté soudée par le travail, l'entraide et l'esprit de famille – on est tous un peu parents à Tristan, «l'île des sept familles». Ida apprend à se rendre utile et consacre ses moments libres au dessin. «La page est blanche. Tout est possible. Non. Tout semble possible. Mais, ça, je ne l'ai su qu'après».
L'isolement de Tristan fait de la vie sur l'île la quintessence de l'expérience insulaire. Ida perd peu à peu ses repères. Ses certitudes s'embrument. Le temps, l'espace, l'identité : les amarres se détachent les unes après les autres. «L'attente. Encore elle, celle qui nous oblige à confondre l'instant avec la durée et la durée avec l'éternité». Et c'est dans cette dépossession que va surgir la passion. Fulgurante, absolue, sublime : forcément extrême.
Clarence Boulay signe avec «Tristan» un premier roman tendu et puissant. Elle a elle-même passé plusieurs mois sur cette île du bout du monde, une expérience qu'elle a racontée dans un bel article paru dans la revue XXI. Le détour par le roman donne une autre dimension au vécu, déplie ce qui ne serait qu'énuméré dans un carnet de voyage ou un journal de bord. La fiction vient semer le trouble et nimber les faits d'une lumière vacillante. Elle donne à ce livre une profondeur et un vertige que le lecteur, c'est certain, n'oubliera pas.
Myriam Leroy embarque sans ambages son passager, ne lui laissant la peine d’attacher sa ceinture, le faisant rentrer de plein fouet dans l’adolescence de la narratrice. Après l’exposé cinglant fait sur sa famille, son milieu « un gros bourg moche, d’une laideur tout à fait anti-cinématographique », on découvre comment elle a été aimantée par Ariane, une beauté indienne adoptée par une famille bourgeoise du Brabant wallon et « lévitant plusieurs kilomètres au-dessus [des] contours informes » des autres adolescents de ce « collège chic (…) une école de blonds ». Et de suivre la trajectoire de cette amitié dont la toxicité ne fait que s’accroître ; on est cruel quand on a dix-sept ans.
L’écriture est fluide, sans fioritures, on s’y abreuve d’une traite. Au mitan de l’histoire est d’ailleurs posée la question de l’écriture d’un tel récit : « Thérapie classique par l’écriture. On est loin de la littérature ». Quatre pages de méta roman qui autant qu’éclaircir le débat, l’embrouillent largement, et nous introduisent dans un labyrinthe où nos repères fondent comme neige au soleil, le fil d’Ariane ne faisant que nous perdre plus. Ce passage est puissant, car autant nous goûtions déjà la pertinence et la justesse du propos, que ce soit sur les classes sociales, l’adolescence, la famille, l’amitié, sur cette période de la fin des années 1990, autant après, nous plongeons corps et âme dans une histoire dont on ne sait si elle a existé ou non et nous laisse interdit.
Comme il y a des teenage movie, voici un teenage book, et celui-ci se passe à Nivelles, en Belgique, il est glauque, sa vérité y est glaçante, on le lit avec avidité et beaucoup d’effroi.
Amitié adolescente, roman générationnel, cartographie de la classe moyenne qui bande mou, tout ça peut sembler rebattu, mais il y a ce style qui lui est propre, très efficace, concis, cette justesse, ce sens de la formule et de l’observation qui annoncent qu'une écrivaine est née. Bravo Myriam Leroy !