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Coeur blanc PoulainL'avis de Delphine

Dans son premier roman, " Le Grand Marin " (2016, L’Olivier ; sorti en poche chez Points/Seuil), Catherine Poulain nous faisait embarquer à bord du Rebel, un bateau de pêche naviguant en Alaska. Surnommée « Moineau » par l’équipage, des hommes rudes et taiseux, Lili, la narratrice, avait fui le confort d’une vie douillette pour prendre la route – comme on prend le maquis. Frêle mais forte, armée jusqu’aux dents d’une détermination farouche, la jeune femme ne ménageait pas sa peine et gagnait le respect de ses compagnons – dont l’un d’eux, un jour, devenait plus qu’un camarade et menaçait de la faire dévier de son cap sauvage et solitaire.


Cette fois, c’est dans la vie des saisonniers, ces « abricots du rebut », que nous sommes plongés, aux côtés de Rosalinde et de Mounia. La première est férocement éprise de sa liberté – comme Lili – ; la seconde est dévorée par une faim insatiable – « désir insupportable de plus grande brûlure ». Animées d’une âpre volonté et d’une énergie qui sourd du fond des tripes, elles souquent dur et boivent sec. Elles semblent irréductibles – mais sont tendues à craquer.


Inspiré lui aussi par les pérégrinations de l’auteure – qui a connu la vie des saisonniers et celle des pêcheurs –, "Le Cœur blanc" est, comme elle le précise, une fresque : celle d’un monde que nous ne connaissons guère, voire pas du tout, et qu’elle dépeint sans fard ni complaisance, avec une justesse crue et une tendresse pleine d’empathie. Elle raconte la sélection, à l’aube, de ceux qui pourront travailler ; la besogne lourde et ingrate, les insultes et le mépris de certains patrons ; la misère et la crasse où croupissent les chemineaux – qui dans une grange, qui dans un cabanon qu’on lui prête le temps de la récolte, qui dans un vieux combi, … – ; les soirées et les nuits où ils s’abrutissent d’alcool pour oublier leur épuisement et tenter, vainement, de combler le vide ; la déchéance sordide où certains tombent.

Au cœur de cette histoire, le corps. Le corps suant et peinant, éreinté et abîmé par le travail, la boisson ou la drogue ; le corps souffrant ou exultant sous les coups ou les caresses d’une nature tantôt âpre et hostile, tantôt douce et généreuse ; le corps ardent, aussi – surtout –, désiré et désirant, dont l’auteure, dans une langue vive, emportée et irradiée, chante la beauté et la force, les appétits et les joies. Le corps fauve et brutal, enfin, quand le désir devient machine infernale et sombre dans la violence.

Roman puissant, incandescent et charnel, "Le Cœur blanc" pose aussi la question du sens à donner à sa vie – où et comment le trouver, dans le ressac sans trêve du désespoir qui terrasse et de la fièvre qui exalte ? –, de l’identité et des racines, et de la liberté : est-on libre quand on appartient à la race des trimardeurs, des sans-terres et sans-attaches ? Quand on est dévoré par une faim furieuse d’on ne sait trop quoi, toujours sur le point de crever d’inanition, qu’on boit à tomber pour rester debout – et qu’on sait « qu’on traîne ça comme un boulet » ?

L'Olivier, 18,5 eurosbtn commande