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sainte famille - seyvosL'avis d'Anouk:

Combien ça pèse, une enfance? Combien de grâce et combien d'effroi? Combien de jeux, combien d'ennui, combien de douceur et combien de secrets?

Rares sont les enfants devenus grands qui savent parler avec subtilité du poids de ces années-là. Florence Seyvos y réussit à merveille, qu'elle écrive pour les plus jeunes ("Pochée", "La tempête", "Nanouk et moi" et bien des livres formidables, tous publiés par l'École des Loisirs) ou pour les autres: rappelez-vous son précédent roman, l'époustouflant "Garçon incassable", ou les films qu'elle signe avec Noémie Lvovsky.

"La sainte famille" qui sort aujourd'hui est un conte noir et troublant. Un frère et une soeur y découvrent le monde à travers les miroirs que tendent des adultes pas toujours bienveillants. Chez Florence Seyvos, l'écriture est retenue, mais le souffle puissant: voyez ces personnages à l'inquiétante étrangeté, ces maisons tourmentées, ces scènes de vie croquées avec une telle force émotionnelle que vous ne les oublierez pas.

Depuis "Les apparitions", Prix Goncourt du premier roman en 1995, Florence Seyvos suit un chemin singulier et beau. "La sainte famille" en est l'un des plus brillants jalons.

L'Olivier, 17.50 €; Points, 6.50 €

 

 

 

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chemin du diable - ohlL'avis d'Anouk:

Entrer dans un roman de Jean-Pierre Ohl, c'est comme ouvrir une boîte de chocolats. On a beau s'armer de volonté, il est difficile de résister: allez, encore un chapitre! On retrouve avec délectation dans Le chemin du diable ce qui faisait le charme des Maîtres de Glenmarkie: un joyeux mélange de suspense, d'érudition et de loufoquerie orchestré par des personnages romanesques à souhait dans un décor so british. À ces ingrédients, Le chemin du diable ajoute une touche de gothique, un zeste de philosophie politique et le souffle épique du roman historique. C'est beaucoup pour un seul livre? Mais non: la plume allègre de Jean-Pierre Ohl, son ironie, son élégance, donnent à l'ensemble une incroyable fluidité, et l'on circule avec délice dans les méandres de son imagination débridée.

Nous sommes en 1824. Dans le Nord de l'Angleterre, la misère est une compagne quotidienne. Et ce n'est pas l'arrivée du chemin de fer sur ces terres ingrates qui rassure les habitants: n'est-ce pas là une invention du diable? L'ingénieur George Stephenson, inventeur visionnaire et idéaliste, est convaincu du contraire. À ses yeux, le train permettra de mieux partager les idées et les richesses. Mais voici que lors de travaux de drainage ses ouvriers déterrent un cadavre de femme. Les rumeurs et les spéculations affolent la petite ville de Darlington: ne s'agit-il pas de Lady Beresford, l'épouse française du châtelain local, dont la disparition vingt ans auparavant n'a jamais été résolue?

La recherche de la vérité va mettre en mouvement bien des intérêts contradictoires: sectes millénaristes, garants de l'ancien monde, financiers avides vont rivaliser d'inventivité perverse pour brouiller les pistes. Mais il y a aussi l'attachant Edward Bailey, devenu bien malgré lui notable de l'étriquée Darlington; il y a son comparse, l'énigmatique Seamus Snegg, et cette jolie Mrs Preston, qui vit par procuration dans les romans de Jane Austen, et Kirstie, et Leonard Vholes, et tous ces personnages débordants de vie et d'énergie, tous ces héros de papier auxquels Jean-Pierre Ohl donne tant de chair que l'on croirait les avoir près de soi. Tous cheminent vers une vérité qui sera bien loin de ce que les apparences laissaient entendre.

"Le chemin du diable" aurait pu être écrit par Wilkie Collins, tant le suspense tient en haleine. Il pourrait tout aussi bien s'agit d'un roman de Charles Dickens, pour la description habitée de l'accablante misère qui va de pair avec le triomphe de la révolution industrielle. Dickens est d'ailleurs le maître à penser et à écrire de Jean-Perre Ohl, qui lui a consacré une biographie et un précédent roman. Les clins d'oeil à son œuvre sont nombreux tout au long du livre, et l'auteur de David Copperfield fait même une jubilatoire apparition. Lord Byron n'est jamais loin non plus, et les ombres de Rousseau, de Danton et de bien d'autres éclairent les destinées des personnages.

Et alors, pourrait-on dire? À quoi bon, au XXIe siècle, écrire un roman à la manière des Anglais d'autrefois? À quoi bon ce facétieux kaléidoscope d'histoires du passé? N'est-ce là qu'un brillant divertissement? Non, bien sûr. On ne manquera pas de trouver, sous le décor historique, un miroir tendu à notre monde. La fascination pour la technique, la certitude que la "modernité" vaut tous les sacrifices humains, la course au profit outrancier: n'est-ce pas un constat toujours aussi parlant en 2017 qu'en 1824? L'allégresse, chez Jean-Pierre Ohl, ne va pas sans la mélancolie, et la conscience aigüe de la fragilité de nos destinées. Et cela donne à son Chemin du diable une dimension profondément émouvante.

Assurément une jolie réussite.

Gallimard, 21 €

Disponible en format numériquebtn commande

desorientale - djavadiL'avis d'Anouk:

Il est rare de lire un premier roman d'une telle intensité. Avec "Désorientale", Négar Djavadi réussit son entrée dans le monde de la littérature de façon vraiment époustouflante.

Son héroïne Kimiâ Sadr, fille d'une famille iranienne francophile et communiste, nous embarque dans un monologue qui revisite rien moins que l'histoire de l'Iran et celle de sa famille. Kimiâ hérite de sa grand-mère, née au début du 20e siècle dans un harem et morte le matin de sa propre naissance, outre une troublante ressemblance physique qui laisse sans voix les innombrables frères et soeurs de la défunte, un courage, une ténacité, une liberté inentamables. Curieuse et chahuteuse, elle tisse sous nos yeux la mémoire familiale, ses heures de gloire et ses tragédies, ses approximations, ses fabulations, ses béances. La puissance de narration de cette Shéhérazade rock laisse pantois, et l'on ne peut qu'être ébloui par son sens de la digression, du détail piquant, des accélérations vertigineuses et des moments suspendus.

Puis vient la Face B, aussi sensible et intime que la Face A était épique et tragique. À la geste des Sadr suit le portrait subtil de Kimiâ, déchirée par l'exil et l'errance qu'il impose entre deux pays, deux langues, deux cultures. Kimiâ forte et si fragile, intelligente et rebelle, Kimiâ sans boussole, sauvée par la musique, sa vraie patrie, et par l'amour bien sûr qu'elle trouve dans les bras d'une bassiste flamande. Si la Face A de "Désorientale" transporte, sa Face B étreint avec autant de puissance. Presque mère après le laborieux parcours des PMA, Kimiâ arrive à l'heure où il faut faire la paix avec soi-même et le passé.

On croise dans ce livre épatant quelques personnages dont il est certain qu'on ne les oubliera jamais, tel cet Oncle Numéro 2, sa machine à coudre et ses secrets soigneusement gardés. Et puis Sara et Darius, parents de Kimiâ, éperdus d'amour et de liberté, fin lettrés, opposants vigoureux à tous les régimes qui se succèdent. Pour eux engagement politique et littérature sont une seule et même porte vers la vie libre et debout. Leur fille ne déméritera pas.

Flamboyante et ambitieuse, Négar Djavadi tient toutes les promesses que l'on sent en germe dès les premières pages de "Désorientale". Et tout cela avec un humour, une tendresse, une générosité qui font de la lecture de son roman une bulle de bonheur parfait.

btn commandeLiana Levi, 22 €

 

 


>>> Rendez-vous le 21 mars à 19 heures à la librairie pour un atelier de lecture autour de "Désorientale", organisé dans le cadre du Festival Passa Porta.

>>> Meilleur premier roman de 2016 selon le Magazine Lire, Prix du Style 2016, Prix des librairies Folie d'encre et L'Autre Monde, Prix Première des auditeurs de la RTBF