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"On meurt, c'est tout, et on agrandit l'âme de ceux qui nous aiment. On la dilate. La mienne va bientôt exploser".
Ses parents lui avaient donné un prénom promettant le bonheur.
Félix de Récondo pourtant a tôt appris que la vie ne va pas sans tragédie. Grandi dans une famille basque espagnole, il connaît dès l'enfance la guerre civile et les routes de l'exil. Esprit libre et âme d'artiste, Félix trace un chemin bien à lui, ouvert à l'émerveillement et à la beauté du monde. Mais la mort guette, jamais bien loin. Elle lui prendra l'un après l'autre trois de ses enfants.
La quatrième, Léonor, offre à ce père aimant et aimé un tombeau de mots — ce doux et vaillant Manifesto.
C'est un livre de deuil, assurément, mais tissé d'un appétit de vie peu commun. Un livre abrupt où alternent des chapitres très courts, comme une respiration hachée, et dans le même temps un livre qui élargit l'espace et le temps. Manifesto est bref comme le moment du dernier au revoir: une nuit de mars, Félix, hospitalisé pour une opération somme toute banale, va mourir de complications inattendues. Appelées à son chevet, sa compagne et sa fille assistent impuissantes à son agonie. Le temps est suspendu, calé sur le souffle toujours plus rare de Félix. Léonor de Recondo offre en contrepoint aux pages tendues qui racontent cette nuit des chapitres au ton bien différent. Depuis un monde qui n'est déjà plus tout à fait le nôtre, Félix converse avec un vieil ami, Ernesto (Ernest Hemingway, qui a séjourné dans sa famille à plusieurs reprises dans les années 1930). Les deux hommes échangent souvenirs et considérations sur la vie et sur l'art: un compagnonnage au goût de liberté et de vagabondages.
L'alternance de ces chapitres de nature si différente offre au livre une grâce infinie et ramène la mort au coeur de la vie. Léonor de Récondo touche juste, au plus près des émotions. Au plus près de cette complicité artistique qui l'unissait, elle la violoniste, à son père sculpteur — elle fait dire à Félix: "j'ai, alors, imaginé que j'étais moi-même musicien et qu'elle dessinait avec son archet, que ce qui nous intéressait l'un et l'autre, c'était d'entrer mains en avant dans cette masse et de laisser le souffle y trouver sa place, toute sa place".
"Manifesto" est un livre rare, subtilement tenu en équilibre entre la consolation et l'émerveillement. Un formidable hommage à la vie et à l'amour.
Écrire la mort. Et la naissance. Être au plus près, au plus juste. Erwan Desplanques publie en cette rentrée d'hiver un livre bouleversant. Le récit d'un homme qui perd son père et devient père à son tour. Le temps de la maladie et celui de la grossesse, emmêlés, imbriqués. Et puis le départ, l'arrivée, le chagrin, la joie, les regrets, les regards, le temps.
Tendu d'un bout à l'autre, si subtilement construit, ce livre écrit à la première personne n'est en rien un récit de vie ou un de ces témoignages larmoyants. Le texte de Desplanques nous prend par sa sobriété, son élégance, son humour aussi. Son écriture, fine et précise, tient l'émotion à distance, comme suspendue.
Et c'est peut-être là le réel enjeu de ce roman, dire au lecteur combien cette distance, cette hauteur, ce retrait permet de capter plus intensément le réel, d'en percer ses contradictions, de cerner sa complexité. Les courts chapitres disent tantôt le présent tantôt reviennent sur l'histoire familiale, des parents, des grands-parents. On y lit la passion inconditionnelle du père pour l'Amérique, ses rêves d'aviation, de grandeur, son goût des armes. Il y a aussi la guerre familiale incessante, les scènes de ménage, les tromperies, le divorce qui ne dure pas, les retrouvailles. C'est le temps de l'adolescence du narrateur, c'est la vie en province, les livres qui aident à tenir, le grand frère trop lointain.
Écrire aujourd'hui pour traquer la vérité de leurs vies à tous, pour tenter de sortir enfin du mensonge, devenu véritable marque de fabrique de la famille.
Les chapitres du temps présent explorent, eux, ces moments prévisibles qui ne permettent pourtant pas la moindre préparation: pas de répétition prévue, c'est la vie dans ce qu'elle a de plus nu et de plus violent! L'expérience la plus intime et la plus universelle de la mort et de la naissance. Erwan Desplanques dit magnifiquement la grande fragilité de ces instants-là.
Mais L'Amérique derrière moi porte aussi en lui, au creux de ses pages, une réflexion bien plus vaste sur la transmission d'une génération à l'autre et sur l'urgence qui est la nôtre, pour notre génération, de nous frayer un chemin, certes tortueux, mais libérateur.
"Parvenu à l'extrémité du Massachusetts, Thoreau avait écrit: Un homme doit s'asseoir ici et poser toute l'Amérique derrière lui. J'étais désormais cet homme, prêt à faire sécession (...)"
Ne passez pas à côté de ce livre précieux !
« Nous naissons, nous grandissons dans le bruissement des milliers de récits, de romans, de poèmes, qui nous ont précédés. Sans eux, sans leurs échos éveillés en nous, ne resterions-nous pas tels des enfants perdus dans les forêts obscures ? Donnant mots, visage à l’inconnu du monde, nous révélant à nous-mêmes, ils sont, si l’on y réfléchit, notre première, notre véritable demeure » : c’est ce que tout lecteur sait, et ce dont témoigne avec ferveur Michel Le Bris, dans son dernier ouvrage, Pour l’amour des livres, où se mêlent avec bonheur différents genres.
C’est d’abord une autobiographie, celle d’un lecteur vorace et dévoré, passionné et passionnant. Michel Le Bris y raconte la découverte des livres, qui relève de l’initiation – on entre en littérature comme en religion ; c’est un seuil qui, une fois franchi, s’efface derrière nous, interdisant tout retour en arrière. Il rend par la même occasion hommage à l’instituteur sensible et perspicace qui lui a ouvert les voies de la lecture et de l'écriture. Sont aussi évoqués – ce sont des lieux communs du genre – des problèmes qui se posent à tous les lecteurs : celui de l’espace qui se réduit comme peau de chagrin sous la prolifération des livres et la question, cruciale et jamais résolue, sinon provisoirement, du classement des ouvrages.
C’est ensuite un essai, qui explore différentes questions littéraires et intellectuelles : Michel Le Bris, esquisse une réflexion sur la nature et les vertus de la poésie – sans la définir, car il sait comme tout un chacun que c’est impossible. Il exprime aussi des positions tranchées et fermes sur quelques errances et fourvoiements du XXe siècle, auxquels il n’a pas toujours échappé : « les théories mortifères des ‘‘avant-gardes’’, et les afféteries ‘‘ postmodernes’’ » ; le structuralisme, qui a désincarné la littérature en évacuant le sens, le sujet et l’histoire – ce qui revient à la vider de sa substance ; la confiscation par les sciences humaines de domaines qui, jusque-là, étaient l’apanage de la littérature et sur lesquels la littérature tient, selon Michel Le Bris et de l’aveu de certains grands représentants de ces disciplines, un discours plus riche, plus nuancé et plus juste ; le communisme et l'engouement aveugle et sourd qu'il a suscité.
C’est enfin un manifeste ardent en faveur de la littérature, ou d’une certaine littérature : Michel Le Bris, féru de Stevenson, ne prise guère l’autofiction, le réalisme forcené, les purs jeux de forme et de langage, l’intellectualisme. Il défend une littérature de l'imaginaire, qui raconte des histoires, emporte et captive ; qui donne sens et texture à l’existence, s’adresse au « poème en l’homme : cette part en lui qui le fait libre », et porte en elle, comme une exigence, un phare et un rempart, le message que « nous sommes plus grands que nous ».