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Boccace, dans son Décameron, déroule les récits que dix protagonistes retirés du monde se confient au fil de dix nuits pour conjurer la peur de la Grande Peste. Chez Olivia Rosenthal, il n'est pas question de peste, mais d'une catastrophe dont on peine à cerner les contours. Pas question non plus, pour les neuf personnes qui débattent cinq nuits durant dans Éloge des bâtards de se retrancher à l'abri du monde: non, c'est au coeur de la ville en lutte qu'ils se retrouvent pour échanger, organiser la révolution, remonter le fil de l'histoire.
Éloge des bâtards est un livre bien d'aujourd'hui, affûté et subversif. Ses neuf personnages sont autant d'énigmes. Ils viennent des quatre vents, portent des pseudos, se sont affranchis de tous les héritages. Ils se retrouvent dans la lutte contre un pouvoir fascisant et les milices qui le servent, contre l'aménagement de la ville qui se met en place pour assurer la "normalisation généralisée".
Face à leur insurrection tour à tour grave et joyeuse, on ne peut pas ne pas penser aux mouvements zadistes et à leur puissance inspirante: "nous tenons tête aux milices, nous tenons tête aux familles, nous tenons tête à l'ordre et à la logique". Entre tous ces militants surgis d'horizons parfois très différents, il y a bien des tensions et des ruptures, mais subsiste un lien plus fort que ces points de discorde — leur conscience d'être tous, et pour toujours, "des bâtards consentants". Ce désordre originel, intime, sera le moteur du désordre global qu'ils comptent semer dans la ville.
En quête "d'interstices par où s'enfuir" d'un réel oppressant, les neuf bâtards montrent le chemin et viennent nous rappeler que la lutte n'est jamais finie: "On se promettait de poursuivre et de recommencer parce qu'il n'ya rien de plus actif en nous que l'indocilité".
Verticales, 20 €
"Lorsque j'ai commencé à écrire cette histoire (...), j'ai dit que l'histoire de Cora était une toute petite histoire parmi toutes les histoires du monde. Et puis, dans la foulée, qu'il n'y a pas de petite histoire, que toutes les vies sont dignes d'être commémorées. Je rêve d'un monde où on se raconterait les vies humaines les unes après les autres, avec assez de lenteur, d'incertitudes et de répétitions pour qu'elles acquièrent la force des mythes".
C'est sous cet angle humaniste que le narrateur de Cora dans la spirale entreprend de raconter une histoire "banale" de notre temps. Cora se rêvait photographe. Elle a renoncé à ses ambitions artistiques pour se caser, sagement, dans une compagnie d'assurance. Sa vie est tissée de bien des renoncements, mais Cora s'y plie de bonne grâce, certaine que l'essentiel est ailleurs: sa vie avec Pierre et l'arrivée de leur petite fille.
Lorsque, de retour au travail après son congé de maternité, Cora entame un nouveau carnet — il restait quelques pages vierges dans le précédent, mais elle voulait marquer ce nouveau départ —, elle note "J'espère que tout va être bien, que tout va bien se passer". Et pourtant. La compagnie pour laquelle elle travaille, longtemps familiale, vient d'être rachetée par un grand groupe. Commence alors le sinistre bal du management hypercapitaliste: la vie en open space, les mots vidés de tout sens (on restructure, on rationnalise, on optimise), la pression qui petit à petit ronge tous les instants d'une vie. Cora est jeune, douée, amoureuse, c'est une femme libre et généreuse, mais broyée par son travail elle s'achemine vers "des tristesses indéchiffrables". Et c'est implacable.
Avec ce roman tendu et tragique, virulent mais jamais manichéen, Vincent Message réussit à donner chair aux maux de notre société opulente. Ses portraits d'hommes et de femmes sonnent juste et remuent au plus profond, "car (...) c'est de nous qu'il s'agit. Le combat qui a cessé quelque part reprend ailleurs, et c'est le même combat".
Cora dans la spirale est un roman virtuose dans sa forme, bouleversant dans son propos, et s'impose comme l'une des lectures immanquables de cette rentrée littéraire.
Avant tout, je dois confesser que c’est mon premier Olivier Adam. Et j’ai justement trouvé qu’Une partie de badminton avait la fraîcheur d’un premier roman plus que réussi, à trop vouloir embrasser mais en étreignant bien, surmontant les obstacles et déroulant un récit construit avec simplicité et fluidité.
Tous les cinq ans, Olivier Adam met en scène son double narratif Paul Lerner dans un bilan lucide et acerbe de sa vie (Falaises, Des vents contraires, Les lisières). Lerner est donc aujourd’hui un écrivain au succès passé qui, après avoir fait le trajet Bretagne-Paris, repart plus minable qu’avant en sens inverse faute de ventes de ses derniers livres. Sa fille adolescente en veut plus que vivement à ses parents d’avoir dû quitter leur vie parisienne, son fils pré-ado béat se plonge dans le surf et les jeux video, quant à sa femme,prof dans une école sans éclat aux élèves apathiques mais également prof dans un centre pour migrants, vit depuis quelque temps une liaison adultérine passionnée avec une femme. Ajoutez que Paul est suivi à longueur de temps par une mystérieuse femme, une fan détraquée ?, qu’il apprend qu’un vieil ami écrivain prometteur vient de décéder dans l’anonymat, qu’il est en prise avec le maire de sa ville ayant dénoncé les accords de celui-ci avec des entrepreneurs en passe de défigurer le littoral, que des jeunes nationalistes viennent taguer les murs de sa maison de menaces et vous voyez Paul Lerner englué dans un marasme sans nom.
Si le Paul Lerner d’il y a cinq ans aurait réagi de façon dramatique et plaintive, il n’en est rien du Paul Lerner d’aujourd’hui ; à 45 ans, il n’est plus temps de jouer au vieil ado geignard mais de prendre tout ça avec philosophie et lâcher prise (cf. la superbe phrase de Richard Ford en exergue au roman). Olivier Adam continue d’aborder avec subtilité et intelligence les grands thèmes qui lui sont chers, la famille, la crise d’identité, l’état de la classe moyenne, l’inadaptation sociale, la France périphérique, mais il le fait avec un humour décapant et une auto-dérision qui fait plaisir à voir chez un écrivain parisien (breton ?) de cette trempe !