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amerique derriere moi - desplanquesL'avis de Régis:

Écrire la mort. Et la naissance. Être au plus près, au plus juste. Erwan Desplanques publie en cette rentrée d'hiver un livre bouleversant. Le récit d'un homme qui perd son père et devient père à son tour. Le temps de la maladie et celui de la grossesse, emmêlés, imbriqués. Et puis le départ, l'arrivée, le chagrin, la joie, les regrets, les regards, le temps.


Tendu d'un bout à l'autre, si subtilement construit, ce livre écrit à la première personne n'est en rien un récit de vie ou un de ces témoignages larmoyants. Le texte de Desplanques nous prend par sa sobriété, son élégance, son humour aussi. Son écriture, fine et précise, tient l'émotion à distance, comme suspendue.


Et c'est peut-être là le réel enjeu de ce roman, dire au lecteur combien cette distance, cette hauteur, ce retrait permet de capter plus intensément le réel, d'en percer ses contradictions, de cerner sa complexité. Les courts chapitres disent tantôt le présent tantôt reviennent sur l'histoire familiale, des parents, des grands-parents. On y lit la passion inconditionnelle du père pour l'Amérique, ses rêves d'aviation, de grandeur, son goût des armes. Il y a aussi la guerre familiale incessante, les scènes de ménage, les tromperies, le divorce qui ne dure pas, les retrouvailles. C'est le temps de l'adolescence du narrateur, c'est la vie en province, les livres qui aident à tenir, le grand frère trop lointain.


Écrire aujourd'hui pour traquer la vérité de leurs vies à tous, pour tenter de sortir enfin du mensonge, devenu véritable marque de fabrique de la famille.


Les chapitres du temps présent explorent, eux, ces moments prévisibles qui ne permettent pourtant pas la moindre préparation: pas de répétition prévue, c'est la vie dans ce qu'elle a de plus nu et de plus violent! L'expérience la plus intime et la plus universelle de la mort et de la naissance. Erwan Desplanques dit magnifiquement la grande fragilité de ces instants-là.


Mais L'Amérique derrière moi porte aussi en lui, au creux de ses pages, une réflexion bien plus vaste sur la transmission d'une génération à l'autre et sur l'urgence qui est la nôtre, pour notre génération, de nous frayer un chemin, certes tortueux, mais libérateur.


"Parvenu à l'extrémité du Massachusetts, Thoreau avait écrit: Un homme doit s'asseoir ici et poser toute l'Amérique derrière lui. J'étais désormais cet homme, prêt à faire sécession (...)"


Ne passez pas à côté de ce livre précieux !

 

L'Olivier, 16 €btn commande

Pour lamour des livres - Michel Le BrisL'avis de Delphine

« Nous naissons, nous grandissons dans le bruissement des milliers de récits, de romans, de poèmes, qui nous ont précédés. Sans eux, sans leurs échos éveillés en nous, ne resterions-nous pas tels des enfants perdus dans les forêts obscures ? Donnant mots, visage à l’inconnu du monde, nous révélant à nous-mêmes, ils sont, si l’on y réfléchit, notre première, notre véritable demeure » : c’est ce que tout lecteur sait, et ce dont témoigne avec ferveur Michel Le Bris, dans son dernier ouvrage, Pour l’amour des livres, où se mêlent avec bonheur différents genres.

C’est d’abord une autobiographie, celle d’un lecteur vorace et dévoré, passionné et passionnant. Michel Le Bris y raconte la découverte des livres, qui relève de l’initiation – on entre en littérature comme en religion ; c’est un seuil qui, une fois franchi, s’efface derrière nous, interdisant tout retour en arrière. Il rend par la même occasion hommage à l’instituteur sensible et perspicace qui lui a ouvert les voies de la lecture et de l'écriture. Sont aussi évoqués – ce sont des lieux communs du genre – des problèmes qui se posent à tous les lecteurs : celui de l’espace qui se réduit comme peau de chagrin sous la prolifération des livres et la question, cruciale et jamais résolue, sinon provisoirement, du classement des ouvrages.

C’est ensuite un essai, qui explore différentes questions littéraires et intellectuelles : Michel Le Bris, esquisse une réflexion sur la nature et les vertus de la poésie – sans la définir, car il sait comme tout un chacun que c’est impossible. Il exprime aussi des positions tranchées et fermes sur quelques errances et fourvoiements du XXe siècle, auxquels il n’a pas toujours échappé : « les théories mortifères des ‘‘avant-gardes’’, et les afféteries ‘‘ postmodernes’’ » ; le structuralisme, qui a désincarné la littérature en évacuant le sens, le sujet et l’histoire – ce qui revient à la vider de sa substance ; la confiscation par les sciences humaines de domaines qui, jusque-là, étaient l’apanage de la littérature et sur lesquels la littérature tient, selon Michel Le Bris et de l’aveu de certains grands représentants de ces disciplines, un discours plus riche, plus nuancé et plus juste ; le communisme et l'engouement aveugle et sourd qu'il a suscité.

C’est enfin un manifeste ardent en faveur de la littérature, ou d’une certaine littérature : Michel Le Bris, féru de Stevenson, ne prise guère l’autofiction, le réalisme forcené, les purs jeux de forme et de langage, l’intellectualisme. Il défend une littérature de l'imaginaire, qui raconte des histoires, emporte et captive ; qui donne sens et texture à l’existence, s’adresse au « poème en l’homme : cette part en lui qui le fait libre », et porte en elle, comme une exigence, un phare et un rempart, le message que « nous sommes plus grands que nous ».

 

Grasset, 20,5 euros btn commande

La Bete a bon dos Van AckerL'avis de Delphine

 

Saviez-vous que la sauterelle – à qui l’expression les plaisirs de la chair doit paraître bien incongrue – se retrouve, après le passage du mâle, avec une poche de sperme sur les mandibules, et qu’elle doit ensuite s’échiner, quelques heures durant, à la percer, avant de se féconder elle-même et d’enfouir ses œufs dans le sol ? Qu’un dénommé Tardigrade, qui se présente sous la forme singulière d’un « sac d’aspirateur muni d’un groin », peut rester en état de cryptobiose pendant trente ans ? Que la sagacité des corneilles leur permet de profiter du passage des voitures pour casser des noix dont elles peuvent ensuite se régaler sans coup férir ?

C’est ce que vous apprendrez – entre autres – en lisant le livre de Christine Van Acker, quatorzième volume d’une collection qui se voue à mettre en scène le vivant sous les éclairages les plus divers, qu’ils soient scientifiques ou littéraires.

La Bête a bon dos est un recueil de brèves chroniques dont chacune décrit, avec les détails que fournissent l’observation patiente et la recherche minutieuse, la vie et les mœurs d’un animal ou d’une espèce, de l’eucaryote à un « spécimen rare » – le mauvais sujet – en passant par l’écureuil et le ver de terre. Dans ce bestiaire truffé de digressions enjouées et jamais importunes, Christine Van Acker allie la précision et la rigueur de l’érudition à un humour malicieux, sans jamais tomber dans la pédanterie, la lourdeur ou le didactisme. Elle évite aussi les écueils qui, à ce qu’il semble, menacent tout qui se met, surtout hors d’un cadre scientifique, à parler des animaux : anthropomorphisme, niaiserie, angélisme et gâtisme – point n’est besoin, pour parler des – ou aux – bêtes, de bêtifier. On ne sent pas non plus, dans le ton de l’auteure, de relents idéologiques : toute verte que soit celle à laquelle on pense, elle n’est pas plus blanche qu’une autre, et c’est un esprit léger, fin et nuancé, sans dogmatisme, que celui qui anime ces pages.

Il en résulte un ouvrage du plus vif intérêt, que nourrissent aussi bien le propos de l’auteure que les nombreuses citations qu’elle égrène tout au long de cette promenade buissonnière dans le règne animal – on y croise Colette, Renard, Fabre, …

Ces histoires naturelles invitent à en lire d’autres – la collection Biophilia, d’ailleurs, compte une quinzaine de titres – et surtout à prendre le temps de regarder les bêtes, en portant sur elles un regard curieux et, s’il se peut, naïf, disposé à l’étonnement perpétuel et aux ravissements renouvelés.

 

Corti, collection "Biophilia", 18 eurosbtn commande