Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30
Voici un roman bref, sobre et fort, au style si particulier et à la sensibilité tellement profonde que le moment fugace de sa lecture résonne encore et encore.
Nous sommes en pleine campagne flamande, dans une vaste et calme demeure bordée d’un immense jardin et d’un étang. Aux portes de l’adolescence, une jeune fille vit chez ses grands-parents depuis ses deux ans. « Enfant naturelle », elle a été laissée là par sa mère, qui ne revient pas. La grand-mère est aimante, quoique silencieuse, pudique et distante. Le grand-père, figure drue et autoritaire, quant à lui, se meurt à petit feu au fond de son lit. Cet été-là, les journées de l’enfant solitaire s’écoulent doucement dans le grand jardin, son corps immergé dans l’étang, ses mains enfouies dans la terre du potager, le fond de ses narines inondé de l’odeur de la vase et son esprit navigant sur les flots des premiers émois, des petits bonheurs, des grands tourments et de l’infinité qu’offre l’imagination propre à cet âge de la vie. Puis, les jours sont aussi ponctués par l’intimidante visite au patriarche mourant.
L’eau, la vie, la mort… Autant de thématiques omniprésentes dans cet instantané singulier où la nature est souveraine. Entre le rêve et la réalité, le lecteur tangue. L’écriture est magnétisante, les ressentis intenses, alors même que somme toute, le quotidien se déroule dans une routine taciturne. En fait, à l’instar de la fille, l’eau de l’étang semble calme mais pourtant renferme en elle une puissante force de vie et de mort.
Avec Debout dans l'eau, l'écrivaine belge, primo-romancière, Zoé Derleyn fait entendre une voix littéraire extrêmement singulière à découvrir, vraiment, et à suivre, sans aucun doute.
Disponible en format numérique ici
Canoës ramasse en une épure tout ce qui se joue dans le travail romanesque de Maylis de Kerangal. En huit textes qui fonctionnent entre eux comme un ensemble organique, pulsant une même énergie, on trouve déployées les questions au centre d'une œuvre qui compte d'évidence parmi les plus captivantes d'aujourd'hui. Canoës compose un paysage de corps et de voix qui s'aimantent, s'additionnent, se diffractent, se reflètent. La circulation est fluide entre tous ces textes tissés serrés par des jeux d'échos et des mises en réseau (telle date qui revient, l'ombre d'un oiseau, un enfant aux yeux sombres, la quête d'une fréquence audible dans les stridences de la radio). Maylis de Kerangal est décidément une architecte aussi virtuose dans la forme brève que dans ses romans-épopées.
Poursuivant le chemin pris avec Un monde à portée de main, Canoës explore l'intime et prend le risque de la première personne. Les textes mettent en scène des femmes dans un moment de fragilité. Toutes sont, volontairement ou pas, déroutées de leur vie ordinaire («aux aguets, vulnérable, précaire», «désajustée», «légèrement décollée de moi-même»). On attend d'elles qu'elles s'adaptent et trouvent un nouveau point d'équilibre, mais elles jouent la résistance. Ainsi dans «Mustang», la novella centrale, une jeune Française installée au Colorado n'arrive pas à se couler dans son nouvel environnement: «je résistais, cabrée, réfractaire», et pourtant «anxieuse à l'idée que les espèces qui ne s'adaptent pas disparaissent inéluctablement». Les cheminements intimes de ces femmes d'âges et d'horizons différents sont saisis au plus près de leurs tâtonnements par une écriture vive, précise, cueillant la moindre inflexion du corps et de la pensée.
Mais ce sont surtout les voix que Canoës s'efforce d'attraper. Leur timbre, leur souplesse, leur singularité, ce qui transforme le souffle humain en «matières acoustiques», en «ruisseau de montagne», en paysage intime. Rien n'échappe à l'acuité de Maylis de Kerangal: voix enregistrées, captées par une radio, un répondeur, un micro, ou voix qui murmurent au creux de l'oreille; voix qui trébuchent, bégaient, se cherchent; voix du souvenir aussi, celles des morts aimés que l'on cherche à retrouver. Cette patiente quête des voix donne à chacun des personnages croisés dans Canoës un degré d'incarnation et de présence d'une rare puissance. Car s'il n'y a rien de plus fragile et de plus évanescent qu'une voix, il n'y a pas non plus meilleur sismographe de la vérité d'un être. La voix s'accorde dans une zone qu'aucune posture, qu'aucune bravade ne peut faire mentir.
Les canoës du titre glissent avec fluidité sur le lit creusé par toutes ces voix. De texte en texte, le motif du canoë offre sa polysémie gracieuse. Si le mot renvoie au mouvement, à la légéreté, à la vitesse, il ramasse aussi l'idée de disparition et d'impossible deuil pour les peuples indiens massacrés. Deux nouvelles sont arrimées dans les paysages des Grandes Plaines américaines, mais tous les autres textes ont à voir avec la perte, la quête des traces, le travail de mémoire.
Le canoë est peut-être aussi, par sa capacité à apporter biens et messages d'une communauté à une autre, comme une image de l'écriture elle-même cherchant à ramasser et transmettre des éclats de réel. Dans le sillage d'Ursula Le Guin, le livre donne corps à l'idée d'une fiction comme contenant, réceptacle. Et ce n'est sans doute pas un hasard si les femmes croisées dans Canoës ont des poches, des paniers, des sacs qu'elles remplissent «de vestiges, de reliefs, de petites choses». La nouvelle «Mustang» se termine avec l'évocation d'un bol tourné par la narratrice: «me portait le rêve de fabriquer un jour un bol, un simple bol, où je pourrais garder ce que j'ai glané dans ce pays, et le rapporter chez moi». Le canoë serait le lieu pour ressaisir «ce qui se tient disjoint».
Et l'on se sent gagné, dans chacun de ces huit textes, par «la crue de l'émotion», une émotion qui irrigue tous les sens et démultiplie les perceptions. La somptueuse beauté de la langue de Maylis de Kerangal, son sens narratif, sa générosité : tout fait empreinte dans nos vies de lecteurs, tout élargit notre espace de rêve et de pensée.
Disponible en format numérique ici
Un monologue cocasse, celui d’Anatole, un ancien consultant (en quoi, déjà ?), que la solitude et l’ennui ont projeté dans le bar PMU de son quartier. Un peu malgré lui, graduellement, il s’est laissé envahir par la fièvre des paris. Turfiste devenu stratège, il dépeint avec allant le monde des fameux bistrots français de paris équestres, ses piliers de comptoir, ses miseurs obstinés, ses tenanciers désabusés, ses Omar Charif en perdition…
Tiercé, quarté, quinté plus : faites vos jeux !
Le portrait par lui-même d’un gentil loser emberlificoté sans l’avoir senti venir dans des rencontres rocambolesques et des trafics douteux. Le style est enlevé, caustique, je dirais même galopant ; la description véritablement pittoresque.
Fièvre de cheval de Sylvain Chantal : voici la lecture décalée de ce printemps tardif !