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Un jour il apparaît.
Ça aurait pu être un autre.
C’est lui.
Veronika Mabardi se souvient de ce matin-là, elle avait neuf ans. À l’aéroport, épuisé par la nuit de vol et par ses pleurs, un petit garçon arraché à sa terre natale est devenu son frère. Shin Do.
À la maison, il y a l’amour, beaucoup d’amour, maladroit parfois mais joyeux et généreux. Shin Do grandit, la famille aussi lorsqu’arrive, de Corée encore, une sœur aînée. Deux filles, deux garçons. Deux grandes et deux petits. Dans le regard des autres, ce regard si lourd à porter qui "fait de ma famille une forteresse à défendre": deux enfants d’ici et deux enfants adoptés.
De ses toutes premières années, Shin Do ne sait rien, ou seulement les ombres qui le rattrapent dans le sommeil et le laissent envahi d’un chagrin inconsolable. Shin Do est un enfant ours: "il y a un trou dans son histoire, et tout l’amour du monde n’y peut rien".
C’est autour de ce vide-là que les mots de Veronika Mabardi cherchent leur chemin. Ils tissent des fragments, cartographient des îlots, quelques territoires incertains "entourés par du vide, du flou, de l’ombre, des images mal révélées". Avec les mots, elle tente de donner sens aux silences, au chaos, à la mort venue trop tôt s’emparer de ce frère "qui sent ce qui compte et ce qui manque". Son livre n’a rien d’un tombeau. Il signe au contraire les retrouvailles après l’arrachement: "Et je te dis tu pour que tu viennes, je t’invite ici".
C’est qu’entre Veronika et son frère, il y a dès les premiers moments une évidente complicité. Dans la famille, ils sont les deux impertinents, ceux qui se cognent au cadre et posent trop de questions. Ceux qui, au fil des années, trouveront dans la création une façon de prolonger leurs questions. Pour elle cela passera par les mots: comédienne, dramaturge, romancière, en cela héritière de ses parents ("le père bricole avec les mots et la mère bricole avec les récits"). Et pour Shin Do, par le dessin et la céramique. Les voies sont différentes mais leurs œuvres à chacun reflètent la même quête de l’essentiel, de l’épure, du tremblement.
Sauvage est celui qui se sauve fait résonner ensemble leurs deux façons d’être au monde, à jamais jumelles.
Je récite mon psaume personnel, où réside le sens de toutes choses : observe perpétuellement, observe l’inquiétude, la déconvenue, la bêtise, tes propres abattements. Observe. Tout existe pour être raconté.
Voilà un roman qui ressemble à son héroïne: ardent fougueux et d’une drôlerie tout à tour espiègle et redoutable. L’héroïne, c’est Nouk. On la (re)connaît: depuis "Petite", Nouk et Geneviève Brisac se tendent un miroir plus ou moins fidèle, plus ou moins joueur. Nouk est comme un double de fiction, et tout au long des "Enchanteurs" le elle et le je se partagent le récit. Pas de danse tellement souple et gracieux qu’il réussit à nous faire oublier combien il est virtuose.
Nouk rêvait de changer le monde, mais le temps a dérapé, et nous aussi. La voici éditrice: Publier de nouveaux livres, rencontrer de nouveaux écrivains, les défendre, leur apprendre ce qu’elle sait, jouer avec ses amies et écrivaines et complices, écrire des histoires qui font rire et qui font pleurer, rédiger des catalogues, se battre contre divers moulins, tout ce bonheur l’empêche d’éprouver dans son cœur que les temps changent. Et les idéaux de Nouk se fracassent à des logiques qu’on croit réservées à d’autres mondes que ceux de la création : le chiffre, le succès facile, la communication. Il faut s’adapter – ou partir.
Nouk regarde le microcosme de sa maison d’édition et rien n’échappe à son sens de l’observation: les lâchetés ordinaires, le narcissisme, les absurdes jeux de pouvoir, les chantages affectifs. Elle est lucide, Nouk, et narquoise, et combattante. Elle ira jusqu’au bout de sa lutte contre la bêtise et la misogynie, même si tout est décrit, tout est décidé (…), est-ce bien la peine de jouer ma partition ? Sa force, ses armes, elle les puise chez les auteurs qui l’accompagnent, Virginia Woolf et Kafka, Duras et Natalia Ginzburg.
On se tromperait en lisant "Les enchanteurs" comme un livre-règlement de compte, une apologie du passé révolu. Ce qui irrigue le roman, bien au contraire, c’est son énergie généreuse, ses étincelles d’humour et de poésie, son souffle d’insubordination. Une liberté ébouriffante, car comme le dit Anne Sylvestre en exergue: "Merci, oh merci !/ De m’avoir donné cette rage".
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Un feu d’artifice pour ouvrir le livre, un grand incendie pour le refermer, et entre les deux "Partout le feu" crépite, flamboie, illumine comme rarement la colère de notre temps.
Avec ce premier roman écrit d’un souffle, Hélène Laurain raconte les désirs, les espoirs et les peurs de Laetitia, née dans l’Est triste quelques minutes avant l’explosion de Tchernobyl. La vie de Laetitia est aussi fissurée que le réacteur nucléaire. Le deuil impossible d’une mère partie trop tôt, l’absurdité de son travail, le sentiment oppressant de la catastrophe climatique: sa vie implose, et les post-it implacables ou poétiques qu’elle griffonne méthodiquement ne suffisent pas à l’étayer.
Alors, l’énergie libérée par tant de failles, Laetitia la met au service d’un groupe d’activistes écologistes. De coups d’éclats en gardes à vue, elle garde intacte sa conviction: brûler de douleur et faire avec.
Drôle et rageuse, habitant une vertigineuse solitude, Laetitia mesure les progrès de son eczéma sans pour autant renoncer à traquer la beauté du monde. C’est une héroïne bien d’aujourd’hui, délurée, sans illusion mais pas sans idées, une Antigone pour nos temps effondrés.
ma couleur c’est le vert / vert sorcière / vert colère / vert furie
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