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Comme chaque année, les librairies Initiales viennent de décerner leur Prix Mémorable. Un prix en dehors des sentiers battus, qui met en avant notre goût de libraires pour les pépites et les projets éditoriaux singuliers.
Et singulier, Renata n'importe quoi l'est assurément!
Publié pour la première fois en 1967 chez Gallimard, encensé à l'époque (il fera partie de la sélection du Goncourt cette année-là), le roman tombe ensuite dans l'oubli. Son autrice Catherine Guérard disparaît elle aussi des radars littéraires et part s'installer en Corrèze où elle meurt en 2010, sans avoir plus jamais publié.
Renata n'importe quoi est un livre libre. Libre comme son héroïne
Lire la suite : "Renata n'importe quoi" de Catherine Guérard, Prix Mémorable 2023
Chloé aborde la trentaine avec angoisse. Tout va bien dans sa vie à Paris, pas de souci, mais quand le ver est dans le fruit, il faut l’en déloger. Elle commence alors une analyse et sa psy vient fatalement lui annoncer que ses parents lui cachent un lourd secret. S’en découle alors des rebondissements en cascade aboutissant inévitablement sur une fin en apothéose…
Car à quelques centaines de kilomètres de là se joue un autre acte avec Patricia, Lucette et Gérard, dans une petite ville de Normandie où Chloé et sa famille ont vécu il y a une vingtaine d’années. C’est l’enchevêtrement intime des histoires du trio normand avec celles de Chloé et sa famille qui va faire exploser la tension humoristico-dramatique.
Comédie de mœurs hilarante se situant à la fois dans un milieu bourgeois parisien et la classe populaire normande, Pas de souci fait éclater des rires à foison. Luc Blanvillain a le don de croquer ses personnages, de les faire parler – aah Gérard, le loser pas si magnifique, grrr… Jean-Charles, le père de Chloé, ce bourgeois je-sais-tout – pour notre plus grand plaisir.
De roman en roman, la virtuosité d’Emmanuelle Pirotte est toujours éclatante. À l’aise dans tous les registres, du roman historique à l’anticipation, de l’aventure au drame, elle a une imagination romanesque affutée, une force d’évocation qui vous embarque, en quelques lignes, dans une cave peuplée de civils pendant la bataille des Ardennes (dans Today we live) ou dans les grands espaces vierges du Canada au 17e siècle (dans Loup et les hommes). Cela s’appelle le panache: une confiance absolue dans les merveilleux pouvoirs de la fiction.
Avec Les Reines, Emmanuelle Pirotte ose plus que jamais la démesure du récit. Plus de cinq cents pages pour brouiller toutes les lignes et réinventer les genres, entre dystopie féministe, épopée ou tragédie shakespearienne. Et l’on se régale autant qu’elle de ce vertige romanesque.
Les Reines nous projettent dans l’après-catastrophe. Notre Vieux Monde n’est plus, ruiné par la voracité des hommes. Mais la Terre s’ennuie des humains, et leur donne une nouvelle chance en changeant les règles du jeu. Désormais, les femmes seront au pouvoir. Sur les ruines du Vieux Monde, elles tiennent des royaumes solides, et parfois même prospères. Peu peuplés, ces royaumes sont aussi traversés par des populations nomades: Gipsies, comédiens, travailleurs itinérants… C’est à l’un de ces peuples errants qu’appartiennent Faith et Milo, héros solaires et cœurs battants du livre. Milo avait dix ans à peine quand la toute petite Faith, orpheline, a jeté son dévolu sur lui. Il a été pour elle un grand frère, un compagnon de jeu, un père de substitution. Jusqu’à ce que s’en mêlent des sentiments amoureux et que Milo se trouve mis au ban de son peuple.
L’histoire de Faith et de Milo est au centre d’un échiquier bien plus vaste, où évoluent des reines dont le pouvoir tyrannique n’a rien à envier à celui du patriarcat du Vieux Monde. Jalousies, ambitions, orgueil rythment la solitude vertigineuse de ces souveraines, Alba la recluse ou Edda la farouche Amazone, ennemie résolue des hommes…
Emmanuelle Pirotte lance à grande vitesse de nombreux fils romanesques et prend plaisir à les tresser et les emmêler. Pour autant on ne se perd jamais, tant la narration est fluide et maîtrisée. En évoquant un temps sorti de ses gonds, en utilisant un futur si lointain qu’il lui offre une grande liberté d’imagination, elle n’en conserve pas moins une structure classique. Le roman fait de nombreux clins d’œil aux chefs-d’œuvre du Vieux Monde et à leur "beauté fracassante". Les tragédies antiques ou les pièces de Shakespeare sont comme le miroir des amours, des secrets, des déchirements de Faith, de Milo et des autres.
Dans un monde réensauvagé, l’humanité qui se déploie dans Les Reines semble aussi imparfaite que nous le sommes. Elle a toujours soif de sang et de possession. Et pourtant, elle sait aussi accueillir la beauté, la vulnérabilité, le tremblement de la passion. Emmanuelle Pirotte rend terriblement proche, et touchante, cette espère humaine d’après la Chute.