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L'avis d'Anouk:

defaites - gaude"Salue Alexandrie qui s'en va (...) Salue Alexandrie que tu perds".

L'exhortation que lance à travers les siècles Constantin Cavafy à Antoine, vaincu par Octave dans son refuge d'Alexandrie, éclaire le projet ambitieux de Laurent Gaudé: tenter d'approcher ce que sont nos défaites, intimes, politiques, militaires. La question est brûlante car dans notre monde insaisissable, qui peut dire où sont les gagnants, où les vaincus?

Et c'est bien autour du prisme du contemporain que Laurent Gaudé compose sa fresque. De Bamako au Kurdistan, de Paris à Beyrouth, de Tripoli au Pakistan, Écoutez nos défaites revient sur les zones de fracture de notre temps. Assem et Mariam, dont l'unique nuit d'amour ouvre le roman, sont des héros fatigués. Lui vient du monde de la guerre, de l'action, de l'urgence, et a douloureusement conscience de l'absence de sens de ses missions. La dernière d'entre elles: partir sur la piste d'un ancien membre des commandos d'élite de l'armée américaine en désertion, qui s'adonne à d'étranges trafics. Elle est archéologue et tente, en Irak, en Syrie ou ailleurs, de sauver ce qui peut l'être encore de la rage destructice — "non plus les vies, les destins singuliers, mais ce que l'homme offre au temps, la part de lui qu'il veut sauver du désastre, la part sur laquelle la défaite n'a pas prise, le geste d'éternité". Assem et Mariem savent l'amertume des défaites mais tentent de perdre avec noblesse. L'un et l'autre considèrent que l'art, la beauté, la poésie préservent de l'anéantissement et permettent de se tenir debout dans un monde affolé.

Laurent Gaudé illumine leur histoire, poignante, de pages arrachées à la grande Histoire. Agamemnon qui attend des vents favorables pour faire voile vers Troie, Hannibal aux portes de Rome, Ulysses Grant face aux Confédérés, Hailé Sélassié opposant ses troupes désarmées aux armées mussoliniennes... Autant de destins dont il n'est pas simple de partager les victoires et les défaites. "Écoutez nos défaites, ils le disent ensemble, avec une sorte de douceur et de volupté, écoutez nos défaites, nous n'étions que des hommes, il ne saurait y avoir de victoire, le désir, juste, jusqu'à l'engloutissement, le désir et la douceur du vent chaud sur la peau".

Actes Sud, 20 €btn commande

Disponible en format numérique 

 

succession - duboisL'avis d'Anouk:

Des héros de Jean-Paul Dubois, Paul Katrakilis porte le prénom, la désinvoluture et l'irrépressible mélancolie. Fils unique d'un couple peu assorti — sa mère n'a jamais caché qu'elle préférait son propre frère à son époux —, petit-fils du médecin personnel de Staline arrivé en France peu après la mort du Petit Père des peuples, Paul choisit après ses études de médecine d'échapper au poids d'une famille destructrice. Il s'établit à Miami et y devient joueur professionnel de pelote basque, un sport qui fait fureur en Floride.

La rudesse du monde sportif lui semble infiniment préférable au climat vicié qui règne chez les Katrakilis. Paul a-t-il pour autant échappé à l'héritage familial? On aimerait avec lui croire au "bonheur simplifié" qu'il s'est bâti outre-Atlantique: quelques amis hauts en couleur, deux femmes inoubliables, un vieux bateau et un chien affectueux. Mais il n'est pas aisé de refuser une succession, et Paul l'apprendra dans de profonds déchirements.

"La succession" est le roman du bonheur et de sa perte, de la liberté qui n'est jamais là où l'on croit, du poids de tragique que recèle toute vie. On y retrouve l'élégance désabusée de Jean-Paul Dubois, son sens du détail, son humour tout d'ironie, mais aussi, plus encore que dans ses romans précédents, une douloureuse noirceur et même un désespoir qui laissent au lecteur bien des questions entêtantes.

L'Olivier, 19 €

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madeleine project - clara beaudouxL'avis d'Anouk:

Madeleine est née en 1915 et décédée en 2012. Entre les deux dates, presqu'un siècle d'une vie bien remplie. Une cave oubliée dans un immeuble parisien en raconte les mille facettes: des cahiers d'écolière et des lettres d'amour, des photos et des cartes postales, des livres et des services à café, des dentelles et un manteau de fourrure, tout le marabout-bout de ficelle d'objets entassés au hasard des années.

Lorsque Clara Beaudoux s'installe en 2013 dans l'appartement que Madeleine a longtemps habité, les héritiers de la vieille dame ont oublié l'existence de la cave et ne l'ont pas vidée. Voici donc la jeune femme dépositaire de la mémoire d'une vie. Elle aurait pu tout jeter, mais piquée par la curiosité elle se plonge dans les cartons et valises soigneusement empilés. Et très vite l'émotion la prend. Elle la partage sur Twitter, à coups de messages de 140 signes, fédérant très vite autour de ce "Madeleine Project" une communauté vibrante.

C'est le recueil de ces tweets que publient aujourd'hui les éditions du Sous-Sol. Et l'on s'étonne de la profondeur du livre. Qui aurait cru qu'en 140 signes on pouvait donner tant d'émotions, de réflexion, de beauté? Que l'on sentirait naître à elle-même, à travers la vie d'une autre et dans une forme qui semble si éphémère et superficielle, une jeune femme d'aujourd'hui?

"Madeleine Project" est un livre sur la mémoire, sur les méandres de la vie, sur ce que les objets disent de nous. En exergue, ces quelques mots de Chris Marker donnent à penser:

"Mon hypothèse de travail était que toute mémoire un peu longue est plus structurée qu'il ne semble. Que des photos prises apparemment par hasard, des cartes postales choisies selon l'humeur du moment, à partir d'une certaine quantité commencent à dessiner un itinéraire, à cartographier le pays imaginaire qui s'étend au-dedans de nous".

Éditions du Sous-Sol, 18 €btn commande