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ce coeur changeant - desartheL'avis d'Anouk:

L'air est calme. Pas un souffle de vent, si bien que les grands arbres qui se reflètent dans l'eau du lac ont des contours plus définis à la surface de l'eau que dans l'air. René rame vigoureusement. Il espère impressionner Kristina par la souplesse de ses articulations, la force de ses bras, la longueur de son souffle. S'il le faut, il mènera cette barque jusqu'à la rive opposée sans marquer de pause, sans reprendre haleine. Ce qu'il respire n'est pas de l'oxygène, c'est de la beauté. La beauté du lac, de la forêt autour, de l'or menu des feuilles se détachant sur le plomb des nuages ourlés d'argent. La beauté de Kristina dans le combat que la jeune femme livre au panorama et que, levant de quelques centimètres le menton pour étirer son cou, elle remporte soudain, dans la même surprise cocasse que le knock-out infligé par un boxeur.

C'est par ces mots que démarre Ce coeur changeant, le nouveau roman d'Agnès Desarthe. Nous sommes à Sörö, au Danemark, en 1887, et dans cette même ville le roman trouvera sa conclusion, quand bien des années auront passé. Mais c'est au cœur de Paris que le roman se déploie. Rose, fille des amours contrariées de Kristina et de René, y débarque à l'âge de quinze ans. Héroïne magnifique et fragile, Rose n'a pas l'assurance conquérante de sa mère et de ses ancêtres danois. Elle ne manque pas pour autant d'une force de vie qui la rend étrangement lumineuse.

À travers l'histoire de Rose et des siens, c'est toute une époque qu'Agnès Desarthe fait revivre, celle de l'affaire Dreyfus et des crinolines, de la Grande Guerre et des suffragettes, des colonies et des premières automobiles. On est ébahis par l'ampleur et le souffle romanesques qui tiennent en haleine tout au long de Ce coeur changeant. Vrai-faux roman historique, grisant de liberté, ce roman ouvre une voie nouvelle dans l'oeuvre si singulière d'Agnès Desarthe. On y retrouve néanmoins tout ce qui fait la grâce et la puissance de ses précédents livres: des personnages en chemin, que les blessures de la vie n'ont pas épargnés mais qui n'abdiquent pas pour autant; des secrets qui ne sont jamais ce que l'on croit; un sens inné des scènes cocasses et malicieuses; un goût pour le rêve et le mystère. Puis la magie d'une écriture faussement simple, limpide, étincelante.

Un livre dont on sort bouleversé, et qu'Agnès Desarthe viendra nous présenter à la librairie le 8 septembre à 20 heures. Venez nombreux!

Éditions de l'Olivier, 19.50 €btn commande

quand le diable - divryL'avis d'Anouk:

Dans les années 60, Georges Perec écrit Les Choses. C'est le roman d'un temps encore faste, où le bonheur d'un jeune couple d'intellectuels se mesure à l'aune des objets qui s'entassent dans leur appartement. Le temps est à l'hyperconsommation.

Dans nos ternes années 10, Sophie Divry choisit elle aussi pour héroïne une jeune intellectuelle. Surdiplômée, Sophie vit seule: le couple aujourd'hui, ce n'est plus comme avant. Et au lieu de s'entourer de choses rassurantes, Sophie apprend à s'en défaire. Les livres, le grille-pain reçu à Noël, c'est chaque fois quelques euros glanés, de quoi remplir les armoires de pâtes et de Ricoré. Car Sophie a résolument descendu l'échelle sociale. Ses diplômes ne lui assurent que le chômage, et le temps passant même les allocations ne suffisent plus pour vivre.

Avec ce roman qui devait au départ s'intituler Chômage, Sophie Divry aurait pu nous tirer des larmes. Mais parce que "la littérature est une fête", elle réussit tout autre chose: un roman joyeux, foutraque, joueur, autour d'une héroïne que l'on adore adorer. Comme chez Perec, il y a des listes à n'en plus finir, drôles, inventives, jamais gratuites. Mais il y a beaucoup d'autres auteurs auxquels l'on ne peut que penser, George Orwell bien sûr et son fameux Dans la dèche à Paris et à Londres; Ian Levison aussi qui, dans Les tribulations d'un précaire, évoque avec le même humour distancé et ravageur la galère d'un jeune intellectuel. Voire même Pierre Bergounioux, héros bien malgré lui d'une des scènes les plus drôlatiques du livre...

Et le diable dans tout cela ? Il semble que quand on le tire par la queue, il ne manque jamais d'arriver. Sophie en fera l'étrange expérience. Et Hector, son camarade de galère, risque bien de ne jamais s'en remettre.

Avec ce petit livre sans prétention mais non sans malice, Sophie Divry nous donne un vrai roman social d'aujourd'hui. Tout y est politique: l'intime et la famille, le rapport au travail et au monde marchand, les désirs enfouis ou au contraire trop extravertis. Et pourtant, malgré la gravité du sujet, Quand le diable sortit de la salle de bain a la finesse d'être aussi un roman léger et vagabond, qui se plaît à musarder dans les digressions et les improvisations : un bel exercice de liberté.

Noir sur Blanc, Notabilia, 18 €btn commande

rchisteL'avis d'Edith:

C'est une biographie. Mais c'est un roman. Parce que la vie d'Alexandre Jacob, né en 1879 et mort en 1954, est un roman, de ses années en mer à l'éventrement de coffre-forts à la chaîne.

C'est l'histoire d'une fin de 19e siècle agitée où la contestation sociale gronde et où les « agitateurs sociaux » sont réprimés. Parmi ces agitateurs, il y a les anarchistes. Et parmi les anarchistes, il y a Alexandre Jacob, illégaliste. Jacob vole aux riches. Pour saboter à son échelle le système de classes capitaliste. Pour redistribuer. Pour vivre aussi, en tant qu'honnête cambrioleur.

Et il le fait bien voler! Si bien qu'il met au point une petite entreprise horizontale de « transferts de capitaux ». Lui et ses comparses enchainent alors cambriolages d'églises et de maisons cossues et rendent folle la police française. Ils jonglent avec les arrestations mais recommencent de plus belle. Et si procès il y a, c'est l'occasion pour Jacob de séduire le public par sa verve.

« Voleur et anarchiste », c'est l'histoire d'une époque, l'histoire d'hommes et de femmes plein d'idéaux et de panache, plein de colère face aux injustices sociales aussi.

Il vaut la peine de se plonger dans la vie de cet incroyable et intense personnage qui a souvent été assimilé – et souvent trop vite, comme le développe l'auteur dans l'épilogue – à Arsène Lupin, gentleman cambrioleur.

Nada, 16€btn commande