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je suis la bete donaeraL'avis d'Anouk:

Et Mimì pense qu'il va les tuer tous. Tous, s'ils ne partent pas, s'ils ne partent pas d'ici, s'ils ne le laissent pas seul, dans ce salon, Mimì va faire un carnage, il va les tuer tous.

C'est ainsi que s'ouvre "Je suis la bête", le magistral premier roman d'Andrea Donaera, et dès ces premières lignes tout est déjà là: la tension, la noirceur, la dimension implacable de la spirale de violence qui s'enclenche. La puissance de l'écriture aussi, ces mots âpres qui tournent et reviennent et piétinent autour des mêmes obsessions jusqu'à faire exploser les sens.

Dans le salon où Domenico Trevi, dit Mimì, laisse enfler sa fureur, il y a un cercueil, et dans ce cercueil le corps méconnaissable de son fils. Le garçon s'est suicidé en se jetant de la fenêtre de l'appartement familial. Il avait quinze ans, une âme de poète emprisonnée dans 130 kilos de chair, un chagrin d'amour trop lourd à porter.

"Je suis la bête" est une plongée au coeur des Pouilles, terre délaissée des lettres italiennes. Loin du cliché touristique, ce qu'Andrea Donaera fait éprouver, c'est le sirocco, la moiteur suffocante, l'emprise du patriarcat et de la "Société", cette Sacra Corona Unità dont Mimì est l'un des barons, puissant et craint. Épaulé par des sbires dont l'obéissance servile n'a d'égale que la cruauté, Mimì met en place un engrenage de vengeance pour punir Nicole, la plus belle fille du lycée, celle qui a éconduit son fils et, il en est persuadé, l'a mené au suicide.

On avance vers la tragédie en alternant les points de vue. De chapitre en chapitre, d'autres voix répondent à celle de Mimì – sa fille Arianna, Nicole elle-même et Veli, tout à la fois séquestré par le clan et geôlier d'autres victimes. Chacune de ces voix s'épuise dans le même ressassement, comme s'il fallait éprouver les mots, les cogner sans cesse contre les angles de la réalité pour creuser un chemin de compréhension dans le tumulte des sentiments. Ce travail sur la langue donne au livre son goût minéral et sa puissance peu commune.

Envoûtant, obsédant, jamais complaisant dans sa peinture de la violence, "Je suis la bête" est un roman qui capte au plus juste l'âme d'une terre et des hommes qui l'habitent. Un livre stupéfiant de maîtrise, qui émeut et ébranle à chaque page.

Cambourakis, traduit de l'italien par Lise Caillat, 21 eurosbtn commande

 

indian creek frommL'avis de Clémence:

La montagne, une tente vétuste, des boîtes de haricots, un carnet et un chien pour seule compagnie, voici la recette idéale pour une connexion totale à la puissance de la nature et à l’intériorité de chacun. Pete Fromm, alors étudiant à l’université de Missoula, se voit chargé en tant que jobiste de surveiller un élevage de saumons pendant sept mois au cœur des Rocheuses où la trace de l’homme est encore très peu marquée. C’est, en effet, une région sauvage qui, lors des premières nuits, lui paraît hostile, reculé dans une prairie aux abords de la rivière. Mais, petit à petit, apprivoisant son environnement, parfois avec beaucoup d’audace et de cran, s’inspirant de lectures de récits d’explorateurs ou de trappeurs, ce jeune étudiant imprudent découvre et se régale (dans tous les sens du terme) d’un univers dont il n’avait pas conscience jusque-là : le monde du vivant régi par l’esprit de la montagne et de ses habitants.

Inspiré d’un épisode fondamental de sa vie, ce récit est une initiation à l’essence même de la vie tant pour le narrateur que pour le lecteur. Aux côtés de Pete Fromm, nous partons en voyage solitaire et en quête de l’essentiel, à travers des décors époustouflants, sublimement décrits. Au détour d’une expédition dans la neige, d’une traque d’un élan ou d’un lynx, de kilomètres avalés sans victuailles, de moments de solitude profonde, une joie intense surgit et la plénitude nous frappe de plein fouet : nous apprenons, partageons et célébrons ensemble l’intensité, aussi simple soit elle, d’être en vie. Au sortir de ce livre, il est impossible de ne pas porter un regard nostalgique à son sac-à-dos et ses bottines qui dorment dans le placard ; la tentation est grande de (re)partir à la découverte et à la rencontre de cet univers naturel dont nous provenons, qui coupe le souffle et donne un sens à l’existence.

Gallmeister, traduit de l'anglais (États-Unis) par Denis Lagae-Devoldère, 9.80 €

"Indian Creek" est le lauréat de la première édition du Prix des Jeunes Libraires. Un jury de 130 jeunes libraires, auquel Clémence a participé, a choisi ce livre parmi quatorze autres romans. Pour découvrir les autres titres de la sélection, c'est ici.

prix des jeunes libraires

 

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incident - keretL'avis d'Anouk:

Les fictions d’Etgar Keret sont d’étranges et fascinantes mécaniques. Précises, tendues, redoutablement efficaces, elles mêlent l’humour le plus décapant à une insondable tristesse. Leur perfection formelle et leurs pirouettes postmodernes ne sont jamais désincarnées et vous remuent au plus profond – au point que l’on se demande comment une telle palette de stimulations, de sensations et d’émotions peut tenir dans des histoires aussi brèves.

Chez Etgar Keret, il y a des accidents de voiture et des enfants tristes, des couples sur le fil, des métamorphoses, des parents imparfaits et même des créatures virtuelles. Il y a, surtout, une solitude qui submerge tout et laisse chacun des protagonistes comme perdu « au fond de la galaxie ».

Un petit garçon pense que l’homme dépressif monté sur le toit de son immeuble veut démontrer ses superpouvoirs d’homme volant. Des femmes riches lancent une application permettant de localiser les mendiants : les sommes colossales qu’elles leur offrent pimentent de frisson leurs vies qui en sont tellement dépourvues. Trois sœurs veillent sur un lapin blanc, convaincues qu’il est la nouvelle incarnation de leur père enfui – et d’ailleurs l’obstination de la mère à se débarrasser du lapin n’en apporte-t-elle pas la preuve ? Des adolescents enrôlés dans l’armée américaine ne savent plus où passe la frontière entre la guerre réelle et leurs jeux virtuels.

Incident au fond de la galaxie égrène vingt-deux histoires qui sont chacune « une ride de tristesse de plus sur le pare-chocs de l’âme ». Autant de situations peintes avec un trait corrosif et espiègle qui n’efface jamais la tendresse, et fait d’Etgar Keret un singulier et impitoyable chroniqueur de notre époque.

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, 21.50 eurosbtn commande