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La montagne, une tente vétuste, des boîtes de haricots, un carnet et un chien pour seule compagnie, voici la recette idéale pour une connexion totale à la puissance de la nature et à l’intériorité de chacun. Pete Fromm, alors étudiant à l’université de Missoula, se voit chargé en tant que jobiste de surveiller un élevage de saumons pendant sept mois au cœur des Rocheuses où la trace de l’homme est encore très peu marquée. C’est, en effet, une région sauvage qui, lors des premières nuits, lui paraît hostile, reculé dans une prairie aux abords de la rivière. Mais, petit à petit, apprivoisant son environnement, parfois avec beaucoup d’audace et de cran, s’inspirant de lectures de récits d’explorateurs ou de trappeurs, ce jeune étudiant imprudent découvre et se régale (dans tous les sens du terme) d’un univers dont il n’avait pas conscience jusque-là : le monde du vivant régi par l’esprit de la montagne et de ses habitants.
Inspiré d’un épisode fondamental de sa vie, ce récit est une initiation à l’essence même de la vie tant pour le narrateur que pour le lecteur. Aux côtés de Pete Fromm, nous partons en voyage solitaire et en quête de l’essentiel, à travers des décors époustouflants, sublimement décrits. Au détour d’une expédition dans la neige, d’une traque d’un élan ou d’un lynx, de kilomètres avalés sans victuailles, de moments de solitude profonde, une joie intense surgit et la plénitude nous frappe de plein fouet : nous apprenons, partageons et célébrons ensemble l’intensité, aussi simple soit elle, d’être en vie. Au sortir de ce livre, il est impossible de ne pas porter un regard nostalgique à son sac-à-dos et ses bottines qui dorment dans le placard ; la tentation est grande de (re)partir à la découverte et à la rencontre de cet univers naturel dont nous provenons, qui coupe le souffle et donne un sens à l’existence.
Gallmeister, traduit de l'anglais (États-Unis) par Denis Lagae-Devoldère, 9.80 €
"Indian Creek" est le lauréat de la première édition du Prix des Jeunes Libraires. Un jury de 130 jeunes libraires, auquel Clémence a participé, a choisi ce livre parmi quatorze autres romans. Pour découvrir les autres titres de la sélection, c'est ici.
Les fictions d’Etgar Keret sont d’étranges et fascinantes mécaniques. Précises, tendues, redoutablement efficaces, elles mêlent l’humour le plus décapant à une insondable tristesse. Leur perfection formelle et leurs pirouettes postmodernes ne sont jamais désincarnées et vous remuent au plus profond – au point que l’on se demande comment une telle palette de stimulations, de sensations et d’émotions peut tenir dans des histoires aussi brèves.
Chez Etgar Keret, il y a des accidents de voiture et des enfants tristes, des couples sur le fil, des métamorphoses, des parents imparfaits et même des créatures virtuelles. Il y a, surtout, une solitude qui submerge tout et laisse chacun des protagonistes comme perdu « au fond de la galaxie ».
Un petit garçon pense que l’homme dépressif monté sur le toit de son immeuble veut démontrer ses superpouvoirs d’homme volant. Des femmes riches lancent une application permettant de localiser les mendiants : les sommes colossales qu’elles leur offrent pimentent de frisson leurs vies qui en sont tellement dépourvues. Trois sœurs veillent sur un lapin blanc, convaincues qu’il est la nouvelle incarnation de leur père enfui – et d’ailleurs l’obstination de la mère à se débarrasser du lapin n’en apporte-t-elle pas la preuve ? Des adolescents enrôlés dans l’armée américaine ne savent plus où passe la frontière entre la guerre réelle et leurs jeux virtuels.
Incident au fond de la galaxie égrène vingt-deux histoires qui sont chacune « une ride de tristesse de plus sur le pare-chocs de l’âme ». Autant de situations peintes avec un trait corrosif et espiègle qui n’efface jamais la tendresse, et fait d’Etgar Keret un singulier et impitoyable chroniqueur de notre époque.
Éditions de l'Olivier, traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, 21.50 euros
L'avis de Clémence:
Roman écrit en 1996 et d’une actualité effarante voire effrayante, "Dans la forêt" pourrait être le manifeste de ce début de siècle. Traitant de l’effondrement de la société moderne, la seule et l’unique qui habite l’imaginaire collectif, il en cache pourtant une autre, plus ancestrale, qui se dévoile en filigrane, rejaillissant des cendres tel un phénix, encore plus belle et plus puissante, immortelle. C’est aussi l’histoire humaine de deux jeunes filles, que la vie initiera à devenir femmes bien avant l’heure, guidées par l’instinct et le désir ardent de la vie.
Jean Hegland nous plonge dans une forêt menaçante qui derrière ses aspects de violence primaire offre un paradis depuis longtemps perdu par l’homme. Cette connexion à la terre, à cette Gaïa, à cette animalité et naturalité sauvage qui la compose, c’est ce que redécouvrent Eva et Nell, deux jeunes femmes talentueuses, insouciantes qui se voient rapidement contraintes à assumer le chaos du monde. Personnages à qui la vie sourit jusque-là, protégées par un cadre familial solide et une ascension sociale prometteuse, elles sont portées par un environnement en perpétuelle accélération, bercées par une légèreté profonde et coupées du lien avec leur milieu naturel, malgré les efforts de leur parents pour le maintenir présent dans leur quotidien.
Comme endormies, éteintes, errants dans une société superficielle abrutissante, Eva et Nell croient connaître le bonheur absolu. Mais lorsque celle-ci s’effondre, c’est un réveil brutal qui les attend au petit matin et aucun retour en arrière n’est plus envisageable. Les conséquences paraissent désastreuses, elles croient avoir tout perdu. Pourtant, petit à petit, telles les tiges d’un lierre qui renait, les bouts de ce cordon ressurgissent de la terre et s’entremêlent à nouveau pour reconstruire un lien plus brut mais plus fort, indestructible. La vraie nature humaine ressort, les éléments se confondent et les sentiments profonds se révèlent. La vie reprend enfin le dessus.
Voici une invitation à ralentir et à prendre le temps de s’harmoniser avec la nature tel que le pratiquaient nos ancêtres, les Indiens. Une fois cette harmonie retrouvée, la promesse d’une vie longue et peuplée de petits bonheurs apparaît au loin, fraiche comme l’air du matin, douce comme les rayons du soleil, parfois rêche comme l’écorce des arbres mais vivantes et vivifiantes comme le ruisseau qui déferle dans la vallée.
Une invitation aussi à la sororité, à se reconnecter aux êtres proches malgré les contingences de la vie, malgré l’ego qui explose et les désirs intérieurs qui ne peuvent parfois pas être partagés ou compris.
Ce roman, d’une clairvoyance considérable, raconte la beauté de la nature et de l’humanité quand le retour à l’essentiel est atteint. Roman initiatique et purificateur, il élève les voix et les esprits vers un monde plus simple, plus vrai et par conséquent plus beau, dénué d’artifices.
En ces temps d’épidémies, de crise écologique, de mouvance sociale, ce roman pourrait faire acte de manifeste pour les générations actuelles et à venir, un exemple de reconnexion à cette Terre et à ses créatures et paysages magiques, une consécration à la beauté de ce que nous nous activons à détruire au lieu de se battre pour le préserver.
Gallmeister, Totem, traduit de l'anglais (États-Unis) par Josette Chicheportiche, 9.90 euros