librairie
point virgule

Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30

je suis la bete donaeraL'avis d'Anouk:

Et Mimì pense qu'il va les tuer tous. Tous, s'ils ne partent pas, s'ils ne partent pas d'ici, s'ils ne le laissent pas seul, dans ce salon, Mimì va faire un carnage, il va les tuer tous.

C'est ainsi que s'ouvre "Je suis la bête", le magistral premier roman d'Andrea Donaera, et dès ces premières lignes tout est déjà là: la tension, la noirceur, la dimension implacable de la spirale de violence qui s'enclenche. La puissance de l'écriture aussi, ces mots âpres qui tournent et reviennent et piétinent autour des mêmes obsessions jusqu'à faire exploser les sens.

Dans le salon où Domenico Trevi, dit Mimì, laisse enfler sa fureur, il y a un cercueil, et dans ce cercueil le corps méconnaissable de son fils. Le garçon s'est suicidé en se jetant de la fenêtre de l'appartement familial. Il avait quinze ans, une âme de poète emprisonnée dans 130 kilos de chair, un chagrin d'amour trop lourd à porter.

"Je suis la bête" est une plongée au coeur des Pouilles, terre délaissée des lettres italiennes. Loin du cliché touristique, ce qu'Andrea Donaera fait éprouver, c'est le sirocco, la moiteur suffocante, l'emprise du patriarcat et de la "Société", cette Sacra Corona Unità dont Mimì est l'un des barons, puissant et craint. Épaulé par des sbires dont l'obéissance servile n'a d'égale que la cruauté, Mimì met en place un engrenage de vengeance pour punir Nicole, la plus belle fille du lycée, celle qui a éconduit son fils et, il en est persuadé, l'a mené au suicide.

On avance vers la tragédie en alternant les points de vue. De chapitre en chapitre, d'autres voix répondent à celle de Mimì – sa fille Arianna, Nicole elle-même et Veli, tout à la fois séquestré par le clan et geôlier d'autres victimes. Chacune de ces voix s'épuise dans le même ressassement, comme s'il fallait éprouver les mots, les cogner sans cesse contre les angles de la réalité pour creuser un chemin de compréhension dans le tumulte des sentiments. Ce travail sur la langue donne au livre son goût minéral et sa puissance peu commune.

Envoûtant, obsédant, jamais complaisant dans sa peinture de la violence, "Je suis la bête" est un roman qui capte au plus juste l'âme d'une terre et des hommes qui l'habitent. Un livre stupéfiant de maîtrise, qui émeut et ébranle à chaque page.

Cambourakis, traduit de l'italien par Lise Caillat, 21 eurosbtn commande