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idiote batumanL'avis d'Anouk:

Une lecture bain de jouvence: voici un livre qui vous ramène comme par magie à vos vingt ans.
 
Des campus novels, on en a lu tant et tant, mais la fraîcheur et l'intelligence d'Elif Batuman rendent celui-ci unique. On y met les pas dans ceux de Selin, jeune Américaine brillante qui quitte le cocon familial pour se frotter à la vie. Le roman raconte sa première année à Harvard en mille et une scènes cocasses et touchantes.
 
Selin a l'audace et la timidité de la jeunesse. Ce qu'elle connaît du monde et des autres, elle l'a appris dans les romans. Car Selin, qui se rêve écrivaine, est avant tout une lectrice vorace. Sa vie se passe derrière le prisme de la littérature, et tout particulièrement des romans russes (dès le clin d'oeil du titre à son cher Dostoïevski).
 
Avec beaucoup d'humour et tout autant de tendresse, Elif Batuman fait de Selin une héroïne profondément attachante. On suit le fil de ses pensées tantôt loufoques, tantôt profondes. Ses amitiés, son histoire d'amour absolu et inaccessible avec un mathématicien hongrois, ses révoltes et ses rêves, sa candeur aussi: Selin nous replonge avec délice dans le tourbillon de la jeunesse.

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (États-Unis) par Manuel Berri, 23.50 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

la riviereL'avis d'Adrien :

Si vous avez toujours eu envie de descendre une rivière en canoë et déposer votre bivouac chaque soir en fumant une bonne pipe après avoir mangé le résultat de votre pêche au coin du feu, ce roman est fait pour vous. Si vous avez apprécié le côté dérangé et malsain de « Délivrance », ce roman est également fait pour vous !

Après le magnifique « La constellation du chien » où Peter Heller associait la dystopie au nature writing, l’auteur allie ce même nature writing au thriller et nous entraîne dans un suspens haletant où le cours du récit suit le cours de la rivière, tantôt calme, tantôt vif et empressé.

Wynn et Jack, deux amis épris de nature, ont décidé de concrétiser la virée de leur rêve, une descente tranquille du fleuve Maskwa, au nord du Canada, en canoë. Ils sont jeunes, forts, soudés, expérimentés et en pleine possession de leurs moyens. Le trip démarre parfaitement jusqu’à ce qu’au détour d’un point de vue, ils aperçoivent à l’horizon un immense feu que rien, même la rivière à son plus large, ne semble pouvoir stopper. Et ce n’est que le début de leur plongeon au cœur des ténèbres, car s’ensuit une course folle en prise aussi bien avec les éléments, eau et feu, qu’avec de regrettables rencontres. L’alternance de moments plus contemplatifs et d’accélérations où chaque décision engage la vie et doit se prendre dans l’urgence met d’autant plus nos sens de lecteurs en émoi, le suspens est total.

Si Peter Heller est toujours aussi fort pour mêler description précise de la nature et poésie, il a aussi un talent énorme pour nous parler avec finesse, loin de toute moralité, de la bonté humaine et des limites qu’elle peut avoir. L’humanité et la nature sont ici représentées dans tout ce qu’elles peuvent avoir de paisible et de sauvage. A vos barques, prêts ? Feu !

Actes Sud, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 22 €.btn commande

Disponible en numérique par ici.

milkman burnsL'avis d'Anouk:

Ce livre est une bombe, et l'énergie qu'elle dégage en se fragmentant vous irradie pour longtemps.

Au centre de Milkman, une fille de 18 ans. Elle n'a pas de nom, appelons-la "Sœur du milieu" puisque c'est ainsi qu'on la désigne dans la famille. "Sœur du milieu" est la quatrième de sept filles – sans oublier trois frères –, dont les aînées sont nommées par leur ordre dans la fratrie et les cadettes, pas sorties de l'enfance, forment le réjouissant chœur des "Chtites", espiègles et perspicaces.

Pour son "peut-être petit ami", elle est "peut-être petite amie". Cette relation marquée du sceau de la "peut-êtritude", cette relation "ni vraiment oui, ni vraiment non", la narratrice la dissimule avec beaucoup de soin. À sa mère, bien sûr, qui s'inquiète qu'à 18 ans sa fille ne soit pas encore mariée et mère. À la communauté, qui n'aime rien tant que saccager les histoires d'amour, au point que souvent les gens préfèrent épouser la mauvaise personne pour éviter de se voir arracher leur amour vrai.

"Sœur du milieu" est encore, aux yeux des habitants de la petite ville, "Celle qui lit-en-marchant". C'est une des façons qu'elle a de tenir à distance un réel envahissant. Mais lire-en-marchant la classe dans la catégorie des dépassants-les-bornes, d'autant qu'elle ne lit que des romans anciens pour échapper à ce siècle où elle n'a pas sa place. Dans une société fermée, gangrenée par la méfiance et les préjugés, le commérage et la rumeur tiennent lieu d'unique défouloir et il ne fait jamais bon se démarquer.

Ce monde où l'on avance en biais, en se dissimulant, en ne sachant jamais si l'on agit par bon sens ou par paranoïa, c'est l'Irlande du Nord des années '70, mais cela pourrait être tout autre terre prise dans l'étau du colonialisme, du communautarisme, des identités assignées. Anna Burns décrit son pays natal avec une précision folle, et en même temps suffisamment de recul pour que son roman prenne une résonance très universelle.

Le conflit entre les "renonçants" et "ceux de l'autre côté" (de la rue, de la mer) déclenche une haine si puissante qu'il anéantit toute intimité, toute intériorité. Les gens sont "encercueillés et enterrés" de leur vivant, insensibles à la nuance, inadaptés pour le bonheur et la beauté. Et le conflit géopolitique rend acceptable, voire désirable, la domination de ceux qui prennent les armes pour leur peuple, et qui cachent trop souvent sous la noblesse de leur cause des pratiques de gangsters: prédation, violences faites aux femmes, surveillance, censure. Autant de travers que concentre Milkman, l'effrayant chef de guerre aussi craint que respecté, qui poursuit "Sœur du milieu" de ses assiduités et qui, s'il n'apparaît qu'une poignée de fois dans le roman, le plonge tout entier dans son ombre de dangereux harceleur.

De bout en bout, le chemin de "Sœur du milieu" est un apprentissage de la liberté. Liberté de refuser l'emprise de Milkman. Liberté de penser, d'aimer, d'éprouver. Liberté de chercher "une autre façon de vivre": "c'était, sous les traumatismes, sous l'obscurité, une normalité qui essayait d'advenir".

Cette quête obstinée, inflexible, menée par une toute jeune fille à qui personne n'a transmis de mots à mettre sur ses émotions ni appris que le harcèlement et la sujétion ne sont pas une fatalité, donne au livre une dimension absolument poignante – parfois cocasse, le plus souvent déchirante.

Mais ce qui fait de Milkman un livre vraiment hors du commun, c'est son rapport à la langue. Quand les idéologies partisanes vident les mots de leur sens, il faut déserter cette langue officielle et en forger une neuve. "Sœur du milieu" ne perd jamais de vue qu'il lui faut désamorcer la fausse langue et ses éclats mortifères. Le résultat est fascinant: une langue inventive, audacieuse, fourmillant de singularités et de trouvailles. On ne peut que rendre grâce à la traduction feu d'artifice de Jakuta Alikavazovic. Il fallait une autrice de son talent et de sa sensibilité pour rendre toute sa puissance de déflagration à la langue d'Anna Burns.

 

Éditions Joëlle Losfeld, traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Jakuta Alikavazovic, 22 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici