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normal people roooneyL'avis de Régis:

«Ce n'est pas très sérieux, intellectuellement, de s'inquiéter pour des personnages de fiction qui décident de se marier. Mais il n'y peut rien: la littérature l'émeut. Un de ses profs appelle ça le plaisir d'être touché par le grand art».

L'émotion de Connell s'abandonnant à la lecture des classiques n'est pas si différente de la nôtre quand nous plongeons dans Normal People, le second roman de la décidément très douée Sally Rooney. Ses Conversations entre amis avaient épaté par leur fougue, leur insolence, leur intelligence. Un cocktail que l'on retrouve ici au service d'une magnifique et déchirante histoire d'amour.

 

Marianne et Connell grandissent dans la même petite ville de l'Ouest irlandais. Lui, c'est le beau gosse du lycée, la star de l'équipe de foot, celui qui fait tourner la tête des filles et même de la prof de sciences éco. Elle, issue d'une famille de notables, joue le rôle de la paria hautaine, celle qui lit Proust seule dans un coin de la cantine. Rien n'aurait dû rapprocher Marianne et Connell. Et pourtant. Fulgurants, intenses, les débuts de leur histoire vont marquer à jamais leurs trajectoires et tisser « un langage qui n'appartient qu'à eux », par-delà ruptures et retrouvailles.

Autour de Marianne et Connell, la vie bruisse. Le roman peint de nombreux portraits, tous très réussis. Comme dans les Conversations..., Sally Rooney donne chair aux émois et aux tourments de la génération des Millenials, entre hyper-connexion et solitude abyssale. Elle rappelle au passage que la forme romanesque la plus classique, héritée de Jane Austen ou George Eliot, reste un outil d'une efficacité redoutable pour sonder les âmes du 21e siècle. Les portraits des mères de Marianne et Connell sont eux aussi saisissants de justesse.

Sally Rooney capture notre époque, ses codes, ses mœurs tout en s’inscrivant dans une certaine tradition romanesque, très fitzgeraldienne. L’impossible amour, les différences de classes sociales, l’impact du groupe sur l’individu, tout cela a certes déjà été écrit. Mais il y a dans son écriture une finesse, une délicatesse, un style, qui font de ce roman un pur chef-d’œuvre.

Et puis il y a le sens de la construction romanesque, alternant des dialogues vifs et alertes, des ellipses et des silences parfaitement justes. La narration de Sally Rooney capte les non-dits, l'ironie, les infimes variations du sentiment amoureux. De bout en bout, elle est bluffante de maîtrise.

Normal People nous emporte au plus profond de nous-même, là où seuls les grands romans peuvent nous mener. 

 

Éditions de l'Olivier, traduit de l'anglais (Irlande) par Stéphane Roques, 22 €btn commande

Disponible en format numérique ici

riviere en hiver bassL'avis de Clémence:

La rivière en hiver est un recueil de huit nouvelles qui restera longtemps gravé dans la mémoire des lecteurs. Mêlant aventures humaines et rencontres avec la faune sauvage, tous les sens sont en éveil. Rick Bass nous offre un souffle d’air frais, un bain de forêt enneigée, un froid revigorant, une chasse à l’élan, un Pick Up englouti dans les flots d’une rivière, une peur soudaine d’être dévoré par un cougar, une plongée dans les entrailles de la terre, et revisite le lien entre l’homme et la nature, parfois hostile mais pourtant si somptueuse.

À travers un retour sur les vices et la violence dont l’homme est parfois imbibés, le lecteur se réfugie dans les paysages décrits pour apaiser cette noirceur par l’émerveillement. On entendrait presque Rick Bass nous murmurer à l’oreille que le salut se trouve dans la nature et qu’il ne faut pas en rater une miette: « Comment quiconque ose-t-il dormir ne serait-ce qu’un instant ? ». La beauté est partout autour de nous et Rick Bass s’en saisit et l’immortalise avec brio.

Ce sont aussi des nouvelles de portraits de vies, anodines en surface, mais qui représentent la réalité du quotidien et ravivent, telle une madeleine de Proust, des émotions déjà ressenties. Pourtant, Rick Bass parvient continuellement à nous surprendre là où nous croyons avoir décelé son univers. Chaque nouvelle nous enveloppe et nous fait voyager à travers des horizons sauvages sans cesse revus, redécrits, reparcourus et complétés. Avec du suspens aussi, des émotions fortes et la peur du monde sauvage qui rythment le texte et comment l’homme tente de s’y imbriquer tant bien que mal, parfois à la limite avec la mort. C’est une infinie splendeur de paysages et de mots dont Rick Bass est le passeur. Il déploie l’âme humaine autant que l’âme de la Terre avec le talent des conteurs d’histoires qui nous embarquent au coin du feu et avec qui on ne voudrait jamais arriver à destination.

Bourgois, traduit de l'anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, 20.50 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici

cancion halfonL'avis d'Anouk:

Eduardo Halfon écrit des livres qui font rimer brièveté et intensité. Avec "Canción", il ajoute une nouvelle pièce à une œuvre qui se joue des codes de l'autofiction. Le roman débute à l'aéroport de Tokyo. Eduardo Halfon est invité par une université japonaise à intervenir dans un colloque consacré aux écrivains libanais. Lui, l'écrivain guatémaltèque qui vit entre les États-Unis, l'Espagne et la France. Il croit d'abord à une méprise, voire à une plaisanterie. Puis ouvre l'armoire aux souvenirs et y trouve "le déguisement libanais – parmi tant d'autres déguisements – hérité de mon grand-père paternel, natif de Beyrouth".

Commence alors une traversée à la rencontre de ce grand-père craint et adulé. En chemin, Eduardo Halfon revisitera à la lumière de ses souvenirs d'enfant le fabuleux Alcazar que ce riche homme d'affaires s'était fait construire dans son pays d'adoption. Il écoutera les confessions d'une guerillera qui a participé en 1967, dans un Guatemala rongé par la guerre civile, à la prise d'otage de son grand-père. Il reconstituera aussi, à travers l'histoire de ce "Libanais qui n'était pas libanais", l'histoire sanglante de l'Amérique centrale.

Eduardo Halfon réussit à faire tenir en très peu de pages des histoires, des temps, des lieux extrêmement différents: un édifice certes extravagant mais empreint de grâce. Artiste de l'illusion et de la pirouette, il embarque son lecteur dans une passionnante réflexion sur le prisme des identités emmêlées, assumées et réinventées. Et nous offre au passage une jolie leçon de photographie, ou de littérature, à moins que cela soit une leçon de vie tout simplement: " le photographe Cartier-Bresson, pour déterminer la valeur artistique d'une de ses images, avait coutume de la retourner, tête en bas, pour la regarder à l'envers". 

La Table Ronde - Quai Voltaire, traduit de l'espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, 15 eurosbtn commande

Disponible en format numérique ici