Rue Lelièvre, 1 B-5000 Namur | Tél. : +32 (0)81 22 79 37 | info@librairiepointvirgule.be | Du lundi au samedi de 9h30 à 18h30
À peine plus grand qu’une main tendue, voici un livre fraternel et beau.
En 1960 et 1961, Fabrizio Puccinelli est enseignant intérimaire à Villalta puis à Bagni di Lucca, au cœur des Apennins. Là, dans la solitude âpre de cette Italie presqu’abandonnée, dans « le conflit dramatique entre cette société archaïque et le monde d’aujourd’hui », il entreprend de tenir un journal. Ce sont ces pages que nous donnent à lire aujourd’hui, comme tirées de l’oubli, les fabuleuses éditions Héros-Limite.
On y lit l’ennui et la misère, le poids des fidélités dans ce monde sur lequel le temps semble ne pas avoir prise. On y lit aussi la fascination du jeune enseignant pour l’irréductible liberté des enfants, qu’il prend soin de ne pas trop abîmer. Et puis il y a l’amour des livres et des histoires, qui consolent Fabrizio Puccinelli de l’infinie tristesse des hivers à Villalta. « En chacune des lumières qui me parviennent, je m’aperçois que des histoires font encore signe, en attente, comme si toutes celles qui avaient été écrites jusqu’à ce jour ne pouvaient en tarir la source »
La vie bruisse entre les pages, fragile comme une esquisse mais fervente, vibrante, bouleversante.
Traduit de l'italien par Marc Logoz, Héros-Limite, collection Tuta Blu, 16 €
Hig forme avec Bangley un binôme assez efficace. Si un malade errant ou un pilleur a le malheur de s’approcher à moins de 400 mètres de leur camp, il se fait tirer comme un lapin par les fusils haute précision de Bangley. Hig est sentimental, il voudrait négocier, voir la part d’humanité dans chaque homme. Bangley, pas vraiment, lui, la survie en ligne de mire, ne veut prendre aucun risque.
Nous sommes dans un futur proche et trois quarts de la population mondiale a été décimée par une mystérieuse maladie du sang. Ceux qui restent tentent tant bien que mal de poursuivre leur vie. Hig fait donc la paire avec Bangley. Il a perdu sa femme, son enfant, reçoit et donne toujours beaucoup d’affection à son vieux chien Jasper, part avec lui à la chasse, à la pêche, cultive son jardin, compose des haikus. A côté de ça, Bangley son truc, c’est de renforcer sans cesse leur système de défense.
Cette dystopie se situant quelque part entre La Route de McCarthy et Mad Max, l’écriture de Heller, sublime et directe, nous offrent une montagne russe d’émotions. Dans la beauté de la nature qui reprend ses droits sur les constructions humaines malgré la sécheresse de ce nouveau monde, dans la force des sentiments humains confrontés à un tel cauchemar, dans la profondeur psychologique des protagonistes, dans l’humour cynique ou burlesque, face à tant d’horreurs et splendeurs, on reste coi. Cette fable écologique et humaniste est prenante, on est triste d’arriver si vite au bout de ces parts de vie qui nous sont contées. On pourrait suivre les aventures de Hig comme un feuilleton qui ne finirait pas. Les temps sont durs, c’est peu de le dire, mais ça ira peut-être mieux demain.
Ce premier roman de Heller est un bijou, un coup de maître. Sur ce, nous allons nous empresser d’aller lire son deuxième roman au titre magnifique, Peindre, pêcher et laisser mourir.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, Actes Sud, 9,70 €
Il y a longtemps qu'Amos Oz a convaincu ses lecteurs à travers le monde de l'importance de son œuvre. De Mon Michaël à Une histoire d'amour et de ténèbres, elle est ponctuée de romans tout à la fois singuliers et universels, profondément enracinés dans la société israélienne mais nourris aussi de la poussière des chemins empruntés pendant des millénaires par le peuple juif. Chemins balisés par un sens inouï du récit, qui se manifeste en même temps et avec autant de vigueur dans une haute culture du livre (livres sacrés et littérature) et dans une verve populaire, truculente, volontiers burlesque.
Judas compte assurément parmi les très grands livres de Amos Oz. On aurait du mal à le résumer tant les fils dont il se compose sont subtilement mêlés.
Il y a d'abord Schmuel Asch, jeune étudiant en histoire timide, empêtré de lui-même, tentant d'oublier par l'étude une vie qu'il maîtrise de mal — depuis ses parents qui lui sont parfaitement étrangers jusqu'à la fille qu'il aime et qui vient d'en épouser un autre. Il y a ensuite la mystérieuse Atalia Abravanel, qui engage Schmuel pour tenir compagnie à Gershom Wald, vieillard reclus dans sa maison des confins de Jérusalem, comme échoué parmi ses livres et ses souvenirs. Entre les trois personnages, une étrange complicité se noue et se dénoue, tissée de fantasques habitudes, de désirs refoulés, de joutes verbales, toute une géographie relationnelle aussi alambiquée que le plan de la maison qui les abrite.
Le propos pourrait être anecdotique s'il n'était pas traité avec toute la finesse, toute la clairvoyance de l'immense romancier qu'est Amos Oz. Celui-ci place son trio sous un double éclairage historique. Celui, tout d'abord, du monde où évoluent Schmuel, Atalia et Gershom Wald, la Jérusalem de 1960. Israël est un État jeune encore, et les débats qui ont mené à sa création ne sont pas éteints. L'option nationaliste de Ben Gourion était-elle l'unique voie possible? Beaucoup ne le croient pas, et la maison de Gershom Wald a été témoin de bien des affrontements idéologiques. Et nous aurions tort de penser que ces débats vieux de plusieurs décennies ne résonnent pas singulièrement avec notre actualité la plus brûlante.
L'autre éclairage historique que jette Amos Oz sur son roman est celui de l'Évangile — le titre hébreu du livre est d'ailleurs L'Évangile selon Judas. Schmuel consacre ses recherches au regard posé par les Juifs sur Jésus. La figure de Judas, que 2000 ans de christianisme ont identifiée à celle du traître absolu, le fascine. Qu'est-ce que trahir? Ne s'agit-il pas d'une forme mésestimée de courage et de liberté?
Baigné dans "la lumière de pins et de pierres" d'un hiver à Jérusalem, Judas est une lecture vivifiante, généreuse et fraternelle, dont les derniers mots — "Et il resta là à s'interroger" — résument abruptement et non sans humour notre condition d'hommes.
Traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen, Gallimard, 21 €
Disponible en format numérique