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reveiller les lionsL'avis de Clémence:

A travers Réveiller les lions, A. Gundar-Goshen nous embarque dans son univers israélien, envoûtant, avec ses propres traditions, conflits, injustices mais aussi philosophies de vie.

Un neurochirurgien, Ethan Green, « bonne personne » de la haute société, sauve chaque jour des vies et choie sa famille. Un soir, un choix irrationnel s’impose à lui : pour évacuer la pression, il s’enfonce dans le désert avec sa Jeep à vive allure. Là, il percute un Bédouin et prend la fuite après l’avoir laissé pour mort. Gundar-Goshen nous raconte le récit d’un homme issu d’une vie bien rangée, dont le destin bascule malgré lui. Petit à petit, celui-ci ressentira le besoin de se racheter dans une vie parallèle, guidé par Sirkitt, épouse de sa victime.

Par ce roman de double vie, se penchant sur les problèmes de la migration, l’auteur démontre que nous sommes esclaves d’une société qui nous amène à commettre les pires infamies pour sauver notre peau. Mensonges, manipulations, crimes mais aussi sauvetages, compassions et rencontres de la différence sont les éléments qui marquent la dialectique de ce roman âpre et profond. Par ailleurs, en filigrane, le lecteur reconnaît un monde universel dans cette fresque de la société israélienne car l’auteur y dévoile les failles d’un système corrompu qui favorise chaque jour la disparité sociale et les rancœurs ethniques, qui désunit et amène les hommes à se détruire. Cependant, une lueur d’espoir persiste et, peu à peu, lorsque les hommes recommencent à vivre au nom de « l’humanité » et non en celui de la gloire ou de l’argent, les tensions s’apaisent, les crimes sont pardonnés et un bien-vivre collectif est possible.

Bien plus qu’une critique de cette société, ce roman dénonce les injustices universelles et reflète la vraie nature de l’homme : un lion en cage, devenu fou une fois privé de sa liberté. Ethan est un homme révolté, victime du système, qui tente par tous les moyens de retrouver un peu d’humanité. De ce roman poétique et parfois perforant, mélangeant fiction, actualité et réalité sociale, tout en usant de délicatesse et de force féminine, nous ne pouvons qu’en sortir ébranlés, avec l’envie de réveiller nos lions intérieurs.

Presses de la Cité, traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz, 25.40€ btn commande

moi contre -  beattyL'avis d'Edith:

Bonbon est le fils d'un psychologue social afro-américain qui a pris son fils comme principal sujet d'expérience. Bonbon en a gardé quelques séquelles et une analyse désabuso-critique de sa petite ville de Dickens. Ou plutôt de feu sa ville, car Dickens se voit progressivement rayée de la carte par la modernité. Cela va pousser Bonbon à réinstaurer à Dickens, avec les meilleures intentions du monde et somme toute de bons résultats, la ségrégation raciale et un brin d'esclavagisme.

« Moi contre les États-Unis d'Amérique » est une chronique subtilement surréaliste d'une petite ville multi-ethnique défavorisée des États-Unis. Bonbon arrose ses réflexions de références passionnantes à l'Histoire américaine, tandis que certaines phrases de Paul Beatty se savourent comme une liqueur ou un beau lancer de fléchettes. L'humour est mordant et malin, les personnages pleins de saveurs!

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Nathalie Bru, Cambourakis, 24 €; 10/18, 9.70 €

 

 

 

 

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passe - hadleyL'avis d'Anouk:

C'est un livre rare et précieux, dont le charme opère d'abord par touches légères avant de vous emporter avec une puissance insoupçonnée. "Le passé" de Tessa Hadley concentre tout ce que l'on aime chez les grandes romancières anglaises: la précision des portraits, la subtilité des sentiments, la sensualité et bien sûr cette ironie piquante qui, de Jane Austen à Rachel Cusk, tisse une généalogie littéraire longue de deux siècles. En un mot: "Le passé" a la grâce immédiate d'un grand classique.

L'histoire? On l'a lue mille fois. Trois soeurs et leur frère se retrouvent le temps d'un été dans la maison des grands-parents, repaire idyllique et conservatoire de leurs plus beaux souvenirs d'enfance et d'adolescence. Coupés de leurs vies quotidiennes, ils retrouvent leur complicité en même temps que les jalousies secrètes qui jalonnent toute histoire de famille.

Une histoire banale, sans doute, tant le huis-clos familial est une source d'inspiration inépuisable pour les romanciers. Pourtant Tessa Hadley écrit un livre qui est tout sauf banal. Ses portraits de femmes, tout d'abord, sont inoubliables. Harriet, Alice et Fran, les trois soeurs, forment le cœur magnifique du livre. Leur mère Jill, emportée par un cancer alors que la fratrie quittait à peine l'enfance, a légué à chacune une part de sa personnalité riche et complexe: la fibre révolutionnaire pour Harriet, qui s'oublie dans ses engagements pour un monde plus juste; à Alice la fantaisie, la gourmandise pour la vie, l'intensité émotionnelle; et pour Fran la cadette la rigueur et le sens pratique qui font défaut aux aînées. Le fil subtil qui se noue et se dénoue entre ces trois femmes, l'amour qui circule entre elles malgré les incompréhensions et les rivalités, donnent au "Passé" une évidente résonance tchékhovienne.

Et puis il y a le monde de l'enfance, que Tessa Hadley dépeint avec une justesse réjouissante. Ivy et Arthur, les deux jeunes enfants de Fran, sont formidables de vérité. Leurs jeux parfois cruels, leurs secrets, leur lucidité quand il s'agit de percer les contradictions et les fragilités des adultes: tout fait d'eux des acteurs à part entière de ce qui se joue dans la maison de Kington.

Mais là où Tessa Hadley est vraiment incomparable, c'est dans sa façon de parler du temps qui passe, d'en donner le grain, le velours, l'épaisseur. "Le passé" est un livre résolument contemporain, qui regarde sans nostalgie le monde d'hier se dissoudre dans notre aujourd'hui. Les retrouvailles des quatre enfants Crane et leurs hésitations quant à ce qu'ils vont faire de la maison familiale (la garder comme une relique du passé, la moderniser, la vendre?) sont le reflet des doutes de toute une génération.  Que reste-t-il des convictions austères sur lesquelles le grand-père, pasteur et poète, a bâti sa vie? Comment continuer à faire vivre les idéaux de sa jeunesse quand il devient évident que le monde les a rejetés? Comment garder serrés les liens de la fratrie quand chacun a pris des chemins différents? A toutes ces questions, "Le passé" se garde bien d'apporter des réponses univoques. Disons plutôt que pour chacun de ses personnages, le roman sème des cailloux qui les mèneront, peut-être, vers une nouvelle façon d'être au monde, d'être aux autres. Et c'est bouleversant.

Christian Bourgois, traduit de l'anglais par Aurélie Tronchet, 22 €btn commande