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tempestL'avis d'Edith:

Kate Tempest, poétesse, dramaturge et rappeuse anglaise, se glisse dans sa nouvelle plume d’écrivaine avec fougue et souplesse. Ce premier roman est un petit chef d’œuvre d’originalité simple et percutante.

Becky et Harry, les deux héroïnes principales, enflamment les pages, éclipsant les autres personnages. Becky est une lionne, Harry une championne qui s’ignore. Et les deux ensemble quelque chose au croisement entre âme sœurs et âmes en sang. Dans une atmosphère de grise mine, de nuits étourdissantes et de matins de bois, de vies un peu larguées et d’affaires qui marchent plus ou moins pas, les deux se rencontrent, se reconnaissent. À partir de là, les fils des différentes trajectoires se tissent et s’emmêlent, menant peu à peu vers une apothéose explosive.

Qu’ont-ils de plus, Becky, Harry, et puis Léon, le fidèle bras droit et meilleur ami d’Harry, Peter, le frère d’Harry, fou amoureux de Becky, Ron et Rags, les oncles discrètement mafieux de Becky, puis tous les autres, qu’ont-ils de plus qui fait qu’on s’y attache autant, malgré leurs – parfois très gros – défauts ? Peut-être cette envie désespérée d’être heureux, quitte à se retrouver dans des embrouilles sans nom.

La ville s’effondre, invisible, et les corps tiennent. Par la drogue, l’alcool, l’espoir, l’amour, par la danse effrénée, par obligation, par défaut.

Il y a dans « Ecoute la ville tomber » un peu du Ken Loach de « La part des anges », où le drame social frôle chaque instant l’histoire qui pourrait être heureuse, un brin de thriller, une dose de coup de foudre, et enfin une sacrée plume. L’écriture poétique et directe de Kate Tempest porte le roman, qui slame entre la pluie et la drogue, la danse et la fumée, avec des éclats de lumière dans les yeux de ses protagonistes.

C’est à peine un pavé (avec ses modestes 425 pages) mais c’est un condensé de briques anglaises pleine de fumée crasseuse et de charme sans vernis.

Rivages, traduit de l'anglais par Madeleine Nasalik, 22.50€ btn commande

le pouvoir L'avis d'Edith:

Avec « La servante écarlate », Margaret Atwood proposait une dystopie où les femmes sont majoritairement reléguées au rôle de domestiques et cantonnées dans leur fonction reproductrice.

Avec « Le pouvoir », Naomi Alderman propose l'inverse. Un début d'utopie: un beau jour, les adolescentes de 15 ans découvrent une à une qu'elles peuvent maitriser un étrange pouvoir électrique. Peu à peu, toutes les femmes découvrent ce pouvoir en elles et se retrouvent capables de se défendre – et d'attaquer – avec une force qu'elles n'avaient jusque là jamais eue, renversant peu à peu les rapports de force entre les sexes. Mais au fil des pages, le roman devient dystopie. Des femmes, grisées par ce nouveau pouvoir physique et l'accès au pouvoir qu'il permet, en viennent à commettre les mêmes crimes autrefois perpétrés par des hommes.

Ce qui est au début intéressant (un artefact féminin qui rétablit l'équilibre), voire carrément excitant (un super pouvoir!), s'avère vite dérangeant. Ce qui s'annonçait comme un jouissif roman rétablissant l'égalité entre les sexes et l'avènement d'une société meilleure devient un exercice de visualisation, enrichissant mais perturbant. L'auteure décline effectivement des situations brutales actuelles de domination en inversant les rôles: les hommes sont dominés, les femmes sont dominantes. Au final, une réflexion colorée sur le pouvoir dont lectrices et lecteurs ne ressortiront pas indifférents.

Calmann Levy, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Christine Barbaste, 24,55€ btn commande

 

reveiller les lionsL'avis de Clémence:

A travers Réveiller les lions, A. Gundar-Goshen nous embarque dans son univers israélien, envoûtant, avec ses propres traditions, conflits, injustices mais aussi philosophies de vie.

Un neurochirurgien, Ethan Green, « bonne personne » de la haute société, sauve chaque jour des vies et choie sa famille. Un soir, un choix irrationnel s’impose à lui : pour évacuer la pression, il s’enfonce dans le désert avec sa Jeep à vive allure. Là, il percute un Bédouin et prend la fuite après l’avoir laissé pour mort. Gundar-Goshen nous raconte le récit d’un homme issu d’une vie bien rangée, dont le destin bascule malgré lui. Petit à petit, celui-ci ressentira le besoin de se racheter dans une vie parallèle, guidé par Sirkitt, épouse de sa victime.

Par ce roman de double vie, se penchant sur les problèmes de la migration, l’auteur démontre que nous sommes esclaves d’une société qui nous amène à commettre les pires infamies pour sauver notre peau. Mensonges, manipulations, crimes mais aussi sauvetages, compassions et rencontres de la différence sont les éléments qui marquent la dialectique de ce roman âpre et profond. Par ailleurs, en filigrane, le lecteur reconnaît un monde universel dans cette fresque de la société israélienne car l’auteur y dévoile les failles d’un système corrompu qui favorise chaque jour la disparité sociale et les rancœurs ethniques, qui désunit et amène les hommes à se détruire. Cependant, une lueur d’espoir persiste et, peu à peu, lorsque les hommes recommencent à vivre au nom de « l’humanité » et non en celui de la gloire ou de l’argent, les tensions s’apaisent, les crimes sont pardonnés et un bien-vivre collectif est possible.

Bien plus qu’une critique de cette société, ce roman dénonce les injustices universelles et reflète la vraie nature de l’homme : un lion en cage, devenu fou une fois privé de sa liberté. Ethan est un homme révolté, victime du système, qui tente par tous les moyens de retrouver un peu d’humanité. De ce roman poétique et parfois perforant, mélangeant fiction, actualité et réalité sociale, tout en usant de délicatesse et de force féminine, nous ne pouvons qu’en sortir ébranlés, avec l’envie de réveiller nos lions intérieurs.

Presses de la Cité, traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz, 25.40€ btn commande