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L'avis d'Edith:
Les manifestations de Seattle de 1999, en opposition au sommet de l'OMC, sont connues comme une clé de voûte de l’altermondialisme. L’ampleur des manifestations et des actions directes non-violentes qui ont eu lieu ce jour-là pour tenter d’empêcher des négociations économiques profondément inégales et la répression policière brutale qui a suivi ont marqué d’une pierre blanche la lutte altermondialiste.
Seattle c’est donc beaucoup d’essais et pas tant de romans que ça. Et on ne sait pas tout de suite bien par quel côté on va l’appréhender ce fameux Seattle. Sunil Yapa relève le défi de nous transmettre à sa manière quelque chose de ce moment historique. À travers le brouillard de gaz lacrymogènes et d’une construction pleine de flash-back, il nous propose une mosaïque de regards sur ces quelques journées bouleversées : un jeune gars paumé parti de chez lui il y a des années, une policière issue des quartiers, une militante aguerrie, un major de police, le délégué du Sri Lanka dont la prise de conscience de ces deux journées vont mener à une fronde des pays du Sud…
Si les regards sont variés, le parti-pris est néanmoins limpide. Dans la mosaïque complexe et embrumée résonne un cri clair, le cri du cœur de tous ceux et celles qui croient qu’enrayer la machine est possible et qui tentent de le faire, hier, aujourd’hui, demain. Sunil Yapa souffle sur la flamme du contre-sommet avec une ferveur assumée, sans gants, en diluant la violence du présent dans les fils passés de l’histoire de chacun. On découvre, derrière les images figées des grands événements, des détails d'histoires, de personnes, d'anecdotes qui auraient pu avoir lieu. Au final, une construction par moments un peu alambiquée, mais un regard enrichissant sur les humains de ces journées-là et une découverte partielle et partiale d'un grand moment de l'action directe non-violente.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Cyrielle Ayakatsikas, Rivages, 23.50€
Ecrit en 1987, Attachement féroce dissèque la relation de l’auteure, féministe alors déjà réputée aux Etats-Unis, avec sa mère, mais aussi avec ses amants et globalement avec tout qui elle interagit. A travers les chamailleries, vraies disputes et éclats de rire de Vivian et sa veuve de mère, tantôt acariâtre tantôt compréhensive, on déambule dans New-York à la recherche d’apaisement général. Et rien ne s'apaise jamais vraiment mais tout tend à plus de clarté.
Au début de ces mémoires, nous restons dans l’immeuble de jeunesse. Là ne vivent que des femmes. Les hommes sont au travail, décédés ou ont quitté le navire. Les appartements sont imbriqués les uns dans les autres et toutes communiquent, s'invectivent, s'entraident par les coursives, les fenêtres. On y suit notamment la vamp Nettie qui voudra apprendre à Vivian à devenir une séductrice. La relation mère-fille n’est pas simple et quand on commence à bien la cerner, on tombe dans le vertige de l’amour selon Vivian, ses relations de couple et comment sa mère les appréhende. Ce qui amplifiait nos luttes, majorait notre angoisse, gonflait notre confusion, c’était le sujet du sexe. Chaque fil de chaque histoire (un mariage avec un artiste bougon, un amant régulier voisin d’enfance se radicalisant dans le judaïsme orthodoxe, un amant leader syndicaliste marié) est tiré et détricoté et c'est peu de dire que les trois relations apportent leur lot de petites joies mais surtout de tumultes et d'inconfort.
On se laisse entrainer dans New-York et en cela c’est une magnifique déclaration d’amour à la ville qui l’a vu naître. On est aussi réellement emporté par les réflexions de Gornick sur sa vie. Elle nous parle à chacun de nous et le fait de façon vraiment passionnante en renouvelant le genre autobiographique. A la manière d’une Alison Bechdel avec Fun Home, Vivian Gornick comprend ce qu’elle est devenue en revenant sur son passé et comment sa mère l’a inconsciemment mais durablement construite. C’est juif, new-yorkais, c’est l’après-guerre, mais quand ça touche à ce point à l’universel, c’est simplement formidable.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, Rivages, 2017, 20 €.
Un dimanche soir de fin d'été. L'heure du retour de vacances pour une famille suisse. L'heure des bagages à défaire, des préparatifs pour la reprise du lendemain, du dernier verre sur la terrasse. Astrid monte coucher les enfants. Thomas plie son journal, se lève et ouvre le portail du jardin. Il ne rentrera pas.
L'un l'autre est le récit de ce retrait du monde et de la manière dont il va modeler ce que seront les vies de Thomas, d'Astrid et de leurs enfants. Écrivain du vide et de l'absence, Peter Stamm nous tient en haleine avec un dépouillement de moyens exemplaire. On ne trouvera pas chez lui d'explications psychologiques ni de questions morales, non: juste, au plus près, la description des gestes, des mouvements, des trajets d'un homme et d'une femme projetés dans un monde où les repères s'estompent.
Thomas s'en va et gagne la montagne pour se mettre à l'abri des bruits du monde, se confronter à la nature, se fondre dans le présent de la marche, rentrer plus profondément en lui-même. Tentation bien contemporaine. Et Astrid, dans l'asphyxiante douleur de la séparation, dans les gestes du quotidien qu'il faut bien assumer pour les enfants, emprunte un chemin vers elle-même qui n'est pas moins risqué que celui de Thomas.
Peter Stamm pose son regard alternativement sur chacun d'eux. L'homme et la femme, l'extérieur et l'intérieur, la liberté et le quotidien. Mais très vite il brouille les cartes, estompe la chronologie, évoque les vies possibles, les vies imaginées. Son écriture tout à la fois matérielle et poétique rythme un récit qui prend au fil des pages une dimension plus onirique et métaphysique. Et l'on perçoit la béance, l'abîme au bord duquel Thomas et Astrid contemplent leur histoire.
« Quand nous nous séparons, nous restons l'un à l'autre ». Cette citation de Markus Werner qui ouvre le livre éclaire on ne peut mieux ce qu'est L'un l'autre: par-delà l'absence, par-delà le vide, par-delà le confort des certitudes, une histoire d'amour absolue.
Traduit de l'allemand par Pierre Deshusses, Christian Bourgois, 17 €
Disponible au format numérique