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jacob - valerie zenattiL'avis d'Anouk:

Il y a longtemps déjà que Valérie Zenatti nous donne à lire des romans sensibles et intelligents, comme "En retard pour la guerre" ou "Les âmes soeurs", des récits poignants tel ce portrait de Aharon Appelfeld (qu'elle a fait découvrir au public français par ses traductions) dans "Mensonges", ou des livres pour la jeunesse pleins de fantaisie (on adore "Vérité, vérité chérie") ou ouverts sur le monde (pour les ados, "Une bouteille dans la mer de Gaza" est devenu un classique). Et pourtant, même si nous sommes convaincus depuis longtemps de la portée de l'œuvre de Valérie Zenatti, "Jacob, Jacob" qui sort en cette rentrée littéraire est sans aucun doute son livre le plus réussi.

Tendu de bout en bout, poignant et passionnant, "Jacob, Jacob" fait le portrait d'un jeune juif algérien appelé en juin 1944, à peine passé son bac, à servir dans l'armée française. Jacob est le dernier-né d'une famille modeste, venu longtemps après ses frères auxquels il ressemble si peu. Sa joie de vivre, son attention aux autres, son intelligence vive font la fierté de sa mère et amènent dans un foyer où la violence est souvent à peine rentrée une touche de fantaisie et de douceur.

Arrachés à la lumière de Constantine, leur ville natale, Jacob et ses amis (catholiques, juifs et musulmans, à l'image de l'Algérie plurielle de ces années-là) sont envoyés dans une France encore occupée pour en chasser l'armée allemande. Le débarquement de Provence, la remontée du Rhône, la prise de Lyon font de ces jeunes gens des héros partout célébrés. Mais avec l'automne et le froid, la route vers l'Alsace est de plus en plus périlleuse. Les morts se multiplient, l'angoisse creuse les regards et les corps, et Jacob mourra lui aussi, non loin de Mulhouse, en janvier 1945. Il avait 19 ans.

À travers Jacob et les siens, Valérie Zenatti fait revivre un monde disparu, englouti dans les chaos violents de l'Histoire. Avec une grande retenue et une écriture aussi précise que poétique, elle nous offre un texte inoubliable, tout à la fois extrêmement personnel et éminemment universel. C'est magnifique.

L'Olivier, 16 €btn commande

tirageL'avis d'Adrien :

De mère allemande et de père russe, installé en Finlande, Henry Parland, mort foudroyé par une scarlatine en 1930 à l’âge de 22 ans, laissera derrière lui cet unique roman écrit en… suédois ! Le héros, Henry, un an après la mort de son premier amour, Amy, nous trace le portrait de leur histoire commune. Leurs nuits blanches, leur vie de noceurs dans l’aristocratie scandinave des années 20, leurs déchirements. Récit largement autobiographique, que nous pourrions situer entre Proust et Fitzgerald, le dandy maîtrise parfaitement la langue et nous entraîne inexorablement dans le tourbillon d’un amour juvénile à l’issue fatale.

Cambourakis, 10 €btn commande

cet ete laL'avis d'Adrien :

Depuis ses cinq ans, Rose passe ses vacances d'été avec ses parents dans la station balnéaire d'Awago. Elle y retrouve chaque année Windy, avec qui elle bavarde, joue sur la plage, regarde des films. Cet été là, rien n’a changé, mais les filles ont grandi, l'insouciance de l'enfance fait doucement place à l'adolescence et les questions changent. Les dessins animés font place aux films d’horreur regardés en cachette sous la couette et loués à l’épicerie videoclub du coin tenue par un post ado intrigant. Rose en tombe amoureuse sans oser rien dire à Windy. Cet ado coureur de jupons fait à peine attention aux deux gamines qui observent son manège de bourreau des cœurs. Parallèlement à ça, les parents de Rose s’enferment dans des non-dits qui pèsent sur leur couple et leur vie de famille. Tout sonne juste et entre mélancolie et humour, les auteurs, grâce à la qualité de leur scénario et au dessin simple et aéré où chaque émotion est rendue lisible, nous livrent une belle chronique de ce moment délicat du passage de l’enfance à l’adolescence.


Rue de Sèvres, 20 €btn commande

mr gwynL'avis d'Edith:

Subtil, sans esbroufe et plein de malice, Baricco nous propose un personnage discret, déterminé et original, dont on se fait un plaisir de suivre le rythme décalé au cœur de Londres.

Quand Jasper Gwyn, décide d'arrêter d'écrire, personne ne le croit, son meilleur ami et agent moins que quiconque. Pourtant, Jasper Gwyn en est intimement convaincu. Libéré du poids de ses romans, passés et futurs, Jasper flâne de wasserette en wasserette. Il tient sa résolution, mais il ressent un malaise que ses stratagèmes (écrire des scènes mentalement par exemple) ne suffisent pas à combler. Jusqu'à ce qu'il découvre une galerie de portraits nus, qui le fascinent. Il en est désormais sûr, il doit écrire des portraits. Il veut être copiste.

« Ça lui aurait bien plus d'être copiste. Ce n'était pas un vrai métier, il en était conscient, mais il y avait une étincelle convaincante dans ce mot, qui lui donnait l'impression de chercher quelque chose de précis. Il y avait un secret dans le geste et une patience dans la méthode – un mélange de modestie et de solennité. Copiste, il ne voulait pas faire autre chose. Et il était sûr de pouvoir le faire très bien. »

Toute en finesse et en silences de peintre, la quête de Jasper Gwyn est sagement folle, et pleine de minutie. Déterminé à écrire des portraits comme un peintre et à parvenir à copier les gens pour les « reconduire chez eux » , Jasper aura le souci du détail. Jusqu'à dénicher dans Londres le dernier artisan fabriquant ses ampoules à la main, pour que celles de son atelier s'éteignent tout pile après trente jours.... Un Baricco encore plus original que d'habitude, dont on savoure tranquillement les mots et les personnages, sans s'ennuyer une page.

Gallimard, 18.50 €

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notre quelque part - parkesL'avis d'Anouk:

Il y a longtemps que l'on se plait à parcourir le monde dans le sillage de Laure Leroy, éditrice de Zulma. Elle nous a fait découvrir avec délectation l'Iran de Zoya Pirzad (par exemple avec On s'y fera), l'Islande de Audur Ava Olafsdottir (qui a oublié le bonheur dû à Rosa Candida?) ou Bergsveinn Birgisson (sublime Lettre à Helga), l'Israël de Benny Barbash (My First Sony est une fantasque relecture de l'histoire du pays), ou encore le Japon plein de poésie de Hubert Haddad (Le peintre d'éventail compte parmi les plus beaux romans de l'auteur). Sans doute serais-je passée à côté de Notre quelque part s'il n'avait pas été publié sous la belle couverture de Zulma: un auteur inconnu, un roman situé dans un pays dont je ne connais absolument rien — le Ghana, et l'absence de lexique qui laisse au départ le lecteur perplexe même si c'est une formidable manière, on le comprend vite, de se laisser pleinement immerger dans le monde des personnages... Merci Zulma pour avoir l'audace de publier de telles pépites!

Faux roman policier, Notre quelque part démarre dans une bourgade ghanéenne où est retrouvée "une chose", vraisemblablement des restes humains. L'affaire s'emballe puisque la personne qui fait cette macabre découverte est la maîtresse d'un ministre, et la hiérarchie policière s'évertue à trouver au plus vite la clé de l'énigme. Kayo, un jeune médecin légiste formé en Angleterre et récemment rentré au pays est envoyé sur place manu militari avec la délicate mission d'éclairer l'affaire. Pour Kayo, cette enquête sera surtout l'occasion de se relier à un "quelque part" : des racines, des légendes, une façon d'appréhender le monde dont il s'était coupé par l'exil et la vie à Accra, capitale frénétique du pays. Guidé par un policier débonnaire, Kayo se lie rapidement à Yao Poku, vieux chasseur accro au vin de palme dont les histoires singulières lui ouvrent les portes d'un monde fascinant. Il démêlera petit à petit les fils tortueux de l'histoire du village. Notre quelque part n'est pas, comme on pourrait le croire au départ, le roman du choc des mondes dans l'Afrique d'aujourd'hui : le médecin légiste contre le guérisseur, la technique occidentale contre la sagesse traditionnelle, les villes trépidantes contre les campagnes alanguies, le polar contre le conte. Il est au contraire celui de l'entremêlement, de l'estompement des frontières, d'une humanité réconciliée. Un quelque part dont chacun peut faire son quelque part.

Mais on n'a rien dit encore du plaisir de lecture qu'offre ce livre malin et enlevé si l'on ne parle pas de la langue qui porte l'intrigue. Nii Ayikwei Parkes mêle les registres, les langues (l'anglais et les langues traditionnelles pidgin ou twi) qui sont autant de façon de caractériser un personnage, sa classe sociale, son niveau d'éducation, son milieu de vie. Sa traductrice française Sika Fakambi fait un travail formidable en donnant à entendre en français cette richesse: elle mêle au français des parlers d'Afrique de l'Ouest, des néologismes, des tournures littéralement inouïes et crée une langue qui est d'un bout à l'autre du livre une fête des sens et de l'esprit. C'est réellement savoureux et épatant!

Traduit (sublimement!) de l'anglais (Ghana) par Sika Fakambi, Zulma, 21 € btn commande