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En commençant la lecture de ce premier roman, on peut craindre que le baroque des situations soit submergé par d’indigestes bons sentiments, puis il n’en est rien. Le cocktail prend, le dosage est parfait, nous vient l’envie de danser sur le Mr Bojangles de Nina Simone avec le trio familial, acteur de cette histoire. Le charme opère.
Un jeune enfant, dont on ne connaît l’âge précis, nous raconte sa vie, sa famille, son quotidien hors du commun et surtout l’histoire d’amour de ses parents et comment sa maman, fantasque à souhait, a fait basculer son papa dans sa douce folie. Le père a en effet décidé de suivre sa dulcinée dans tous ses délires, dans tous ses caprices – élever en appartement une grue de Numidie nommée Madame Superfétatoire, ne jamais ouvrir le courrier administratif et l’entasser au milieu du logis, nocer chaque nuit dopés au Champagne et aux mélanges d'alcool en tout genre avec des amis hauts en couleur, se dégoter un château en Espagne, entres autres élucubrations. Et que tout cela coule de source, que le quotidien soit une fête, que la liberté soit totale.
De courts et magnifiques extraits du journal intime du père viennent de-ci de-là éclairer d’un autre angle l’histoire. Avec eux, bien que l'enfant dégage une certaine maturité, nous prenons un peu plus de hauteur. Et si au départ tout est charmant, par la suite, ça grince, on se rend compte que la folie douce est en réalité maladive. Si tous les membres et proches de la famille décident d’y succomber, c’est pour mieux la supporter, qu’elle ne soit pas un frein à la vie. C’est là qu’Olivier Bourdeaut réussi un tour de force. On se laisse bercer par une légèreté drôle, sucrée et agréable et pourtant la profondeur est là. Évoquer le Boris Vian de L'écume des jours et la magnifique et tragique histoire d'amour entre Colin et Chloé est assez juste.
Ce premier roman est une grande réussite, drôle, lumineux, plein de fantaisie, à la fois léger, mais plus profond qu’il n’y paraît. Il y a l’amour, il y a la folie, il y a l’amour fou et la vie. Dansons maintenant !
"Penser l'événement": la formule vient de Hannah Arendt, et elle semble forgée pour éclairer notre actualité.
À la suite des attentats du 13 novembre, un groupe de libraires a pris l’initiative, au sein du Syndicat des Libraires Français,
Lire la suite : Penser l'événement - Des livres pour réfléchir
Il y a un an à peine, nous recevions Florence Aubenas, grand reporter au journal Le Monde. Elle venait de publier En France aux éditions de l'Olivier, recueil de chroniques, de portraits de gens rencontrés lors de ses déplacements. Ce livre bouleversant raconte le quotidien le plus cru, la vie dans ce qu'elle a de plus banal, d'hommes et de femmes dans un pays en crise. Le chômage, le voile, les Roms, le mariage pour tous, la montée du FN. Mais toujours dans un ton sobre, juste, original qui sont les traits de l'écriture de Florence Aubenas.
Il faut (re)lire cet ouvrage de toute urgence en ce week-end d'élections en France. Les articles consacrés à la prise de pouvoir à Hénin-Beaumont par le Front National sont d'une intelligence et d'une clairvoyance peu communes.
Points, 6.90 € en collection de poche; L'Olivier, 18 € pour la version originale
Impressionné par le travail des photographes Yves Marchand et Romain Meffre, Ruines of Detroit (Steidl), Thomas B. Reverdy décide se plonger dans le sujet. Impressionnant s'il en est, le parfait déclin de Détroit est choquant dans ce sens qu’il ne s’agit pas des ruines d’une civilisation passée mais bien des ruines de notre civilisation, résultat du néolibéralisme sans entrave.
On suit dans Il était une ville, deux destins qui vont évidemment être amenés à se croiser. D’une part, Charlie, jeune garçon élevé dans la banlieue de Détroit par sa grand-mère qui, ne voyant pas d’avenir, se laisse entraîner par des petites frappes et de fuguer dans un monde parallèle créé et géré par de très jeunes délinquants, dealers et voleurs. D’autre part, Eugène, jeune ingénieur automobile français qui voit dans sa mutation à Détroit, la Motor City, une opportunité de relancer sa carrière et de vite se rendre compte qu’on l’abandonne petit à petit dans une entreprise, et plus généralement dans une ville, en pleine déliquescence. La fugue de Charlie va nous mener dans un polar haletant. Les tribulations d’Eugène dans une critique acerbe, mais non dénuée d’humour (cf. le fantasque rh Patrick), du monde de l’entreprise.
Il était une ville est un roman politique et tout à la fois un roman de guerre, la tension est sourde, la guerre est économique. Thomas B. Reverdy nous montre que quand le monde déshumanise, c’est l’humain qui résiste. Et malgré le froid, malgré la misère, la précarité et l’insécurité, l’amour transparaît et nous laisse un horizon d’espoir. D’ailleurs, depuis quelques temps, il se dit que Detroit est en train de redresser la barre.
Sur les première et quatrième de couverture, est annoncée "une bande dessinée avec : Arsène, de l'aventure, de l'amour, de l'architecture, de la liberté, de la peur, de la luxure, l'inconnu, rien, un fantasme, de l'espérance, de nouvelles rencontres, des conneries artistiques, un piège".
Et tout cela est vrai.
Si vous avez peur de passer à côté d’une des meilleures bandes dessinées de ces dernières années, foncez sur Arsène Shrauwen. Son auteur, Olivier Shrauwen, jeune bédéaste flamand à suivre absolument, nous en met plein les yeux à chaque page. Il nous conte l’histoire de son grand-père, Arsène, débarquant dans une colonie jamais nommée, en réalité le Congo belge, pour rejoindre son cousin Roger, architecte, et travailler pour lui. Le cousin a pour dessein de faire sortir du sol, d'ériger en pleine brousse, une cité utopique, baptisée Freedom Town. Rapidement dépassé par ses plans, ses inventions, ses créations gigantesques, le cousin Roger sombre dans la folie. Arsène se retrouve désigné par le bras-droit de l'architecte, Louis, pour reprendre les rênes du projet. Ne comprenant pas tous les tenants et aboutissants et, à son tour dépassé par les événements, Arsène se laisse guider par Louis. Ajouté à la folie que peut comporter une telle aventure, les méandres de l'amour, et vous obtiendrez une histoire passionnante de bout en bout.
La superbe bichromie rouge-bleu soufflant le chaud et le froid, les métaphores prenant forme, la chaleur, la touffeur, la jungle, la grandiloquence des projets du Nord pour le Sud, le grand nombre de trappistes bues par Arsène nous font nous plonger ivres et fiévreux à corps perdu dans cette folle aventure humaine. Olivier Schrauwen nous tient comme dans un piège magnifique et terrifiant que nous n’avons pas envie de quitter. Quand, après le premier chapitre, il nous demande, dans un interlude graphique sublime, d’attendre une semaine avant de reprendre la lecture, on lui obéit (au moins une heure), impatient de retrouver la suite. Les 35 € que coûte cet album ne doivent pas être un frein à son achat, vous ne le regretterez pas. Gageons qu’Angoulême en janvier prime de belle façon Arsène Shrauwen, Olivier Schrauwen le mérite amplement !
Traduit de l'anglais par Charlotte Miquel, L'Association, 35 €.